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Code du travail : le crépuscule du « en même temps »

Avec la Loi Travail, l'exécutif ne peut plus louvoyer pour contenter la droite comme la gauche. LUDOVIC MARIN/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Benjamin Masse-Stamberger, les ordonnances sur la loi Travail signe la fin de la posture d'équilibre qu'avait voulu incarner Emmanuel Macron durant la campagne.


Benjamin Masse-Stamberger est journaliste et essayiste. Ancien Grand reporter à l'Express, il est co-auteur notamment du Pouvoir et l'argent(Ed. Presses de la Cité) et deBienvenue dans le pire des Mondes (Plon). Il tient le blog Basculements.


Avant même qu'elle ne soit dévoilée ce jeudi par le gouvernement, on avait déjà dit tout et son contraire sur la loi Travail. Aux yeux des macronistes, ce devait être la «mère de toutes les réformes», vouée à déverrouiller une société bloquée, et adapter enfin un Code du Travail vermoulu aux exigences de la société numérique. Pour les Mélenchonistes et la CGT, au contraire, la loi Travail allait organiser la «casse du Code du travail», la fin des droits sociaux, etc…

Le plus probable, à regarder de près le contenu de ces ordonnances, c'est qu'il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre. D'un côté, il y a fort à parier que cette réforme n'aura pas un effet positif fondamental et immédiat sur la croissance et sur l'emploi. D'abord, parce que le gouvernement, pour ne pas braquer définitivement les syndicats - et notamment FO - a pris soin d'expurger du texte ses éléments les plus explosifs. Ensuite, parce qu'il est démontré par d'innombrables études que la réforme du marché du travail n'est au mieux qu'un élément parmi beaucoup d'autres pour relancer l'économie, et donc l'emploi. Le premier Ministre l'a reconnu lui-même en préambule de la conférence de presse de présentation du texte, en affirmant que «le droit du travail n'est pas la première cause de chômage en France.» De quoi doucher bien des enthousiasmes.

Dans les faits, la réforme s'inscrit dans la continuité des nombreuses réformes du marché du travail adoptées au cours des dernières années.

Symétriquement, la réforme du marché du Travail n'est en rien la «casse du Code du travail» martelée par l'extrême-gauche pour surjouer la confrontation avec le gouvernement. La rhétorique permet aux contestataires, sans s'embarrasser outre-mesure du réel, de s'affirmer comme la seule opposition audible au pouvoir. Dans les faits, la réforme s'inscrit dans la continuité des nombreuses réformes du marché du travail adoptées au cours des dernières années, sans faire de ruptures drastiques avec un processus de flexibilisation continue du marché du travail. Ainsi, dans le cadre de la loi, le gouvernement a fixé la très grande majorité des négociations sociales au niveau de la branche, et non pas de l'entreprise, ce qui aurait pour le coup constitué une véritable révolution copernicienne en la matière.

La réforme voulue par Emmanuel Macron, si elle n'a sans doute pas la portée «révolutionnaire» qui lui est prêtée de part et d'autre, revêt cependant bien une signification particulière dans le cadre de la geste macroniste. Celle de la fin, peut-être définitive, du fameux «En même temps», dont il avait fait son étendard durant la campagne électorale, pour faire venir à lui des électeurs issus de divers horizons. De la rigueur budgétaire et, EN MÊME TEMPS, de la distribution de pouvoir d'achat, pour les classes moyennes en particulier. De la flexibilité, et EN MÊME TEMPS, de nouvelles sécurités pour les salariés.

Or cet équilibre subtil a déjà été largement battu en brèche par les décisions budgétaires de l'été. Si les coupes claires dans les dépenses sont bel et bien au rendez-vous, les mesures pour le pouvoir d'achat (suppression de la taxe d'habitation, baisse des cotisations salariales…) ont ,elles, été, sinon reportées sine die, du moins étalées dans le temps. Un hiatus qui a largement contribué à la chute libre de Macron dans les études d'opinion estivales.

La réforme voulue par Macron revêt cependant une signification particulière: celle de la fin, peut-être définitive, du fameux « En même temps ».

Or c'est exactement le même processus qui est à l'œuvre dans le cadre de cette loi Travail. La flexibilité, c'est pour tout de suite, avec diverses mesures qui vont faciliter les licenciements, notamment dans les petites entreprises. La sécurisation, en revanche, ce sera pour plus tard, avec les projets de loi sur la formation professionnelle, ou encore la refonte de l'assurance chômage. Comme si ces derniers n'avaient qu'une importance secondaire. Sauf que, là encore, ce n'est pas ce qui avait été vendu durant la campagne, ou l'on avait compris que flexibilité et nouvelles sécurités iraient de pair, dans le cadre de cette emblématique loi Travail.

Ainsi le message est-il désormais clair: au règne du «En Même Temps», a bel et bien succédé celui du «Et Après». Et l'ordre des priorités est toujours le même: les mesures de libéralisation, dans l'esprit de Macron, sont systématiquement prioritaires par rapport aux autres. Or la confirmation de cette évolution rapide de la doxa macronienne pourrait bien avoir des effets délétères pour l'exécutif, semblables à ceux qu'avait pu pour François Hollande l'abandon tout aussi précipité de sa doctrine «Mon ennemi, c'est la finance.» Le résultat pourrait être une réduction de son socle électoral déjà restreint à l'origine, à une seule fraction de la droite social-réformiste, quitte à laisser de côté la moitié de l'omelette issue de la gauche. En accomplissant cette évolution, Emmanuel Macron pense peut-être améliorer la lisibilité de son action. Il risque surtout de rendre périlleuse la suite de son quinquennat.

Code du travail : le crépuscule du « en même temps »

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13 commentaires
  • 2924137 - profil très modéré

    le

    Macron a été élu par un électorat centriste, ou qui s'est centralisé pour la circonstance. Historiquement, et dans tous les pays démocratiques, l'électorat centriste est instable, velléitaire pour une part, minoritaire en vitesse de croisière et surtout infidèle. Il est en train de partir comme il est venu, en quelques mois. Macron n’avait pas de programme et a organisé/réveillé des affaires en tous genres (Fillon, Ferrand, Bayrou) pour éviter d’en parler. Il a ainsi été élu, mais par seulement par 42% du corps éléctoral. Reste maintenant à savoir : pourquoi faire ?

  • Marfel

    le

    Le crépuscule désigne autant l'aube que le couchant
    Il est beaucoup trop tôt pour juger la politique de Macron, les commentateurs sont bien souvent à côté de la plaque, et la lecture droite/gauche est tellement ancrée dans les habitudes... Pour une personne qui risque de voir diminuer son indemnité de licenciement diminuée au prud'hommes, combien de milliers vont la voir augmenter de 25% ?

  • Photo73

    le

    "Comme si ces derniers n'avaient qu'une importance secondaire. "
    peut-être dans cet ordre pour "calmer" le Medef en ayant eu son "repas", la partie suivante sera moins critiquée, ou ça deviendra trop visible, leur avidité perpétuelle (les mesures ne créeront pas d'emploi, elle faciliteront leur éventualité, le pin's Gataz c'était si le Gvt avait tout accordé, mais en première étape, d'autres choses à ajouter ensuite, sans garantir des emplois, juste une facilitation).
    Par contre la cogestion, moitié personnel moitié dirigeants ça n'a pas abouti ou a été oubliée, la France pas encore prête ?

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