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L’Egypte pratique la torture « à la chaîne »

Dans un nouveau rapport, l’organisation Human Rights Watch estime que les sévices sur des détenus politiques en Egypte constituent « probablement un crime contre l’humanité ».

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Publié le 07 septembre 2017 à 17h18, modifié le 07 septembre 2017 à 17h18

Temps de Lecture 4 min.

Khaled (le nom a été modifié), un comptable égyptien de 29 ans, a été arrêté à Alexandrie par des officiers de la sécurité nationale en janvier 2015 et emmené au quartier général du ministère. Durant l’interrogatoire, les officiers veulent qu’il avoue avoir participé à des attaques sur des véhicules de police. Khaled nie. Un officier le met à nu et lui administre des décharges électriques.

Chocs électriques, positions de stress, coups : les interrogatoires et la torture se poursuivent pendant six jours, sans que Khaled soit autorisé à voir ses proches ou un avocat. « Vous êtes à leur merci : c’est quoi que l’on demande, vous le ferez”. J’ai été électrocuté à la tête, aux testicules, sous les aisselles. Ils chauffent de l’eau et vous la jettent dessus. Chaque fois que je perdais conscience, ils me la jetaient dessus », se souvient-il.

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Khaled a accepté de lire les aveux pré-écrits qu’ils lui ont donnés devant la caméra. Il a avoué avoir brûlé des véhicules de police sur ordre des Frères musulmans. Devant le procureur, il a contesté ces aveux et a dit avoir été torturé. Le procureur s’est contenté de lui dire que ce n’était pas son problème et que s’il ne réitérait pas ses aveux devant lui, il le renverrait se faire torturer.

60 000 personnes ont été arrêtées depuis 2013

Khaled est l’une des 19 personnes, victimes de torture en Egypte entre 2014 et 2016, dont le témoignage est présenté dans le nouveau rapport de Human Rights Watch (HRW) qui dénonce la pratique de plus en plus systématique de la torture en Egypte depuis l’accession au pouvoir de l’armée et du président Abdel Fattah Al-Sissi. La torture de détenus politiques en Egypte « constitue probablement un crime contre l’humanité », ajoute Human Rights Watch.

Selon l’organisation de défense des droits de l’homme, la police et les officiers de l’Agence de sécurité nationale recourent à la torture de façon régulière pendant leurs enquêtes sur des dissidents présumés. Chocs répétés avec pistolet électrique paralysant, coups de poing ou de barre de fer, placement dans des positions douloureuses ou encore viols et menaces de viol figurent parmi les sévices rapportés par HRW.

Généralement accusés d’être membres des Frères musulmans, d’avoir participé à des manifestations illégales ou d’avoir attaqué des locaux de la police ou du gouvernement, les suspects sont soumis à la torture s’ils refusent d’avouer, de dénoncer des proches ou simplement pour les punir. La plupart ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées aux mains des services de sécurité. Les procureurs participent de ce système en refusant d’enquêter sur ces violations. HRW estime que les autorités violent ainsi leur propre Constitution de 2014, laquelle prohibe la torture.

« Depuis juillet 2013, et le renversement par l’armée égyptienne du premier président démocratiquement élu, la torture est redevenue la carte de visite des services de sécurité, et le manque de punition contre sa pratique routinière a défini l’autoritarisme de l’administration du président Abdel Fattah Al-Sissi. La recherche à tout prix de la stabilité politique par le président Sissi a donné au ministère de l’intérieur la main libre, perpétuant les mêmes abus qui ont nourri le soulèvement de 2011 », estime HRW dans ce rapport.

Depuis la chute du président islamiste Mohamed Morsi en 2013 puis l’élection d’Abdel Fattah Al-Sissi, l’ancien chef de l’armée, en 2014, les ONG internationales et égyptiennes dénoncent régulièrement l’action des agents de sécurité contre l’opposition islamiste ainsi que la jeunesse laïque et libérale qui avait mené la révolte de 2011.

Au moins 60 000 personnes ont été arrêtées depuis 2013, selon HRW. La Coordination égyptienne pour les droits et libertés (ECRF en anglais), un groupe de défense des droits de l’homme indépendant, a identifié 30 personnes mortes sous la torture lors de leur détention dans des postes de police ou des sites de détention du ministère de l’intérieur entre août 2013 et décembre 2015, et 14 en 2016.

Revirement américain

Le ministère égyptien des affaires étrangères a dénoncé un rapport « basé sur des témoignages non documentés ». Le rapport « ignore les progrès réalisés par l’Egypte dans le domaine des droits de l’homme ces dernières années », a déploré son porte-parole, Ahmad Abou Zeid. Le pays a pourtant été à de nombreuses reprises critiqué ces dernières années pour une série de lois restreignant les libertés publiques, dont celle de manifester, et tout récemment ciblant les ONG, notamment de défense des droits de l’homme.

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Ce recul en matière de libertés et de droits de l’homme a d’ailleurs motivé la décision des Etats-Unis de réduire leur soutien financier à l’Egypte en dépit des bonnes relations affichées entre le président américain, Donald Trump, et son homologue égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, dont il a salué le rôle de partenaire stratégique en matière de lutte antiterroriste.

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Le département d’Etat américain a confirmé, le 22 août, l’annulation du versement de 65,7 millions de dollars (55 millions d’euros) d’aide militaire et de 30 millions de dollars d’aide civile. Le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, a aussi pris la décision de suspendre le versement de 195 millions supplémentaires d’assistance militaire tant que des progrès n’auront pas été réalisés en matière de respect des droits de l’homme et des normes démocratiques, conformément à une condition émise par le Congrès.

Le ministère des affaires étrangères égyptien a « regretté » dans un communiqué une « erreur de jugement ». Cette décision reflète un « manque de compréhension sur l’importance de soutenir la stabilité de l’Egypte », a-t-il ajouté. L’aide militaire américaine à l’Egypte avait été en partie suspendue en 2013 par l’administration de Barack Obama, en réaction à la répression contre les partisans de l’ex-président Mohamed Morsi, avant d’être rétablie en mars 2015 avec une enveloppe de 1,3 milliard de dollars par an.

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