« Une fête comme ça, forcément, ça trie. » Cheveux roses et piercings pluriels, une jeune femme à l’accent de Moselle s’apprête à entrer sous les barnums de la controversée fête du cochon d’Hayange, dimanche 3 septembre. « L’occasion de passer la journée avec des gens qui pensent comme nous. » Son compagnon précise : « Au moins, ici, on ne les voit pas. Tous ceux qui sortent de la mosquée en tenue traditionnelle, en burka et caetera. »
Pour autant, Dennis Schmitz, 30 ans, moitié du crâne rasé et carrure à ne pas chatouiller, n’a pas voté pour. Il sourit de son petit effet de surprise. C’est que ce cariste habite Neufchef, le village voisin. Mais il adhère aux « valeurs » du Front national comme au slogan « Nos traditions d’abord », inscrit en gras rouge sur l’affiche de l’événement.
« Têtes d’affiche » annulées
Cette année, la fête du cochon d’Hayange a encore eu droit à sa polémique, après l’annulation de ses « têtes d’affiche » - les chanteuses Eve Angeli et Enzo Enzo… - affirmant ne pas être au courant du « contexte ». A savoir la tournure identitaire du banquet dans la ville frontiste.
Un jarret dépassant de son assiette en plastique, un homme soupire un « on ne peut plus rien dire dans ce pays » avant de tourner le dos de son blouson de cuir punaisé d’un aigle doré. Michel et Maryse - elle, brushing du dimanche et cils bleutés, lui, lunettes teintées et cheveux gris - prennent le temps d’expliquer leur présence, sans toutefois oser livrer leur nom complet : « C’est facile de taper sur les Arabes, mais c’est aussi facile de taper sur le FN. Si les autres partis n’avaient pas mis certaines questions sous le tapis… » Comme ? « L’identité », répond du tac au tac le retraité de la Fensch : « à force de dire’’venez chez nous et faites comme chez vous’’, on en est là. Il y a une manière de vivre à la française à respecter. Et le cochon en fait partie. »
Manifestation animaliste
A quelques kilomètres de là, Algrange et sa mairie communiste organisent une « Fête du monde », prônant « ouverture » et « vivre ensemble ». Patrick Riollet y prend le soleil lorrain sur l’un des nombreux bancs vides, secouant ses boucles poivre et sel à l’évocation de l’événement limitrophe qui, lui, fait le plein. Hors de question pour ce pianiste de 55 ans de mettre un pied à Hayange ce dimanche : « Ce n’est pas une fête populaire, c’est un rassemblement des électeurs FN. »
Même intransigeance devant le stand « Terre, paix et justice pour les Palestiniens ». Trois amis, dont deux encartés au parti communiste, dissertent de l’impossibilité pour eux de se joindre à leurs voisins. Ils ne veulent pas « cautionner ». « C’est vrai que ça cloisonne », convient Jean-Baptiste Delgenes, enseignant au lycée professionnel d’Hayange. Mais à vrai dire, le citoyen quadra ne sait plus vraiment quoi faire. Ni pour dialoguer, ni pour s’opposer.
A Hayange, d’ailleurs, le discours de Fabien Engelmann a été brièvement perturbé par une association animaliste. A peine le temps de brandir quelques affiches « Ni racisme, ni spécisme » et de lancer du faux sang sur l’édile que la petite dizaine d’opposants était exclue par le service d’ordre sous les « On est chez nous » et la Marseillaise scandés par une foule hystérisée par leur action.
Application directe de ce que prédisait Michel, le matin même, en en perdant l’élégance de son verbe : « A force de balayer le FN d’un revers de main, ça va finir par nous péter à la gueule. »
« On ne va pas déménager dès qu’une mairie devient FN »
Justine Edouin, elle, s’est mêlée à la fête hayangeoise tout en précisant qu’elle n’avait « rien à voir avec tout ça ». A 23 ans, elle est venue écouter ses parents jouer dans la fanfare, et refuse que cela fasse forcément d’elle un soutien du maire.
La voilà d’ailleurs inépuisable sur les affiches « provocantes », vin rouge, cochon et bleu/blanc/rouge - « on sait qui ça cible » - ; ou sur son compagnon à qui on ne tend jamais de flyer FN « parce qu’il est black ».
Elle s’arrête une seconde pour tendre un morceau de gaufre au sucre à son fils de 2 ans, déliant par son geste le silence de son ami. Évidement que le jeune père est « un peu inquiet » que Jared grandisse ici. « Mais il s’y fera, ce sera son quotidien. »
Un peu comme lui qui confie avoir eu l’impression d’être fouillé un peu plus que les autres, à l’entrée. Justine Edouin tranche le débat en attrapant à deux doigts le col de leur fils, pour ralentir sa fuite : « De toute façon, on ne va pas déménager dès qu’une mairie devient FN, sinon on n’a pas fini… »
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