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Analyse

Thon rouge: le Japon pris la main dans le filet

Toujours fragile en mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique, le thon rouge est en voie de disparition dans le Pacifique, où il souffre de l’énorme appétit japonais. En cause, des quotas de pêches non respectés, des poissons capturés trop jeunes et des prises sans autorisations préalables.
par BIG, Infographie et Estelle Pattée
publié le 1er septembre 2017 à 19h46

Le 16 août, le chalutier Vila Do Infante, long de 25 mètres et battant pavillon portugais, était dérouté sur le port de Lorient. A son bord, plus de 45 tonnes de thon rouge, pêchées sans autorisation. Le palangrier et sa cargaison ont été saisis. Mais il n'y a pas que dans l'Atlantique que la pêche illégale fait des dégâts. Protégé au niveau international, le thon rouge est toujours aussi demandé.

Sur le marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo, Kiyoshi Kimura, patron de la chaîne de restaurants Sushi Zanmai, posait fièrement le 6 janvier, sous les flashs des photographes, devant un thon rouge de 212 kilos. Ce tout premier poisson de la criée 2017 a été adjugé pour 605 000 euros. En 2013, le même restaurateur avait déboursé plus d'un million d'euros pour un thon de 220 kg. Un record. Pourtant, derrière ces images, l'espèce du Pacifique est gravement menacée par la surpêche. Le 27 avril, les pêcheurs japonais en avaient déjà capturé pas moins de 4 008 tonnes, en avance de deux mois sur leur quota annuel, fixé à 4 007 tonnes. «Malgré des réserves déjà amoindries, l'Agence japonaise des pêches a augmenté le quota de 122,2 tonnes supplémentaires pour le thon rouge du Pacifique de moins de 30 kg dans quatorze préfectures», regrette Amanda Nickson, responsable de la préservation de l'espèce pour l'organisation Pew Charitable Trusts (PCT), contactée par Libération.

La lutte contre la surpêche du thon rouge du Pacifique - qui figure depuis 2014 dans la catégorie «vulnérable» de la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature - a pourtant fait l'objet de mesures ces dernières années. En 2014, les membres de la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central (WCPFC), créée en 2004 pour protéger les espèces de poissons dans l'ouest et le centre de l'océan Pacifique, et dont le Japon fait partie, avaient trouvé un accord pour limiter la capture du poisson non adulte. Et ainsi «rétablir la biomasse du stock reproducteur». La pêche des thons de moins de 30 kg devait être réduite de moitié par rapport aux prises moyennes entre 2002 et 2004, tandis que celle concernant les plus de 30 kg ne devait pas dépasser cette même moyenne. De son côté, la Commission interaméricaine du thon des tropiques (IATTC), qui est, avec le WCPFC, responsable de la gestion des stocks de thon rouge mais pour l'est de l'océan Pacifique, a adopté en 2016 ses propres quotas de pêche.

Pratiques illégales

«Pour respecter la mesure adoptée par la WCPFC, le Japon a mis en place une limite de capture au niveau national, explique à Libération Aiko Yamauchi, responsable du «Oceans and Seafood Group» pour le WWF Japon. Cette année, celle pour les petits poissons, c'est-à-dire inférieurs à 30 kg, a été dépassée.» En cause : une série de pratiques illicites. Ces prises illégales - c'est-à-dire sans l'obtention du permis de pêche approprié - seraient monnaie courante dans certaines préfectures du pays, tout comme les pêches non répertoriées auprès des coopératives. Ce à quoi s'ajoute «la prise accessoire, dans les filets de pêches, de petits thons rouges du Pacifique par les bateaux senneurs», décrit Aiko Yamauchi.

«L'état de l'espèce dans le Pacifique est une source de préoccupation extrême et assurer l'avenir de cette population est primordial», alerte Amanda Nickson. Selon la dernière évaluation de stock réalisée le 18 avril 2016 par le Comité scientifique international pour les thonidés et les espèces apparentées dans l'océan Pacifique Nord, la surpêche a provoqué une baisse de 96,4 % de la population du thon rouge du Pacifique depuis 1952. Les stocks de l'océan se sont effondrés pour atteindre seulement 2,6 % de leurs niveaux historiques. Les thons juvéniles (âgés de moins de trois ans) y sont les plus vulnérables. Or il faut entre trois et cinq années pour que le thon rouge du Pacifique atteigne l'âge de se reproduire.

Volonté politique

En juillet 2016, le PCT a demandé un moratoire de deux ans sur la pêche commerciale du thon rouge du Pacifique qui, selon l'organisation, «mettrait un terme à la surpêche immédiatement et aiderait à rétablir les stocks». Pour Amanda Nickson, il s'agit de la solution ultime «si les gestionnaires ne parviennent pas à s'entendre sur un plan de reconstitution cette année». Douze ONG, dont WWF ou encore Greenpeace, ont répondu à l'appel, rejointes par 58 scientifiques.

L'idée d'un moratoire avait été rejetée par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT), quand il s'agissait de sauver le thon rouge de Méditerranée et de l'Atlantique, dont les stocks avaient considérablement chuté entre 1997 et 2007. A la place, l'ICCAT, qui réunit 47 pays et l'Union européenne, avait décidé de baisser de plus de moitié les quotas de pêche, tout en interdisant aux pêcheurs de capturer des thons trop jeunes. Une réussite. Menacée d'extinction en 2007, l'espèce se porte aujourd'hui mieux. A tel point qu'en 2014, l'ICCAT a décidé de rehausser progressivement les quotas. Et ce, contre l'avis des scientifiques, qui appellent à la prudence. «Si l'on continue ainsi, il sera très facile pour les populations de thon rouge de l'Atlantique de décliner à nouveau, regrette Amanda Nickson. Protéger les thonidés de l'Atlantique et du Pacifique se résume à une chose : la volonté politique», ajoute-t-elle. Le Japon, qui consomme près 80 % du thon rouge mondial, prend ce problème très au sérieux. «Le pays s'est engagé à compenser la surpêche de poissons de cette année par de nouveaux quotas l'année prochaine», assure Aiko Yamauchi, qui a assisté en avril à une rencontre internationale sur le thon rouge à Tokyo. Fin août, les membres de WCPFC et de l'IATTC se sont réunis en Corée du Sud. Après une semaine de discussions, ils sont parvenus à un accord pour que les stocks atteignent 20 % du niveau historique d'ici 2034. «C'est seulement une première étape, a réagi vendredi, auprès du Washington Post,James Gibbon du PCT. Nous devrons nous assurer que les pays respectent les engagements.»

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