Irma : la ministre de la Santé «inquiète» face au risque d'épidémies à Saint-Martin

Agnès Buzyn a rencontré mardi soir les personnels de l'hôpital de Marigot. A l'ordre du jour de cette réunion, à laquelle nous avons pu assister en exclusivité : la sécurité des personnels de santé et la menace, réelle, d'épidémies.

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mardi soir à l'hôpital de Marigot.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mardi soir à l'hôpital de Marigot. LP/Yann Foreix

    En langage de médecins, on les qualifie de «vectorielles». Des maladies de l'insalubrité, dont les pires peuvent être, par exemple, la typhoïde ou le choléra. Si personne, à l'hôpital de Marigot, n'a prononcé mardi soir leur nom, la menace de ce type de pathologies plane sur Saint-Martin, où la situation, sanitaire comme sécuritaire, reste toujours instable.

    «Je pense qu'on aura, hélas, des surprises», pronostique un médecin. Deux cas de morsures de rats ont été traités lundi à l'hôpital de Marigot. Trois enfants de moins de cinq ans ont par ailleurs été évacués immédiatement vers la Martinique, souffrant de fortes fièvres et diarrhées. Ils ont bu de l'eau de citerne, plutôt qu'en bouteille. «J'ai vu des enfants malades dans le quartier d'Orléans, qui vomissaient depuis trois jours, prévient Agnès Buzyn. Il faut absolument communiquer sur cette question de la potabilité. Je pensais que ce point était réglé.»

    «Une catastrophe unique au monde»

    Dans cette petite salle de l'hôpital, ils sont une dizaine de médecins, infirmières ou humanitaires à entourer la ministre de la Santé, venue dans le sillage du président Emmanuel Macron. Elle recueille les doléances de chacun, tente d'adapter au mieux le dispositif de santé mis en place dans la foulée de cette catastrophe «unique au monde», selon ses mots.

    Son déplacement aura été utile et riche d'enseignement. Première priorité : monter un dispensaire, pour traiter la bobologie, et soulager le centre hospitalier, où près de 500 personnes ont été prises en charge lundi. «C'est en nette augmentation, estime une infirmière. Aussi parce que le carburant revient.»

    Ce qui n'empêche pas certains malades de refuser de quitter leur quartier. Comment, dans ce cas, prévenir les épidémies ? «Je suis inquiète quand je vois l'état de l'île», confie la ministre. «Le mieux, c'est de permettre aux médecins libéraux de reprendre leur activité, avance un de leurs collègues de l'hôpital. La population les connaît, et il y a encore beaucoup de monde qui ne peut pas se déplacer.»

    Onze généralistes exerçaient à Saint-Martin côté français avant l'ouragan. Trois seulement peuvent être opérationnels. «Ils doivent impérativement être sécurisés», reprend le même. Deux légionnaires seront affectés à chacun, le rassure-t-on. La ministre acquiesce, mais prévient : «Que des malades ne soient pas traités ici, pourquoi pas. Mais je veux que le moindre signal remonte, pour ne pas prendre le risque d'une épidémie parce qu'un médecin n'aura pas pu déceler une maladie.»

    «Les délinquants savent ce que nous possédons comme médicaments»

    «Ils sont d'ici, connaissent cette problématique tropicale», souligne l'un d'eux. «Le problème, ce sont d'abord les communications, poursuit un autre. Sans téléphone, ils doivent venir à moto jusqu'ici pour communiquer avec nous. Et là, comme c'est arrivé, ainsi que pour d'autres personnels, ils se font braquer.» «L'hôpital lui-même est une cible, précise son directeur. Les agressions de personnels sont récurrentes. On se fait siphonner les réservoirs. Les délinquants savent ce que nous possédons comme médicaments, et qu'il y a des lacunes dans la protection.» Un euphémisme. La nuit notamment, aucune garde n'est prévue.

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    Lundi soir, un adolescent de 17 ans victime d'un coup de couteau a été admis aux urgences, entouré d'une vingtaine d'amis. «Les intrusions sont fréquentes», résume le directeur. Un ange passe. «On pose tous les jours la question au COD (NDLR : Centre opérationnel départemental)», souffle le docteur Ludovic Durand. Initialement basé à Saint-Martin, il a pris les rênes du dispositif sanitaire. «Systématiquement, les gendarmes nous répondent qu'il n'y a pas assez d'hommes», complète-t-il. «Deux suffiraient», essaie le directeur. «On nous dit que ce n'est pas suffisant pour assurer leur propre sécurité, s'excuse le docteur Durand. Il en faudrait vingt». La problématique est la même pour le dispensaire. Où installer les vastes tentes climatisées ? A cinq minutes de l'hôpital ? Cela reviendrait là encore à mobiliser des forces de l'ordre. A côté de l'hôpital ? Cette fois, le risque est d'en congestionner les accès.

    La ministre tranchera. Se pose la question des lits de camp. «Vous les avez reçus les 300 ?», questionne-t-elle. «Personne n'est capable de nous dire où ils sont, lui répond Ludovic Durand. Quant à ceux que l'on a distribués dans les centres d'abris, on se les fait voler...» A l'hôpital de Marigot, les personnels, «exemplaires», comme le rappelle Agnès Buszyn, sont obligés de dormir sur place, «un peu comme on peut, sur les brancards si on a de la chance», décrit un jeune homme.

    «Les semaines à venir seront critiques»

    Au milieu du couloir, une bassine recueille l'eau d'une fuite. Dans les prochains jours, 170 000 litres devraient être disponibles au quotidien sur l'ile, soit 4 litres par personne et par jour. Une véritable avancée. Des pastilles de chlore seront distribuées. Des épandages anti-moustiques ont été effectués, et «les raticides sont arrivés aujourd'hui», annonce la ministre, avant de repartir pour la gendarmerie de la Savane.

    Non sans un dernier conseil. «Il y a une autre maladie, c'est celle des urgentistes, qui ne veulent jamais s'arrêter, les sermonne-t-elle amicalement. Quand vous avez fait huit jours d'affilée, il vous en faut un entier de repos. Autrement ce n'est pas tenable. Vous le savez, les semaines à venir vont être critiques...»