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Edouard Philippe sur la réforme du Code du Travail : "Ce n'est que le début"

INTERVIEW - Au lendemain de la présentation des ordonnances, Edouard Philippe livre au JDD son analyse des rapports de force, et détaille la suite du processus de "transformation".

Rédaction JDD , Mis à jour le
"Nous sommes au rendez-vous de l’ambition fixée par le Président", se réjouit Edouard Philippe.
"Nous sommes au rendez-vous de l’ambition fixée par le Président", se réjouit Edouard Philippe. © Sipa

Après avoir présenté le contenu des ordonnances réformant le Code du travail , jeudi, Edouard Philippe s'explique dans le JDD. "L’accueil des ordonnances [par les syndicats] est pour moi la reconnaissance de la qualité de la méthode que nous avons mise en œuvre", se félicite-t-il, même si "la victoire ne se mesurera pas contre les syndicats, mais contre le chômage." Edouard Philippe estime que "les cinq ordonnances répondent aux objectifs que nous nous étions fixés", assurant qu'elles vont dans le sens de la "transformation en profondeur du droit du travail" annoncée par Emmanuel Macron durant sa campagne. Le locataire de Matignon évoque aussi les prochaines réformes, son rôle de "chef d'orchestre" du gouvernement et ses rapports avec Les Républicains, qui veulent l'exclure du parti.

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Les ordonnances sur le droit du travail semblent assez bien accueillies par les syndicats, hormis la CGT. Considérez-vous que la première manche est gagnée?
La victoire ne se mesurera pas contre les syndicats, mais contre le chômage. L'accueil des ordonnances est pour moi la reconnaissance de la qualité de la méthode que nous avons mise en œuvre. Les objectifs étaient clairs, personne n'a été pris par surprise. Et nous avons intégré dans le texte beaucoup de propositions ou points de vigilance formulés par les organisations syndicales et patronales.

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Les ordonnances, Macron, la droite : Edouard Philippe s'explique dans le JDD

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Il semble tout de même qu'il n'y aura pas de front commun contre votre réforme, comme cela avait été le cas contre la loi El Khomri. Vous vous en félicitez?
Dans le cas que vous citez, l'opposition avait été très vive car la méthode avait été radicalement différente - la réforme n'avait pas été annoncée et elle était mal préparée. Avec Muriel Pénicaud, nous avons fait l'inverse. Le Président en avait parlé avant son élection ; j'avais présenté les objectifs, la méthode et le calendrier avant les législatives. Les Français nous ont donné une majorité nette. Ensuite, nous avons fait ce que nous avions annoncé, en écoutant les partenaires sociaux.

"Nous avons entendu sur plusieurs points les préoccupations des syndicats"

La rédaction finale des textes va-t-elle aussi loin que vous le souhaitiez ou avez-vous été obligé de faire beaucoup de concessions?
Les cinq ordonnances répondent aux objectifs que nous nous étions fixés : apporter plus de souplesse au droit du travail pour libérer les énergies, favoriser la création d'emplois, tout en créant de nouvelles sécurités. Mais dans la discussion, nous avons entendu sur plusieurs points les préoccupations des syndicats.

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Celles de FO en particulier?
Pas seulement. Il ne pouvait y avoir d'interlocuteur particulier même si la discussion est toujours plus constructive avec les organisations qui se placent dans une perspective d'ouverture. En tout cas, nous voulions favoriser le dialogue social dans l'entreprise ; nous le faisons, en particulier dans les plus petites – il sera par exemple possible, dans les entreprises de moins de 20 salariés, de conclure des accords avec les salariés même en l'absence de représentants syndicaux. Nous voulions sécuriser les décisions prises dans l'entreprise pour donner de la visibilité et de la prévisibilité aux chefs d'entreprise, nous le faisons.

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Ceux qui pensent qu'on peut faire reculer le chômage en mettant en œuvre simplement une politique, sur un front unique, se trompent. Il faut une action globale.

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Emmanuel Macron a parlé de "révolution", cela en est une?
C'est une transformation en profondeur du droit du travail. Sur ce volet-là, je pense que nous sommes au rendez-vous de l'ambition fixée par le Président. Bien sûr, il y a d'autres volets dans notre agenda de rénovation du modèle social français. Ceux qui pensent qu'on peut faire reculer le chômage en mettant en œuvre simplement une politique, sur un front unique, se trompent. Il faut une action globale. Attaquer le chômage sous tous les angles : les réticences à l'embauche des patrons des petites et des très petites entreprises, bien sûr, et c'est l'objet principal des ordonnances ; mais aussi le coût du travail - nous allons y apporter des réponses fortes avec la transformation du CICE et la baisse des cotisations patronales ; le pouvoir d'achat des salariés, avec la baisse des cotisations salariales dès le 1er janvier 2018 et la hausse de la prime d'activité, parce que le travail doit mieux payer et que nous voulons inciter davantage les chômeurs à retrouver un emploi. Il faut aussi une politique d'investissement et améliorer la formation professionnelle : vous pouvez avoir mille raisons d'embaucher, vous ne le ferez que si vous trouvez la personne qui sait accomplir les tâches dont vous avez besoin.

"Une concertation pour arriver à une transformation profonde de la formation et de l'apprentissage qui prendra forme au printemps prochain"

C'est donc la deuxième étape : la réforme de la formation professionnelle. Quand sera-t-elle engagée?
Dès la fin de ce mois nous engagerons une concertation pour arriver à une transformation profonde de la formation et de l'apprentissage qui prendra forme au printemps prochain. Là aussi, le calendrier et les objectifs ont été annoncés. Nous n'avançons pas masqués.

Réformer notre système de formation professionnelle, c'est toucher au financement des syndicats. Ne craignez-vous pas des oppositions plus tranchées que sur le droit du travail?
La formation professionnelle ne sert pas à financer les syndicats. Elle sert à aider les individus à apprendre un travail pour trouver un emploi. C'est cela qui ne marche pas assez bien et qu'il faut donc améliorer. C'est l'engagement du Président, c'est notre responsabilité. Il est hors de question de renoncer à réformer par crainte de froisser tel ou tel. Nous allons dialoguer avec les partenaires sociaux, avec le même respect et la même écoute que nous l'avons fait tout l'été, et nous allons avancer. Si les Français ont élu Emmanuel Macron et nous ont donné une majorité, c'est pour que ça change. Donc il faut y aller! [A cet instant, ses poings se serrent, découvrant ses boutons de manchette avec l'inscription : "May the force be with you".]

Que souhaitez-vous modifier dans le régime d'assurance chômage?
Le Président a annoncé les grands axes : élargir l'assurance chômage aux indépendants et aux démissionnaires, favoriser le retour à l'emploi le plus rapidement possible. Par ailleurs, la situation ­financière de l'assurance chômage reste précaire.

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Les résultats de cette politique ne seront pas immédiats - c'est bien pourquoi il faut se dépêcher de la mettre en œuvre!

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François Hollande avait demandé à être jugé sur la baisse du chômage ; sur quoi souhaitez-vous être jugé?
Soyons clairs : les résultats de cette politique ne seront pas immédiats - c'est bien pourquoi il faut se dépêcher de la mettre en œuvre! Ce qui compte, c'est de faire redémarrer le pays : cela se mesure par le taux de croissance, par les créations d'emplois, on ne peut pas se focaliser sur un seul indicateur. Quand ils observent le pays, les Français portent un jugement global…

Et ils "détestent les réformes"? C'est le Président qui l'a dit…
[Moue amusée.] Ce qu'a dit le Président, c'est que nos concitoyens n'acceptent pas les tentatives non expliquées et non justifiées de modifier tel ou tel paramètre de notre modèle social. Mais il a dit aussi que, lorsque le pays est au pied du mur comme aujourd'hui et qu'on donne le sens des efforts demandés, il trouve toujours les ressources nécessaires pour se transformer.

"Je ne suis pas Wikipédia"

Votre prestation de rentrée, jeudi au micro de Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, était confuse. Etiez-vous mal préparé?
Quand je sais, je sais ; quand je ne sais pas, je ne sais pas et je le dis. Je connais tellement de gens, en politique, qui font semblant de savoir et qui vous empapaoutent… Moi pas. Je ne connais pas tous les chiffres par cœur, je ne suis pas Wikipédia.

Avez-vous le sentiment d'avoir trouvé votre place à côté d'un chef de l'Etat qui vous laisse peu de lumière?
Nous faisons, lui et moi, la même lecture de nos institutions. Le Président est la clé de voûte du système. Moi, je mets en œuvre la politique sur laquelle il s'est engagé. Nous le faisons dans la confiance et dans la fluidité. Dans son interview au Point, il donne la profondeur, la direction, la cohérence. En présentant les ordonnances, je les traduis en actions concrètes. Nous sommes complémentaires.

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La seule image que je trouve ­comparable au chef de gouvernement, c'est chef d'orchestre.

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Il prône "l'héroïsme en politique", mais peut-être que cela ne vaut pas pour le premier ministre…
[Sourire.] Devant le Congrès, il a dit combien la réforme du pays serait un exercice difficile et il m'a souhaité "bon courage"… Mais il ne faut pas dramatiser. Si la tâche est difficile, il ne s'agit pas non plus d'un sacrifice.

Faut-il comprendre que vous concevez votre rôle comme celui d'un mécano en chef?
La seule image que je trouve ­comparable au chef de gouvernement, c'est chef d'orchestre. Je ne me prends pas pour le compositeur, ni pour le premier soliste, et pas davantage pour le ­percussionniste au fond de la salle.

L'Allemagne a obtenu des résultats contre le chômage en baissant massivement les coûts salariaux, par le développement des petits boulots et des temps partiels. Est-ce un exemple?
Nous n'envisageons pas ce type de politique.

Certaines études économiques concluent que modifier le droit du travail ne favorise pas la lutte contre le chômage. En tenez-vous compte?
Ce qui est clair, c'est que notre droit du travail actuel ne favorise pas la création d'emplois. Et c'est confirmé par de nombreux Prix Nobel. Notre réforme est indispensable, mais ce n'est pas un remède miracle : c'est l'un des instruments qui doivent contribuer à faire reculer le chômage. C'est un processus global. Nous n'en sommes qu'au début.

"Je ne peux pas imaginer que, face à de tels enjeux, on soit prisonnier d'une appartenance partisane"

Vous annonciez un double objectif de flexibilité et de sécurité ; en facilitant les licenciements, n'allez-vous pas d'abord favoriser la précarité?
La première sécurité, c'est de ­travailler, donc que des emplois soient créés. Je le répète, il y a dans notre réforme des éléments de sécurisation. Donner de la ­prévisibilité, par exemple, sur l'indemnité de licenciement, que nous allons augmenter de 25%.

Quand?
Le décret permettant l'augmentation des indemnités de licenciement sera publié en même temps que les ordonnances.

Comme député des Républicains, vous aviez voté la censure contre la loi El Khomri. Espérez-vous que, cette fois, la droite soutienne votre réforme?
J'espère que chacun se positionnera en fonction de ce qu'il pense du contenu des ordonnances. Je ne peux pas imaginer que, face à de tels enjeux, on soit prisonnier d'une appartenance partisane.

Vos annonces peuvent donner le sentiment que les mauvaises nouvelles sont pour tout de suite, les compensations pour plus tard…
Ce n'est pas exact. Le pouvoir d'achat des salariés va augmenter dès janvier, grâce à un premier mouvement massif de baisse des cotisations sociales. Nous avons fait un choix politique : nous voulons que le travail paie ­davantage. Beaucoup de Français le ­souhaitent, y compris parmi ceux auxquels nous demandons des ­efforts. Un grand nombre de retraités comprennent que l'on veuille transférer du pouvoir d'achat vers les actifs parce que ce sont leurs enfants ou leurs petits-enfants qui sont concernés.

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Je suis resté chez Les Républicains quand certains ont voulu faire dissidence en créant un groupe concurrent, le RUMP [en 2012] – sans d'ailleurs être sanctionnés.

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Vous annoncez une réforme d'ensemble du logement. Pour l'instant, vous avez réduit les APL et vous dites vouloir aboutir à une baisse des loyers. N'est-ce pas les propriétaires qui vont en être les victimes?
Notre politique du logement ne fonctionne pas alors qu'on y consacre de plus en plus d'argent public – 20 milliards d'euros il y a vingt ans, 42 milliards aujourd'hui. Pour autant, nous ne raisonnons pas en termes budgétaires. Ce que nous voulons, c'est favoriser l'accès au logement pour les plus fragiles et faire construire des logements neufs dans les zones les plus tendues. Nous présenterons dans quelques jours des mesures qui vont dans ce sens.

Si c'est une politique d'ensemble, pourquoi avoir fait tout de suite un coup de rabot sur les APL?
Nous avons dû faire face en ­urgence, pour boucler l'année 2017, à des sous-estimations de dépenses dans le budget préparé par nos prédécesseurs. Pour ­rester dans les clous, nous avons dû ­imposer des économies partout, dans tous les ministères. Nous aurions pu augmenter les impôts, nous ne l'avons pas voulu. Donc nous avons assumé les ­dérives de nos prédécesseurs. Mais qu'on nous juge sur notre politique : celle qui se traduira par le budget 2018.

Les Républicains ont engagé une procédure d'exclusion envers vous et les ministres issus de leurs rangs. Comment réagissez-vous à cette annonce?
Je reste attaché à ce parti, que j'ai contribué à créer. J'y suis resté quand certains ont voulu faire dissidence en créant un groupe concurrent, le RUMP [en 2012] – sans d'ailleurs être sanctionnés. Ce que je fais à la tête du gouvernement est conforme à mes idées et à mes valeurs. Il y a des gens qui se passionnent en ce moment pour ce qui se passe dans les partis politiques, grand bien leur fasse. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de faire avancer le pays.

Par Anna Cabana, Rémy Dessarts et Hervé Gattegno

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