3451. 120 battements par minute, de Robin Campillo.

Prod DB-C. Nieszawer-Les Films de Pierre-France 3 Cinema-Page 114-Memento Films Prod.-FD Prod./ DR
120 BATTEMENTS PAR MINUTE de Robin Campillo 2017 FRA.

Image tirée de 120 battements par minute, de Robin Campillo.

Prod DB-C. Nieszawer-Les Films de Pierre-France 3 Cinema-Page 114-Memento Films Prod.-FD Prod.

"Un vieux serpent de mer", c'est ainsi qu'est qualifié le projet de centre LGBT qui n'a jamais vu le jour à Paris. Réclamé depuis plusieurs décennies par de nombreuses associations, dont Act Up, l'idée d'un lieu de transmission et de mémoire revient sur le tapis.

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En 2002, le projet capte pourtant l'attention de la municipalité qui, sous Bertrand Delanoë, prête un local et verse 100 000 euros de subventions publiques, avant de retourner dans les cartons de la mairie. A plusieurs reprises, des sursauts font croire à l'ouverture imminente d'un Centre d'archives et de documentation homosexuelles de Paris (CADHP), mais des conflits internes et le manque de fonds l'empêchent de naître.

Pourquoi serait-ce différent aujourd'hui? "Avec la sortie de 120 battements par minute (120BPM) [qui raconte quelques années de la lutte contre le sida, chez Act Up], on se rend compte de l'ignorance des jeunes en ce qui concerne cette histoire", explique Gwen Fauchois, militante et vice-présidente d'Act Up Paris dans les années 90. Elle craint aujourd'hui que cette mémoire ne disparaisse au cours des prochaines années.

"J'ai pris conscience de ce que je dois à ma communauté"

Parlant de 120BPM, le cofondateur de l'association Didier Lestrade écrivait sur Slate l'an dernier qu'il pourrait "marquer le début d'un revival historique sur la place importante de notre pays dans la lutte contre le sida". Il le constatait alors lui-même: "Le souvenir s'évapore chez les gays."

Et c'est vrai. A la sortie du film, Vincent Daniel, journaliste à FranceInfo, découvre l'histoire d'Act Up Paris, "donc celle de la communauté sida et donc de la communauté LGBT". "Comment pouvais-je ignorer tout ça?" s'interroge le trentenaire dans un billet publié sur Medium. "Ce film relate des faits qui ont moins de 30 ans... Des actions qui se sont déroulées alors même que j'étais né." Pris d'une "immense soif de connaissances", il se met à la recherche d'archives, mais n'en trouve que des bribes, éparpillées.

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Comprenant l'importance de cette histoire, qui est aussi la sienne, il veut en savoir plus. Un sentiment largement partagé autour de lui. "C'est plus qu'un film, c'est une histoire qu'on doit faire vivre," confie-t-il à L'Express. "Personne ne m'a appris l'histoire des luttes. Aujourd'hui, je dis facilement que je suis pédé, sans que cela pose problème. Mais je me rends compte à présent qu'il y a trente ans, j'aurai été un marginal ou un fou de le faire, explique-t-il. J'ai pris conscience de ce que je dois à ma communauté."

"Connaitre et choisir nos héritages est un acte politique," analyse Benjamin, militant gay, qui trouve "révélateur de devoir encore expliquer l'origine de la Marche des Fiertés aux personnes qui y défilent". "Quand la socialisation passe par la honte, l'estime de soi-même se fait par l'appropriation de cet héritage", explique le jeune homme de 26 ans. Mais la tâche n'est pas aisée. "Toutes ces histoires sont disséminées et peu de personnes travaillent à les inscrire dans des séquences historiques et politiques."

La plus grande collection d'archives chez un particulier

"De nombreux homosexuels sont morts pendant les années relatées par 120BPM. Avec eux, de nombreux documents ont disparu," raconte Gwen Fauchois, qui a enterré de nombreux proches dans les années 1990. "Même nous, qui sommes encore là, commençons à être un peu âgés. Et au fil des déménagements, les documents qu'on essaie de conserver se perdent."

L'archivage du mouvement est une idée portée par Act Up depuis ses débuts. "On gardait les tracts, les magazines, les photos, tout ce qu'on pouvait," explique Gwen Fauchois, qui précise que l'association a envoyé de nombreux documents aux archives nationales. "Ce n'est pas assez. Pour le moment, la préservation ne dépend que de petites associations et d'initiatives personnelles."

Et pour cause. Si le MuCem de Marseille, la Bibliothèque de Lyon et le centre LGBT de Paris mettent à disposition des archives, il n'existe pas de collection de taille à disposition du public dans la capitale. Il y a pourtant de quoi faire. Phan Bigotte, président de l'Académie Gay & Lesbienne, possède la plus grande collection d'archives LGBT de France. "Elles recouvrent plus de 300m² dans mon pavillon," raconte ce rescapé du sida, qui réclame un local pour stocker ces objets depuis 17 ans. "Je veux redonner ce que j'ai reçu de la France pour mon traitement. Ces objets, je les ai sauvé de la benne à ordures. Je ne demande pas de subventions, seulement un local."

Des avancées obtenues par la lutte

"Je suis en colère contre la mairie de Paris, le ministère de la Culture et celui de la Santé, s'énerve Gwen Fauchois. La municipalité pourrait engager quelqu'un pour scanner ces documents. Ce serait déjà une vraie voie d'accès vers la mémoire, accessible à tous." Capitale de l'hécatombe des malades du sida, la ville "fuit sa responsabilité", dénonce la militante.

Anne Hidalgo a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de faire de Paris une capitale du tourisme LGBT, ainsi que de voir aboutir le projet d'archives. Mais, interpellée par Didier Lestrade à ce sujet mercredi, la maire renvoie la patate chaude à l'Etat. "Je suis prête à accompagner le gouvernement pour avancer en ce sens avec le monde associatif et les archives publiques", indique-t-elle dans un tweet."Tout le monde se renvoie la balle pendant que nous sauvons la mémoire des poubelles," souffle Phan Bigotte.

Cependant, la Mairie de Paris se défend. "Les tweets de la Maire sont très explicites sur le fait que c'est un travail collectif qui doit être mené et non un travail porté seul par la ville de Paris", indique à l'Express son service de presse. "Personne ne renvoie la balle à personne. C'est un projet qui doit être porté à l'échelle nationale car il touche tous les citoyens français et toute la communauté LGBT, pas seulement Paris," souligne la municipalité. Elle précise également que la ville continue de mener un travail en ce sens avec les associations et que le rapport "Paris, ville phare de l'inclusion et de la diversité", demandé par la maire à Jean-Luc Romero, "contient une recommandation qui va en ce sens".

"La mairie n'a qu'une vision commerciale, complètement dépolitisée, accuse quant à elle Gwen Fauchois. Or, la mémoire est politique. Les jeunes doivent savoir que toutes ces avancées ont été obtenues par la lutte et non parce que des politiques les ont accordées."

Benjamin confirme: "Ces histoires façonnent nos esprits, notre rapport au monde. Elles nous permettent de résister et de s'organiser face au pouvoir." En partie relatées dans 120BPM, elles ont cette fois ému la France. Vincent Daniel s'agace: "Les gens trouvent ça touchant, mais nous voulons surtout leur dire qu'au-delà du sentiment, nous ne pourrons bientôt plus raconter cette histoire."

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