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Hervé Fernandez : «60% des illettrés sont des hommes»

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INTERVIEW - Méconnu et mal-jugé, l'illettrisme touche 7 % de la population adulte, principalement masculine. Un chiffre en baisse qui n'en fait pas moins oublier un véritable problème de société. Hervé Fernandez, directeur de l'Agence Nationale de Lutte contre l'Illettrisme répond aux questions du Figaro.

2 500 000. C'est le nombre de personnes âgées de 18 à 65 ans en situation d'illettrisme après avoir été scolarisées en France. Ahurissant, ce chiffre inquiétant est pourtant en nette régression depuis 2004, année durant laquelle on recensait encore 3 100 000 illettrés dans le pays selon une enquête réalisée par l'Agence Nationale de Lutte contre l'Illettrisme (ANLCI).

Alors qu'une centaine de manifestations locales -menées en partenariat avec la DGLFLF qui oeuvre pour la vulgarisation de termes techniques avec son site France Terme- constellent le pays cette semaine à l'occasion de la quatrième édition des Journées nationales d'action contre l'illettrisme, Le Figaro analyse avec Hervé Fernandez, directeur de l'ANLCI, les raisons de ce problème.

LE FIGARO - De quoi parle-t-on lorsqu'on emploie le mot «illettrisme»?

Hervé Fernandez - L'illettrisme a été déclaré grande cause nationale en 2013. C'est un terme qui a été porté par ATD Quart-Monde en 1977, par son fondateur, le père Wresinski. Un homme qui avait voulu alerter sur la situation que notre pays connaît encore aujourd'hui.

L'illettrisme concerne des adultes qui ont été scolarisés en France mais qui ne parviennent pas à comprendre un message simple en le lisant ou à se faire comprendre en écrivant: lire une consigne de travail, remplir un formulaire, laisser un message par écrit, déchiffrer une liste de course...

S'ils maîtrisent notre langue, il leur manque toutefois des compétences en lecture, en écriture, en calcul comme la capacité à se repérer sur une carte ou utiliser les outils du numérique pour être autonomes. Précisons que tout ce qui se fait avant 18 ans, relève de la prévention. Ce n'est qu'une fois sorti du système scolaire que l'on peut parler d'illettrisme.

« Il y a confusion entre illettrisme et analphabétisme »

Parler d'analphabétisme est donc incorrect...

Il y a beaucoup de confusion entre le mot illettrisme et analphabétisme pourtant il n'y a aucun rapport entre ces deux termes. Les campagnes d'alphabétisation visent à permettre à tous les enfants d'aller à l'école. Une personne analphabète est une personne qui n'a jamais été scolarisée. Ce qui n'est donc absolument pas le cas d'une personne confrontée à l'illettrisme.

Comment détecte-t-on l'illettrisme en France?

Il faut partir de la situation de ces personnes. En lien avec l'INSEE nous dénombrons 2 500 000 personnes confrontées à l'illettrisme. Sur ces 2 500 000 personnes, la moitié travaille. Plus de la moitié a plus de 45 ans. 30 % vivent en zone rurale.

Mais l'illettrisme est invisible. On peut donner satisfaction dans son travail sans savoir lire et écrire. Les personnes concernées se débrouillent en se faisant aider par des collègues de travail ou en contournant les obstacles que constituent l'écriture et la lecture. C'est lorsqu'il arrive des changements au sein même de leur travail, par exemple: l'utilisation d'une tablette numérique, que le problème peut se révéler. La présence massive du numérique dans notre quotidien met au jour des situations d'illettrisme.

Que peuvent faire les entreprises à ce moment-là?

Elles peuvent mobiliser des moyens de la formation professionnelle pour élever le niveau de compétence de base de leurs salariés et ainsi s'assurer qu'ils puissent s'adapter aux changements. Elles peuvent organiser, par exemple, des formations de base très liées au métier que les personnes exercent. Il n'est donc absolument pas question de parler d'un retour à l'école. On regarde quels sont les moments durant lesquels les employés ont besoin d'écrire, compter et on travaille alors avec eux sur l'acquisition de ces fondamentaux.

« Le taux d'illettrisme est plus élevé que la moyenne nationale dans les Hauts-de-France et dans la région du Grand Est »

Le nombre d'illettrés en France (2 500 000) est en nette régression depuis 2004 (3 100 000). Comment peut-on néanmoins expliquer un tel chiffre?

Inversons notre manière de voir les choses. Il y a aujourd'hui 95 % des élèves qui sortent du système scolaire français en maîtrisant les fondamentaux. Un peu moins de 5% sont détectés en situation d'illettrisme.

En réalité, le véritable défi qui doit nous occuper, c'est: comment faire réussir les enfants des milieux les plus pauvres? Les conditions de vie, de pauvreté, des ruptures peuvent influer sur l'intégration des premiers apprentissages. C'est de ce côté-là qu'il est nécessaire d'agir.

Note-t-on des inégalités en France? Y a-t-il des régions davantage touchées par l'illettrisme? Des tranches d'âge et des différences notables entre les hommes et les femmes?

On constate des besoins très importants dans les régions d'Outre-mer. Dans les Hauts-de-France, dans la région du Grand Est le taux d'illettrisme est plus élevé que la moyenne nationale. Pour ce qui est de l'âge, on sait que plus on vieillit et plus le niveau d'illettrisme augmente. On note par exemple 4% des 18-25 ans confrontés à l'illettrisme contre 12% chez les personnes âgées entre 56 et 65 ans. Sur les 2 500 000 personnes touchées en France, 60% sont des hommes.

Comment est considéré l'illettrisme à ce jour en France?

L'illettrisme ne doit pas être considéré comme un handicap ou une maladie. On peut apprendre à lire et écrire quel que soit son âge et sortir de cette situation. C'est le message que nous portons lors des Journées nationales d'action que nous organisons partout en France du 8 au 15 septembre. Elles s'appuient sur plus de 300 manifestations locales qui montrent que des solutions de proximité existent.

« On peut sortir de l'école avec un bagage mais du fait de mauvaises conditions de vie et de travail, perdre ces acquis »

Peut-on prévenir l'illettrisme?

Le cœur de la prévention, c'est l'acquisition des fondamentaux à l'école. Mais il ne faut pas imaginer que tout s'y joue une bonne fois pour toutes! L'enquête menée avec l'INSEE en 2004 et 2011, montre que les compétences de bases peuvent se perdre avec le temps. On peut sortir de l'école avec un bagage mais du fait de mauvaises conditions de vie et de travail, perdre ces acquis. Il est donc nécessaire d'entretenir ce capital en permanence.

Nous devons agir sur tous les fronts. Cette lutte passe par la mobilisation de l'État, des Régions, des partenaires sociaux, des fondations, de la société civile…

Comment agir concrètement?

Nous avons identifié les bonnes pratiques sur tous les territoires. L'ensemble des guides et des solutions contre l'illettrisme seront présentés lors d'une rencontre nationale à Lyon le 13 et 14 septembre et rendus publics sur une plateforme.

L'objectif des Journées nationales d'action contre l'illettrisme qui se tiennent en ce moment est de briser le tabou. Chacun peut agir pour changer le futur des personnes confrontées à l'illettrisme.

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