Menu
Libération
Décryptage

Soins funéraires pour les séropositifs : y a-t-il vraiment des risques?

Des thanatopracteurs s’insurgent contre la fin de l’interdiction des soins de conservation pour les porteurs du VIH, du VHC et du VHB. En cause: des possibilités de contamination pour les professionnels.
par Florian Bardou
publié le 1er septembre 2017 à 7h34

«C'est une grande victoire dans la lutte contre la #sérophobie Fin juillet, la levée de l'interdiction des soins funéraires de conservation pour les défunts atteints du VIH ou des hépatites B et C a été très applaudie par les associations de lutte contre le sida. Décidée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn après plusieurs tentatives gouvernementales infructueuses, la fin de cette interdiction est en effet l'aboutissement de plusieurs années de lutte (et de consultations) pour mettre un terme à une prohibition discriminatoire envers les personnes séropositives. Elle doit entrer en vigueur au 1er janvier 2018 et s'ajoute par ailleurs à une batterie de mesures afin de mieux encadrer la pratique de la thanatopraxie au domicile des défunts.

Mais cette avancée, préconisée par toutes les instances spécialisées, à l'instar du Haut conseil pour la santé publique depuis 2013, est toujours contestée par une partie des professionnels chargés de ces soins post-mortem. En cause, selon plusieurs thanatopracteurs réunis dans le petit Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés (SPTIS) : les risques «réels» de contamination lors d'accidents d'exposition au sang pendant les soins de conservation «sans possibilité de traitement curatif». «Les familles des défunts porteurs du VIH ou d'hépatites souhaitent-elles au fond d'eux nous voir rejoindre la longue et triste liste des contaminés ?», s'alarment-ils dans une pétition adressée fin août aux pouvoirs publics. Et de poursuivre : «Nous, thanatopracteurs, acceptons de pratiquer des toilettes mortuaires, un acte qui est identique au soin, à l'exception des actes invasifs de conservation, et qui permet de se recueillir dans les mêmes circonstances auprès du défunt.»

Risques chimiques et «biologiques»

Les craintes sont-elles fondées ? D'abord, quelques fondamentaux. Les soins de conservation, savamment appelés thanatopraxie, consistent à injecter dans le système vasculaire un produit antiseptique et conservateur – du formol – à la place du sang afin d'enrayer le processus de décomposition du corps et de retarder une inhumation. On est donc loin de la simple «toilette mortuaire» pour laver, maquiller et habiller une personne décédée. Ces pratiques d'embaumement, peu répandues dans le monde, sont depuis une dizaine d'années en plein essor. Et ce malgré les risques auxquels s'exposent les quelques milliers de thanatopracteurs français, en particulier l'utilisation de produits hautement cancérogènes.

Au cours de ces soins sur les morts, les professionnels sont également exposés à des risques dits «biologiques» lors de la manipulation des corps des morts (coupure, piqûre, exposition au sang…), dont ils n'ont pas systématiquement la connaissance exacte du statut infectieux (viral, bactérien ou parasitaire). Et c'est à ce titre, indique l'Institut national de recherche et sécurité (INRS), que la thanatopraxie a été proscrite par décret depuis 1941 pour une liste de maladies contagieuses comme la variole, la peste ou les fièvres hémorragiques, les corps devant être placés dans un cercueil hermétique après un décès à domicile.

Depuis un arrêté du 17 novembe 1986, pris en pleine épidémie du sida, le VIH, mais aussi les hépatites B et C, faisaient également partie des infections privant de soins funéraires, y compris «les simples manipulations, communément appelées soins de préparation comme le maquillage ou l'habillage». Une interdiction, qui rappelons-le, n'a jamais valu pour les autopsies scientifiques, n'a jamais été mise en place aux Etats-Unis et était motivée selon les pouvoirs publics de l'époque par les risques de contamination.

«Aucun cas documenté de contamination»

Cependant, l'état actuel des connaissances scientifiques ainsi que la palette d'outils de prévention permet aujourd'hui d'affirmer que le risque théorique de contamination lors d'un accident d'exposition au sang (de 0,2 à 0,5% pour le VIH et autour de 2% pour le VHC) peut être contrecarré. Selon l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) «une rupture d'égalité des soins» entre personnes séropositives et séronégatives n'est donc pas justifiée.

«Tous les corps morts sont dangereux, mais s'ils suivent les précautions universelles [l'ensemble des mesures pour éviter la propagation d'une infection comme le port des gants ou l'usage de matériel stérile recommandé par l'OMS, ndlr], il n'y a aucun souci pour la santé des thanatopracteurs», rassure à ce sujet le représentant d'Elus contre le sida (ELCS) Jean-Luc Roméro, militant de longue date de la lutte contre le sida.

Prenons l'exemple du seul VIH. «Depuis une trentaine d'années, il n'y a aucun cas documenté de contamination au VIH», rappelle d'abord Enzo Poultreniez de l'association Aides. L'argument avancé par les opposants à la levée de cette interdiction est l'idée selon laquelle c'est la prohibition des soins de conservation qui a permis de prévenir des cas de séroconversion. C'est cependant omettre qu'en France, – comme le rappellent des associations dans un courrier récent ainsi que les dernières données de l'Inserm, 25 000 personnes vivent avec une séropositivité qui n'a pas été diagnostiquée et qu'environ 60% des nouvelles contaminations viennent de personnes non diagnostiquées.

Renforcer les mesures de protection

Conséquences : des soins de thanatopraxie ont donc vraisemblablement été donnés à des défunts séropositifs sans que les professionnels ne soient au courant, et ce dans des contextes à risque comme le domicile des personnes décédées. «Et l'épidémie de VHC cachée est bien plus importante encore. En termes de santé publique, la seule solution, c'est donc de prendre toutes les précautions en matière de protection», poursuit Enzo Poultreniez. Par ailleurs, aujourd'hui, près de 80% des personnes infectées par le VIH sous traitement antirétroviral ont une charge virale indétectable et ne transmettent plus le virus. «Et les derniers travaux scientifiques montrent bien que la charge virale ne remonte pas en 48 heures. Il n'y a pas de raison que le virus se mette à répliquer au moment du décès», complète le militant de Aides.

Notons enfin qu'il existe, en plus de la possibilité de se vacciner contre l'hépatite B (une obligation pour les thanatopracteurs depuis 2016), différents types de traitements contre le VIH, mais aussi les hépatites virales, qui ont fait leurs preuves. C'est le cas des nouveaux traitements post-exposition contre le VHC, qui entraînent une guérison dans 95% des cas, mais aussi des traitements préventifs comme le Truvada ou le Traitement post-expositions (TPE) – en cas d'incertitude infectieuse par exemple – contre le VIH, déjà utilisés par les professionnels de santé exposés.

«Il y a des protocoles précis prévus en cas de coupure ou d'accident. Si les professionnels se protègent, et la plupart se protègent bien, il n'y a donc aucune raison pour qu'il y ait des cas de contamination», observe pour sa part Richard Féret, délégué général de la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie (CPFM). Et ce représentant des métiers du post-mortem de conclure : «Aujourd'hui, l'enjeu c'est donc de mieux encadrer les soins funéraires à domicile et renforcer les mesures de protection au sens large avec de la formation continue et davantage de contrôle.» Tout en sachant que le risque zéro n'existe pas.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique