Ce jardin du Xe arrondissement de Paris est le point de repère et le lieu de rendez-vous des exilés afghans. Depuis 2002, c’est le passage obligé pour trouver des informations, des passeurs ou tout simplement des compagnons d’infortune.
Dans le jardin Villemin, le ballet se répète chaque jour depuis près de quinze ans. Tous les matins, à l’ouverture des grilles, des hommes, jeunes pour la plupart, afghans dans l’immense majorité, viennent dérouler un sac de couchage, une couverture ou un carton sur les pelouses de ce parc coquet du Xe arrondissement de Paris, le long du canal Saint-Martin.
Chaque jour, ils sont une cinquantaine à se reposer dans les allées du jardin, à discuter par petits groupes ou à passer un coup de téléphone. On entend parler dari, pachto ou hazara, les langues des montagnes afghanes. A cette étrange cohorte de malheureux se mêlent des Parisiens qui profitent des rares rayons de soleil de septembre.
Point de repère et lieu de rendez-vous pour les Afghans
Depuis le démantèlement du camp de Sangatte (Pas-de-Calais) en 2002, le jardin Villemin est devenu peu à peu un point de repère et un lieu de rendez-vous pour les Afghans exilés à Paris et en France. En 2009, plusieurs centaines d’entre eux y avaient établi domicile avec des tentes avant d’en être délogés par les forces de l’ordre.
Depuis la crise migratoire des années 2010, si les Afghans n’y dorment plus, ils investissent quotidiennement les lieux. Et depuis cet été, ils sont chaque jour un peu plus nombreux à s’y retrouver.
« Ici, c’est un peu pour les Afghans »
Aziz est assis sur sa doudoune noire étendue dans l’herbe. Il est arrivé dans la capitale il y a une quinzaine de jours. Il est directement venu au jardin Villemin « parce qu’ici, c’est un peu pour les Afghans« , croit-il savoir. A son départ de Kaboul, on lui avait soufflé le nom de ce square, près de la gare de l’Est. Il était sûr d’y rencontrer des compatriotes d’infortune « pour parler un peu la langue et trouver des informations ».
Les joues creusées sous un grand front, le gaillard de 30 ans a l’air un peu déboussolé. « Ici c’est calme, c’est reposant », glisse-t-il dans un sourire triste. Calme en comparaison des bombes de Kaboul. Aziz a fui son pays pour « échapper à l’enfer ». Il tenait un petit business de transport d’essence, juste de quoi survivre. Las de la guerre et des bombardements, las de « sortir le matin sans savoir si on va rentrer le soir », il a décidé de prendre la route.
Six mois d’exode. Iran, Turquie et Bulgarie où il a passé quelques mois en centre de rétention. Puis Serbie, Hongrie et Autriche. Il égraine d’un air fatigué les pays qu’il a traversés, éclipsant pudiquement les épisodes les plus durs. Et enfin la France. Contrairement à certains, il ne veut pas rejoindre l’Angleterre mais bien rester dans l’Hexagone. Sans, pour l’instant, trop savoir comment faire. « Mais au moins ici, je peux rencontrer des Afghans. »
Proximité des gares et étape vers le nord
« Les arrivées d’Afghans dans le jardin Villemin ne se sont jamais arrêtées depuis une dizaine années, observe Rémi Féraud, maire (PS) du Xe arrondissement depuis 2008 et élu municipal avant cela. C’est devenu leur point de repère dans la capitale. Quand on donne les étapes depuis Kaboul vers Paris, on leur parle du ‘jardin près de la gare de l’Est’. »
Les acteurs de terrain avancent différentes raisons pour comprendre l’origine historique de ce lieu de rendez-vous vieux de près de quinze ans. Pour Pierre Henry, de France Terre d’Asile, la proximité des gares de l’Est et du Nord explique en partie cet attrait pour le parc. Elles permettent de rallier les pays scandinaves ou bien Calais, ultime étape pour rejoindre le Royaume-Uni.
Avec le changement des routes migratoires et le démantèlement de la « Jungle » fin 2016, le paradigme aurait un peu changé. D’un lieu de passage, le square Villemin serait devenu un lieu de retour. Parallèlement, d’après Pierre Henry, de plus en plus d’Afghans se voient refuser l’asile en Allemagne et se rabattraient sur la France, échouant irrémédiablement au jardin Villemin. Il y a également eu une évolution dans le profil des exilés du parc. Moins de mineurs, moins de familles et plus d’hommes seuls, « dublinés » ou pas. Les premiers étant de plus en plus dirigés vers le nouveau centre d’Ivry.
Suite à l’ouverture du centre d’accueil de La Chapelle, bien vite débordé par les demandes, les hommes seuls ont un temps tenté leur chance dans le nord de la capitale, avant de se rabattre dans le Xe, plus familier. D’autant qu’à quelques embardées du parc se trouve un autre point d’orientation, celui de France Terre d’Asile, au métro Jaurès.
Appropriation du territoire et réseaux de passeurs
« Dès le début des années 2000, Villemin est véritablement devenu un lieu de rendez-vous. D’abord parce que depuis quelques années, dans le « kit de départ » à Kaboul, il y a le nom du jardin, analyse Pierre Henry. Ensuite parce que la communauté afghane est très organisée. » Selon certains militants, les exilés afghans n’hésiteraient pas à jouer des coudes et des poings pour accéder aux différents rendez-vous et prestations proposés par les associations. « Ils sont dans une logique de survie », explique prosaïquement Pierre Henry.
Pour Rémi Féraud, le maire du Xe, c’est là que réside une partie de l’explication. Selon l’édile, ce sont les Kurdes qui, les premiers, ont investi le terrain au début des années 2002-2003. Peu à peu, ces derniers se seraient déplacés ou se seraient fait chasser par les Afghans. « Il y a une véritable logique d’appropriation du territoire », pense Rémi Féraud.
Au mitan des années 2000, des réseaux de passeurs se sont structurés autour du parc, alimentant l’attrait des Afghans pour l’endroit. Ils prenaient le relais de ceux de Kaboul qui envoyaient les migrants directement au « jardin près de la gare de l’Est ». Dans le parc, on pouvait alors trouver le moyen de rejoindre les pays scandinaves ou la « Jungle » de Calais. Selon Rémi Féraud, plusieurs réseaux ont été démantelés il y a quelques années.
Le « Tchaikhana » de Jean-Michel
Pour Ali, tout cela fait sens. Cet ancien journaliste afghan réfugié en France en 2010 vient de temps à autre au jardin Villemin pour discuter avec ses compatriotes. D’après lui, il y a aussi une autre raison. « A Kaboul, tout le monde connaît le Jardin Villemin, près de la gare de l’Est », assure-t-il. Avant d’éclater de rire. « Mais on vient aussi là pour le Tchaikhana de Jean-Michel. » « Le Tchaikhana », c’est le salon de thé en pachto. Et Jean-Michel, c’est Jean-Michel Centres. La barbe blanche et l’œil bienveillant, ce militant est une figure connue du milieu afghan en France.
Il est médiateur social au Camres (Centre d’accueil et de médiation relationnelle éducative et sociale), dont le local est situé à quelques mètres du jardin, dans un passage fleuri aux abords de la gare de l’Est. L’homme, qui a roulé sa bosse en Asie centrale, parle le dari, une des langues afghanes. Le Camres, créé en 1992 à destination de tous les gens en errance du Xe arrondissement sans distinction, est aujourd’hui fréquenté « à 80 % par des Afghans » estime Jean-Michel Centres. Chaque matin, on peut y prendre une boisson chaude et deux fois par semaine un petit-déjeuner. Des ateliers socioculturels hebdomadaires sont organisés à destination de personnes dans le besoin.
Le Camres est très prisé par les Afghans en raison d’une conjonction de facteurs. Et notamment car dans les années 2000, plusieurs personnes de l’équipe parlaient des langues afghanes. Le mot a alors circulé dans la communauté et à Kaboul, on s’est mis à préciser qu’à côté du « jardin près de la gare de l’Est », il a avait « le Tchaikhana de Jean-Michel », affirme Ali, le journaliste afghan.
« Tous ces facteurs ont donné au jardin Vuillemin une dimension de lien social pour les exilés afghans », explique Jean-Michel Centres. Ça se voit pendant les vacances où les anciens, parfois installés en province, avec des titres de séjours ou des papiers, reviennent au parc pour prendre des nouvelles du pays. » Et de temps en temps, passer le bonjour à Jean-Michel et aux autres membres de l’équipe du Camres.
La Chapelle ? « Trop compliqué »
Aziz, toujours assis sur la pelouse vient lui aussi de prendre un café matinal au « Tchaikhana ». Dans le parc, il a été rejoint par Emal, la petite vingtaine. Peu disert, ce dernier est en France depuis quelques mois. Ses yeux brillants de fatigue souligne son air mélancolique. Il sourit quand on lui demande pourquoi les Afghans restent ici et ne vont pas au centre de La Chapelle par exemple. Lui a bien essayé d’y tenter sa chance mais là-bas, « c’est trop compliqué, il y a trop de demandes, trop de gens ». Il préfère le jardin Villemin et le « Tchaikhana » de Jean-Michel. Et après ? « Après on verra », tranche Aziz de sa voix grave. Pour l’heure, ils profitent du calme du jardin, les yeux rivés sur le canal Saint-Martin.
Ce soir, les deux compères ne savent pas trop où ils dormiront. Peut-être erreront-ils une bonne partie de la nuit en attendant l’ouverture du « Tchaikhana » pour prendre un café. Avant d’aller se reposer, au petit matin, dans le jardin Villemin. Pour parler un peu du pays et trouver des informations.