C’était en juin, sous le soleil radieux de Miami Beach, île pour milliardaires avec ses villas art déco, son Ocean Drive et sa plage de sable étendue sur des kilomètres, juste après que Donald Trump eut retiré la signature américaine des accords de Paris. Le maire de la ville, Philip Levine, recevait les édiles des grandes villes américaines pour se mobiliser en faveur du climat. « L’océan n’est pas républicain, il n’est pas démocrate ; il se débrouille juste pour monter », expliqua M. Levine, flanqué du maire de New York, Bill de Blasio, qui précisa que Palm Beach vivait « une crise existentielle ».
Le dérèglement climatique est très peu évoqué dans les débats américains, alors que la Floride est frappée par Irma, Miami inondé, tandis que la côte occidentale de la région se prépare au pire. Très fréquemment, les commentateurs invoquent l’œuvre de mother nature, mère nature, comme si l’homme n’y était pour rien. Le journaliste Michael Grunwald, dans un article publié par Politico, rappelle pourtant que « mother nature n’a jamais voulu que nous vivions là », dans un article intitulé : « Requiem pour la Floride. Un paradis qui n’aurait jamais dû exister. »
Lorsque les soldats américains pénètrent dans les années 1830 dans cet ancien territoire espagnol, c’est pour faire la guerre aux Indiens Séminoles et aux esclaves afro-américains qui ont fait alliance. Marais, moustiques, malaria, alligators, ouragans, le lieu est des plus hostiles et le consensus est vite fait parmi les soldats : les Etats-Unis feraient mieux de laisser cet endroit aux moustiques et aux Indiens. « Je ne connais pas de place pire sur terre », commente un général, selon le récit de Michael Grunwald, auteur d’un livre Le Marais : les Everglades, la Floride et la politique du Paradis (2007).
Folie immobilière
Et pourtant, la Floride va se développer. Après la guerre de sécession, les Américains découvrent le potentiel de transformer la région en paradis touristique, si au moins ils parvenaient à drainer ces fichus marais. Une ligne de chemin de fer est construite sur la côte atlantique, qui permet de remonter les oranges, les citrons et les phosphates vers le nord ; la région sert de base à la guerre contre les Espagnols pour libérer Cuba en 1898. Au tournant du siècle, la région ne compte que 500 000 habitants, contre près de 20 millions, cent vingt ans plus tard.
Avec le développement de l’automobile, la Floride devient un lieu de villégiature. La folie immobilière, venue de New York, s’empare de la région. Mais elle se heurte aux éléments : les ouragans, qui dévastent Miami en 1926, provoquent plus de 400 morts ; puis en 1928, ils frappent à nouveau dans le parc des Everglades, tuant plus de 2 000 personnes. L’une des pires catastrophes qu’ait connue les Etats-Unis qui stoppe la folie immobilière. Puis survient la crise financière de 1929, qui fait s’effondrer le marché immobilier. Et enfin s’ajoute une maladie qui détruit les agrumes. Dans les années 1930, le gouvernement fédéral porte l’Etat à bout de bras.
Mais la deuxième guerre mondiale et les besoins de l’armée ont conduit à la création d’infrastructures. L’après-guerre lance le développement de la Floride. En pleine guerre froide, Cap Canaveral devient champion de la course à l’espace, choix guidé par la science et la géographie, puisqu’il faut lancer les fusées au plus proche de l’équateur. L’introduction de l’air conditionné rend les habitations vivables.
Assèchement des marais
Lorsque survient la révolution castriste, l’arrivée de centaines de milliers de Cubains fait de Miami un nœud commercial et financier. Les Américains sont sérieux lorsqu’ils parlent d’assécher les marais. Des canaux, des réseaux de drainage, la Floride a été rendue vivable pour ses habitants. Elle est le paradis des enfants, avec Disney World, inauguré à Orlando en 1971. Il est le paradis forcé des puissants, invités par Donald Trump dans son golf de Mar-a-Lago. Un paradis, sauf pour les événements exceptionnels.
La Floride a commencé à tirer les conséquences de sa témérité après l’ouragan Andrew de 1992. Celui-ci avait été particulièrement dévastateur en raison de l’explosion urbaine de la Floride. Cette dynamique urbaine s’est poursuivie, mais les nouveaux bâtiments, en particulier vitres, fenêtres, toitures, sont censés aujourd’hui résister aux vents. Les experts avaient déjà noté, au cours des ouragans des années 2000, l’efficacité de ces nouvelles normes. L’évaluation aura lieu lorsque l’ouragan sera passé.
Mais elle ne vaut pas pour les maisons construites au niveau de l’eau, menacées d’être submergées. Le maire de Miami Beach, Philip Levine, a vanté les pompes géantes installées pour protéger sa riche cité. Mais comme le note Bill de Blasio, maire de New York, « cette solution, qui est si impressionnante, était d’abord une solution locale. Il n’y a pas de plan pour protéger les zones côtières américaines. »
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