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Syrie : Assad en passe de gagner la bataille du foot

Syrie : Assad en passe de gagner la bataille du foot

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Enjeu de propagande majeur, le football est un symbole pour le régime de Bachar al-Assad. L'équipe nationale de Syrie pourrait se qualifier pour la prochaine Coupe du monde en Russie. Une première historique qui arrangerait bien le dictateur.

Une affiche opposant la Syrie aux bleus de Mbappé et Pogba à la Coupe du monde 2018 de football ? La sélection syrienne peut encore en rêver. L'équipe nationale du pays de Bachar al-Assad s'est qualifiée pour les barrages de la prochaine Coupe du monde en Russie. Elle a terminé troisième de son groupe de qualification après son match nul le mardi 5 septembre face à l'Iran (2-2), pays allié au régime chiite de Damas. Le football est le sport le plus populaire du pays, et un enjeu de propagande énorme. La ficelle est grosse mais le régime l'a mis en scène comme symbole d'unité nationale en installant des écrans géants sur les places publiques pour retransmettre les dernières rencontres et montrer au monde des images de liesse populaire.

Les aigles de Qassioun, surnom de l'équipe en référence à la colline qui surplombe la capitale Damas, affronteront l'Australie en deux matchs en octobre. En cas de victoire, la Syrie devra jouer un second barrage le mois suivant pour espérer participer à la première Coupe du monde de son histoire. Ce qui serait un authentique exploit sportif. Et un formidable coup de com' pour le régime.

"L'histoire est tellement belle qu'elle sert Bachar al-Assad. Avec de telles performances, la Syrie existe autrement que par la guerre", explique à Marianne Jean-Baptiste Guégan, auteur de Géopolitique du sport, une autre explication du monde. Ces résultats interviennent en effet alors que le dictateur semble plus que jamais en mesure de se maintenir au pouvoir, malgré les six années de guerre, plus de 450.000 morts, 12 millions de Syriens déplacés, et un nouveau rapport de l'ONU publié le 6 septembre qui l'accuse d'avoir fait usage d'armes chimiques contre des civils en avril dernier, tuant 87 personnes dont 31 enfants. Le tout dans une guerre civile qui s'est transformée en bourbier géopolitique mondial sur fond de guerre contre le terrorisme.

Le retour de joueurs de l'opposition

Ces performances ne sont pas purement le fruit du hasard. Cette année, deux joueurs de haut niveau ont fait leur retour en équipe nationale, après cinq ans d'absence en raison de leur soutien à l'opposition démocratique. Désir sincère de mettre les divisions derrière eux ? Abdication devant des menaces ? Ou devant la promesse de primes substantielles ? Pragmatisme face à la situation des rebelles ? Ils n'ont pas expliqué clairement leurs motivations. Quoi qu'il en soit, leur apport est visible tant sportivement que symboliquement. Revenu pour les deux matchs du 31 août et du 5 septembre, Omar al-Soma a inscrit le but qui a qualifié la Syrie pour les barrages. Tout un symbole pour un joueur qui brandissait le drapeau de la révolution lors de sa dernière sélection en 2012. Joueur d'Al-Alhi en Arabie saoudite, il est originaire de Deir Ezzor, dernière province de Syrie tenue par l'Etat islamique, actuellement le théâtre d'une bataille de reconquête du régime.

Le second, Firas al-Khatib, star du football syrien, est encore plus emblématique. Il a été rappelé en mars et a porté le brassard de capitaine lors des deux dernières rencontres. Placé sous protection policière, l'attaquant a joué l'union sacrée à son retour : "L’équipe nationale appartient à tout le monde, à toute la Syrie". Al-Khatib est originaire de Homs, troisième ville de Syrie, où il a une rue à son nom. Surnommée "capitale de la révolution" en 2011, la ville a depuis lors été victime d'un siège terrible et de lourds bombardements du régime. Les derniers rebelles l'ont quittée en mai dernier. Loin de se faire discret pendant son exil, le capitaine a participé à la création au Liban de l'éphémère sélection parallèle de l'opposition démocratique syrienne. Cette dernière ambitionnait de supplanter sa rivale pour le titre de sélection officielle. Mais elle n'a jamais obtenu la reconnaissance de la Fifa et n'a jamais pu jouer de match officiel. L'équipe a disparu, le camp qu'elle représentait est en train de perdre la guerre et sa star a rejoint l'ennemi.

"L'exemple typique d'une instrumentalisation politique"

"C'est l'exemple typique d'une instrumentalisation politique de la sélection, analyseJean-Baptiste Guégan. Dans le contexte, les dirigeants de la fédération ne peuvent qu'être des proches du régime". D'autant que son patron est directement nommé par Damas. Pourtant, le règlement de la Fifa interdit toute ingérence des Etats dans les fédérations nationales, et l'organisation se targue régulièrement de rester politiquement neutre en toutes circonstances. Plusieurs épisodes récents attestent néanmoins la mainmise du régime d'Assad sur la fédération. En 2015, le sélectionneur de l'époque, Fajr Ibrahim, se présente en conférence de presse vêtu d’un tee-shirt à l'effigie du président syrien. "C’est le meilleur homme du monde, nous sommes fiers de lui parce qu’il combat les terroristes partout dans le monde", s'enflamme-t-il face aux journalistes. Son vice-président, Fadi Debbas, s'illustre également par sa fidélité : "Chaque Syrien représente le président Bachar al-Assad. Nous sommes fiers de notre président".

Autre signe de l'importance que le régime accorde au football, il a toujours œuvré pour le maintien d'un championnat national professionnel, même aux moments où son pouvoir était le plus vacillant. Il y est parvenu de manière structurée en décembre dernier, avec le début d'une compétition à 16 clubs. Les années précédentes, le championnat était organisé seulement dans certaines zones gouvernementales, parfois réduite à Damas et Lattaquié, selon l'évolution du conflit.

Pourtant, plus de 200 joueurs professionnels ont quitté le championnat local depuis 2011. Cet exode s'explique par la guerre bien sûr, mais aussi par des pressions, voire plus, auxquelles ont été soumis les joueurs de la part des autorités. "Beaucoup de joueurs étaient contraints par le régime à sortir dans la rue pour soutenir Bachar al-Assad", expliquait Yasser al-Hallaq, directeur de l'ONG Athletes for Syria, au Parisien l'année dernière. Certains refusaient et fuyaient parce qu'ils avaient peur d'être arrêtés ou tués, comme c'est arrivé à plusieurs de leurs coéquipiers ou amis". Selon une enquête d'ESPN, le pouvoir syrien serait responsable de la mort d’au moins 38 footballeurs professionnels depuis le début de la guerre.

Aujourd'hui, logiquement, de nombreux internationaux syriens craignent toujours de remettre les pieds dans leur pays. Seulement trois d'entre eux jouent dans le championnat local. La sélection nationale, elle, joue ses matchs "à domicile" en Malaisie, pour des raisons évidentes de sécurité et parce que la Fifa interdit les rencontres internationales en Syrie. En octobre 2016, la fédération avait bien convoqué les 23 joueurs du groupe pour un stage de trois jours à Damas, en préparation d'un match en Chine. Mais seuls huit d'entre eux s'y étaient rendus.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne