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Libération
Reportage

Marseille, «le vélo est une cause perdue ici»

Très en retard sur les aménagements cyclistes, la ville a annoncé récemment vouloir donner un coup d’accélérateur.
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille Photo Patrick Gherdoussi. Divergence
publié le 1er septembre 2017 à 20h16

Des voitures sur le tracé vert, une signalisation vétuste, un garage à vélo sans rien pour attacher un vélo... Pendant des années, Philippe, cycliste marseillais, a recensé sur son blog les obstacles qu'il rencontrait sur sa piste. «J'ai lâché l'affaire d'un point de vue militant en 2014, raconte-t-il. Je continue à pédaler tous les jours, mais en appliquant la maxime : "S'ils ne me respectent pas, au moins qu'ils me craignent !"» Même sans nouveaux articles, son blog attire toujours de nombreux cyclophiles marseillais désespérés par une situation qui n'a guère évolué. «A l'époque, boulevard Chave, je photographiais des bagnoles mal garées, relève Philippe. Aujourd'hui, ce sont des terrasses de bar entières qui occupent la piste cyclable ! Le vélo est une cause perdue dans cette ville.»

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Marseille, capitale de la déprime à vélo ? Les chiffres le confirment : les 130 km de pistes cyclables annoncées par la métropole (moitié moins, selon les associations) font pâle figure au regard des 600 km lyonnais et des 700 km de Paris. Avec 1,5 % de ses actifs allant au travail à vélo, selon l'Insee, Marseille figure en queue de classement des grandes villes, bien loin de Strasbourg (16 %). La faute à la topographie en pente de la ville, à son étalement, à la toute puissance de la voiture, à la dangerosité… Tout a été brandi par les détracteurs du vélo urbain pour justifier un retard persistant. «C'est l'inverse, rétorque Cyril Pimentel, du Collectif vélos en ville (CVV). Marseille, avec ses nombreuses petites rues, n'est pas fait pour la voiture. On essaie de trouver des raisons, mais ce ne sont que des excuses. C'est une question de volonté politique.» Il y a bien eu la mise en place, il y a dix ans, de 1 000 vélos en libre-service, avec un certain succès. «Cela a donné de la visibilité aux cyclistes, convient Cyril Pimentel. Mais depuis, aucun aménagement important n'a été fait.»

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Depuis sa création en 1996, le CVV, qui compte 1 600 membres, multiplie les initiatives pour promouvoir l'usage du vélo en ville et faire évoluer les mentalités : atelier de réparation solidaire, événements festifs, balades mais aussi alertes auprès des pouvoirs publics.«Ce qui manque vraiment aux élus, c'est du courage, insiste Cyril Pimentel. Sur ce point, la maire de Paris nous donne une belle leçon : elle se bat contre la préfecture pour imposer son plan alors qu'ici, le préfet devrait taper du poing sur la table ne serait-ce que pour faire appliquer la loi Laure! » L'association a intenté plusieurs recours au tribunal administratif contre la métropole pour faire respecter l'article L228-2 du code de l'environnement (qui reprend désormais la loi Laure) rendant obligatoire la réalisation d'aménagements cyclables lors de travaux de voirie. Sur les sept procès intentés, le CVV a tout gagné.

Pour Jean-Pierre Serrus, vice-président délégué à la mobilité de la toute nouvelle métropole Aix-Marseille Provence, cela ne sert à rien de ruminer les erreurs passées. «Qu'il y ait eu des lacunes, j'en conviens. Mais avec la mise en place de la métropole [en 2016], les choses ont évolué. Avant, on concevait des projets et on se demandait a posteriori ce que l'on faisait avec les modes de déplacements actifs. Aujourd'hui, c'est intégré à la réflexion.» Dans son «agenda des mobilités» adopté fin 2016, la métropole affiche ses ambitions : une diminution de 8 % de l'usage de la voiture doublée d'une augmentation de 25 % des déplacements actifs (marche, vélo), le tout assorti d'un financement de 350 millions d'euros. Un plan spécifique avec un focus sur le vélo est aussi annoncé pour 2018. «Des promesses comme ça, on en a eu des centaines et rien n'est fait, balaie Cyril Pimentel. Mais on attend d'être surpris !» Les deux parties s'accordent sur une bonne nouvelle : cette année, Marseille va enfin rejoindre le Club des villes et territoires cyclables, qui tiendra même son congrès annuel dans la cité le 10 octobre. Jusque-là, la ville boudait l'institution, qui compte pourtant 1 500 adhérents, dont toutes les grandes agglomérations françaises. Il va maintenant falloir pédaler sec pour rattraper le peloton de tête.

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