TATOUAGE. En France, 14% de la population majeure serait tatouée, selon un sondage Ifop de début 2017 commandé par le syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT). C'est à vie que les personnes tatouées gardent l'encre sous la peau... mais pas seulement : du derme, les pigments voyagent dans l'organisme par la lymphe, et se retrouvent également dans les ganglions. Un phénomène bien connu par la communauté médicale, mais qui a été observée par des chercheurs sur des tissus humains au synchrotron de Grenoble (European Syncrotron Radiation Facility, ESRF), grâce à une technique de spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier. Leurs résultats ont été publiés dans Scientific Reports, revue open access de Nature. Les personnes "encrées" doivent-elles s'inquiéter ? Le point avec Dr Nicolas Kluger, dermatologue spécialiste des problématiques liées aux tatouages.
Quand l'encre tatoue aussi... les ganglions
Jusque là, la dégradation des encres de tatouage dans la peau n'avait été étudiée qu'in vitro. C'est la première fois que celle-ci est étudiée dans des tissus humains (peau et ganglions) ex vivo, prélevées post mortem. "On sait depuis environ une décennie que les pigments de tatouage voyagent par la lymphe et colorent les ganglions lymphatiques, ce qui est visible à l'œil nu en cas de biopsie", observe le Dr Nicolas Kluger. Un processus qui commence dès que l'encre est insérée dans le derme par l'aiguille : "On ne tatoue en fait pas l'épiderme mais le derme, qui est irrigué en vaisseaux sanguins et lymphatiques. Lors de la cicatrisation, et tout au long de la vie, une partie de l'encre est phagocytée par les macrophages du système immunitaire, et éliminée par la lymphe, c'est pour ça qu'on retrouve de l'encre dans les ganglions."
Comment l'encre passe du derme aux ganglions lymphatiques / Crédits : I. Schreiver et al.
NANOPARTICULES. Le composé migrateur examiné par les chercheurs ? Le dioxyde de titane, "utilisé pour blanchir les couleurs, on le retrouve donc dans tous les tatouages colorés", poursuit le Dr Nicolas Kluger. Cette nanoparticule est d'ailleurs aussi retrouvé dans la crème solaire et même... dans certains additifs alimentaires. "Le problème, souligne Bernhard Hesse, co-auteur de la publication, c'est que nous ne savons pas comment ces particules se comportent et réagissent dans le corps à l'échelle nanométrique."
Le risque principal reste celui de faux-positif en oncologie
Les différentes méthodes d'imagerie utilisées par les chercheurs (spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, fluorescence à rayons X...) leur ont ainsi permis de localiser précisément les micro et nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) dans la peau et les ganglions. Un transport de particules par la lymphe qui pose la question de son impact toxicologique, l'inconnue des nanoparticules mise à part : sur ce point, le Dr Nicolas Kluger se veut rassurant. "Jusque là, on n'observe pas de hausse des maladies ganglionnaires chez les personnes tatouées, avance-t-il. Le tatouage, c'est une dose fixe dans la peau à vie, mais il n'y a pas d'exposition répétée à de nouvelles doses comme avec la cigarette ou l'alcool."
Aspect des différents pigments utilisés sur le derme (colonne de gauche) et retrouvés dans les ganglions (colonne de droite) / Crédits : I. Schreiver et al.
FAUX-POSITIFS. Certains effets secondaires restent toutefois possibles : "On note chez certains patients qui possèdent des tatouages une hypertrophie bénigne des ganglions", évoque encore le Dr Nicolas Kluger. Un risque inattendu réside toutefois dans la survenue de faux-positifs (lorsqu'un test conclut à l'existence d'une pathologie alors que le patient est sain)... en cancérologie.
"Pour dépister les métastases au plus tôt, les oncologues recourent à la technique du 'ganglion sentinelle', détaille-t-il. Il s'agit de trouver le premier relais ganglionnaire d'un cancer et de l'analyser pour rechercher des métastases. Mais on peut prendre à tort un ganglion 'tatoué' pour un ganglion cancéreux, ce que montre la littérature médicale ! L'analyse anatomopathologique permet toutefois de corriger le diagnostic." Étudié depuis plus d'une décennie, le phénomène commence à être bien connu des médecins, ce qui permet d'éviter les gestes invasifs inutiles, assure le Dr Nicolas Kluger.