“Qu’est-ce que nous attendons de la ville idéale ?” En cette époque où les ingénieurs de la Silicon Valley règnent en maîtres, la question était trop difficile pour être prise au sérieux. Sur Twitter, des plaisantins ont ainsi réclamé “des tacos de la mer” et “des distributeurs de bonbons”. Mais derrière les sarcasmes se dessinent les contours d’une nouvelle idéologie montante.

Car cette question a été posée à l’été 2016 par l’incubateur de start-up Y Combinator – à qui l’ont doit l’éclosion de mille projets tels qu’Airbnb, Dropbox, les serres automatisées ou les services de livraison de vin au verre – alors que ses représentants dévoilaient leur dernier programme de recherche : la conception d’une ville à partir de zéro. Une idée “pas si folle”, à en croire le magazine Wired [un mensuel américain sur les nouvelles technologies, très lu dans la Silicon Valley].

Ce qui ne revient pas à dire qu’elle est judicieuse. Car, si l’incubateur pose des questions justes – “Comment la ville peut-elle davantage contribuer au bonheur de ses habitants et les aider à réaliser leur potentiel ?” –, il les assortit malheureusement d’interrogations ridicules, du genre “Comment mesurer l’efficacité d’une ville ? Quels sont ses ICP ?” (indicateurs clés de performance, pour les analphabètes du jargon dit de l’intelligence économique). À peine daigne-t-il mentionner l’existence des urbanistes, architectes et autres chercheurs qui se posent ces questions depuis des siècles : comment fonctionne une ville ? Et comment l’améliorer ?

Ben Huh, fondateur du Cheezburger Network, un empire du Web bâti sur les mèmes [les mèmes sont des phénomènes persistants qui se répliquent et se diffusent sur Internet] et les photos de chats, a été la première recrue du groupe de recherche, baptisé New Cities [nouvelles villes]. “Ce n’est pas l’espace qui manque pour bâtir de nouvelles villes”, s’enflamme-t-il dans un article où il explique pourquoi il a décidé de rejoindre le projet d’Y Combinator. “Les technologies peuvent contribuer à créer un environnement propice [à la formation de cités idéales] dans le monde entier”, affirme-t-il. Son objectif est de “mettre au point un processus de création urbaine qui soit ouvert et reproductible et permette de maximiser le potentiel humain”. Rien que ça.

De son côté, le conglomérat Alphabet (né de Google) planche lui aussi sur la création de villes optimisées. Sa société de technologies urbaines, Sidewalk Labs [lancée en 2015], a déjà installé des accès WiFi publics dans les rues de New York, soit autant de “nœuds d’infrastructure” qui pourront un jour échanger des informations avec des voitures sans chauffeur, le réseau de transport public ou tout autre système urbain. L’entreprise est également associée au ministère américain des Transports dans des projets comme le Smart City Challenge qui a attribué un financement de 50 millions de dollars à la ville de Columbus, dans l’Ohio [voir ci-dessous].

A quoi ressemblerait une ville conçue pour et par Internet?

Les transports sont les premiers visés, mais la révolution ira bien au-delà. Fondateur du Sidewalk Labs et collaborateur de Michael Bloomberg [au sein du cabinet de conseil aux municipalités que l’ancien maire de New York a fondé], Dan Doctoroff s’est demandé “à quoi ressemblerait une ville entièrement conçue pour et par Internet”. Ses équipes ont créé, en novembre 2016, quatre nouveaux “laboratoires” consacrés au logement, à la santé et aux services sociaux, à l’administration et à la collaboration entre communautés. Des projets pilotes devraient être lancés dans plusieurs endroits, avant d’être progressivement étendus.

Présentant cette expansion, Doctoroff a invoqué des “révolutions” passées des technologies urbaines :

L’histoire semble montrer que les principales périodes de croissance économique et de hausse de la productivité ont résulté de l’intégration d’innovations dans notre environnement physique, en particulier citadin. La locomotive, l’électricité et l’automobile ont profondément transformé le quotidien des villes, pourtant celles-ci n’ont plus tellement changé depuis la Seconde Guerre mondiale. Il n’est dont pas étonnant que, en dépit de l’apparition des ordinateurs et d’Internet, nous assistions à un ralentissement du rythme de croissance et de la productivité. Notre objectif est d’accélérer l’innovation urbaine.”

Pour les communicants, nous sommes à l’aube d’un nouveau monde

Personne ne sait ce qui ressortira de ces expérimentations urbaines. Constamment en cours de développement et d’amélioration, sans cesse actualisés, ces chantiers ne sont pas simples à évaluer ou à critiquer. À en croire les communicants chargés de ces projets, nous sommes néanmoins à l’aube d’un monde nouveau dans le