Tribunes

Quand l’intelligence artificielle favorise l’idiotie. Par François Geuze

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"Que sert-il à l’homme de tenir ses yeux ouverts sur le magnifique tableau de la nature, si restant aveugle sur lui-même, il ne fait pas y lire sa grandeur ?" E. Young, "Les Nuits" (1742)

Portée par la force des réseaux et des techniques de la communication moderne, l’on a l’impression que l’intelligence artificielle est partout et dans tous les esprits, et devient alternativement le saint Graal de la performance future de nos organisation ou le pandémonium ou nous tous, pauvres damnés de la terre, tournons autour de l’ange déchu de l’entreprise… 

L’intelligence artificielle a cela d’étonnant qu’elle est souvent décrite comme simulant le fonctionnement de l’esprit humain alors que dans les faits ce n’est pas le cas.

Définir l'intelligence artificielle

Nous avons tout d’abord beaucoup de difficultés à définir ce qu’est l’intelligence (humaine). Une définition intéressante étant que l’intelligence serait ce que l’on fait quand on ne sait pas, si l’on retient la petite phrase de Jean Piaget dans son ouvrage "6 études de psychologie". Alors comment formaliser l’intelligence artificielle ? Comment donner corps à quelque chose que l’on ne connaît pas et dont le fonctionnement et les arcanes restent mystérieux ? C’est assez simple : on simule …

Prenons les exemples des jeux de go ou d’échecs. Les programmes arrivent maintenant à battre les meilleurs joueurs du monde. Sont-ils intelligents ? Non. En dehors de ce pour quoi ils ont étés conçus, ils ne savent rien faire. De plus, leur conception n’a pas tenté de simuler le fonctionnement de notre intelligence. Ils abordent les problèmes de manière différente, radicalement différente. A titre d’exemple, prenons un jeu de labyrinthe et comparons le fonctionnement humain et le fonctionnement d’un algorithme (1). 

Voici un même labyrinthe et la manière dont un être humain et une machine abordent le problème (fig 1 et 2) :

 

L’être humain « voit » naturellement le chemin direct alors qu’en utilisant un algorithme tel que celui de la « main droite » la machine suit les murs (on laisse sa main droite longer le mur en permanence – cela marche également avec la main gauche), quitte à prendre plus de temps. Dans le cadre de ce premier labyrinthe l’être humain est sans contestation vainqueur, mais dans ce second labyrinthe (fig. 3) cela risque d’être plus disputé. Toutefois, parler d’intelligence est ici, vous en serez d’accord, quelque peu exagéré. 

Alors l’apocalypse est-elle pour bientôt ? Le soufflet de l’IA pour tout et n’importe quoi va-t-il retomber comme celui des systèmes experts à la fin des années 80 ? Bien malin qui peut le dire …

Certains prévoient des systèmes « intelligents » d’ici une trentaine d’année (pour ainsi dire une éternité au regard de l’emballement du temps dans l’entreprise), d’autres les voient comme plus lointains encore, pendant qu’un certain nombre, s’emparant du concept et le tordant dans tous les sens, nous vendent des programmes qui automatisent certaines tâches qui jusqu’à présent étaient faites par des collaborateurs. Automatisent, parfois en améliorant les résultats, mais automatisent sans la moindre intelligence. 

X-files

En formulant ces évidences, nous pouvons mettre en évidence l’erreur fondamentale que nous faisons en regardant l’IA tels des papillons du soir attirés par la lumière. La vérité est ailleurs... Nous cherchons, bien souvent au détriment de la plus élémentaire déontologie, à utiliser l’IA sur nombre de champs d’études et d’analyse.

Aujourd’hui, vous n’êtes pas un HR-Winer si vous n’avez pas votre opinion sur le recrutement prédictif, les parcours de compétences bâtis à grand renfort de big-data (ça, c’était l’an passé) ou d’intelligence artificielle (là, c’est cette année), les bots et autres technologies, ou si vous n’avez pas un POC (c’est mieux qu’un test) en cours avec de l’IA. 

Et tout cela pour faire quoi ? Dans la quasi-totalité des cas, la même chose : on nous vend généralement de l’économie d’échelle, de la productivité, de la performance, parfois une amélioration de la qualité … Tout ceci masque l’indigence de nos modes de fonctionnement actuels, de nos procédures obsolètes, d’approches du recrutement, de la formation, de la gestion des carrières, etc … qui datent du siècle dernier. 

Alors que cherche-t-on vraiment à faire ? A remplacer notre imbécilité naturelle par de l’intelligence artificielle ?

Ne gagnerait-on pas à repenser vraiment nos modes de fonctionnement, d’écouter les attentes de nos parties prenantes, de repenser nos critères de performance, le cadre de notre exercice professionnel en intégrant une véritable intelligence des situations ? A vous de voir... Ne restons pas aveugles sur nous même. 

(1) La règle de la main droite (ou de la main gauche) est en la matière assez ancienne. Depuis d’autres algorithmes ont étés élaborés pour résoudre les problèmes de labyrinthes, ils sont toutefois moins accessibles dans le cadre d’un article de vulgarisation tel que celui-ci.

A propos de l'auteur

Fort d'une expérience de 20 ans dans des postes tels que Directeur des Ressources Humaines, de la Stratégie ou des SI, François Geuze possède une expertise reconnue tant dans le domaine des stratégies RH et des SIRH. Auditeur Social pour le compte de e-Consulting RH, il préside également le comité scientifique du HRFiabLab Europe et enseigne au sein de différents Masters RH tels que ceux des IAE de Lille, Montpellier et Paris XII.