Invitée de marque

On était à la première apparition publique de Chelsea Manning

La lanceuse d'alerte, source de WikiLeaks, a fait une visite surprise mardi à Noisebridge, le hackerspace de San Francisco et appelé les codeurs à s'interroger sur les conséquences sociales des systèmes qu'ils construisent. «Libération» était sur place.
par Amaelle Guiton, envoyée spéciale à San Francisco
publié le 13 septembre 2017 à 13h06

Jusqu'à la dernière minute, rien ou presque n'avait filtré. Tout juste savait-on que Noisebridge, le hackerspace de San Francisco, recevrait mardi soir un ou une invité(e) mystère – du genre «génial» et «super-spécial» – et qu'il valait mieux venir tôt, le lieu ne pouvant accueillir que 150 personnes. Et puis, un peu avant vingt heures, elle est arrivée, petite robe noire et cheveux mi-longs, déclenchant une salve de cris et d'applaudissements enthousiastes : c'était la première apparition dans un événement public, depuis sa libération en mai, de Chelsea Manning, la lanceuse d'alerte de l'armée américaine à l'origine des publications massives de WikiLeaks en 2010.

A lire aussi Chelsea Manning, enfin libre

Au deuxième étage d'un immeuble de Mission Street, au cœur du quartier latino branché de la ville, Noisebridge est depuis dix ans un refuge libertaire pour «bidouilleurs» en tout genre, où les étagères remplies de matériel électronique et les imprimantes 3D s'étalent sous des portraits d'Alan Turing ou d'Ada Lovelace, pionnière de l'informatique au 19siècle. Le lieu se définit aussi comme un «safe space», un «espace sécurisé» pour les personnes en butte aux discriminations. Pour Scott Beibin, l'agent qui a organisé la venue de Manning, c'est un choix logique : «C'est une technicienne, elle est brillante, c'est une militante, explique-t-il à Libération. Ici, c'est un lieu où on savait que sa voix ne serait pas trahie.»

«Obligation éthique»  

Au cours d'une heure de conversation à bâtons rompus avec Mitch Altman, cofondateur de Noisebridge et inventeur de la «TV-B-Gone», une télécommande à éteindre les téléviseurs, il est d'ailleurs beaucoup question de technologie en général, et d'intelligence artificielle en particulier. «Les principaux concepts, je les ai appris par l'expérience», raconte l'ex-analyste de l'armée américaine, sans entrer dans les détails. Face à la constitution de bases de données de plus en plus massives et au développement d'outils d'analyse de plus en plus sophistiqués, il est urgent, lance-t-elle, que les codeurs s'interrogent sur leur responsabilité sociale : «En tant qu'ingénieurs, développeurs, administrateurs système, nous avons l'obligation éthique de réfléchir aux conséquences des systèmes que nous construisons.»

Au fil de l'échange, puis des questions du public, Manning s'alarme de la militarisation de la police américaine – «de plus en plus de tactiques policières sont des copiés-collés de tactiques militaires» –, revient sur son combat de «seule personne ouvertement trans» dans la prison où elle était incarcérée, et appelle à l'engagement : «Les techniques de protestation sont efficaces, les gens ont réellement du pouvoir. Le mieux que nous puissions faire, c'est de nous manifester en nombre.»

Ne pas regarder en arrière

Lorsque l'assistance lui demande si elle referait le choix de faire «fuiter» des documents confidentiels, elle dit que c'est une question sans réponse, et qu'elle n'aime pas regarder en arrière. Elle confesse s'être beaucoup nourrie, ces derniers temps, de pizzas et de tex-mex. Et lance : «Je suis juste une gosse de la rue et une codeuse, je n'ai pas signé pour être un modèle.»

Il y a, tout de même, un documentaire sur elle en cours de finalisation. Et ce jeudi, l'Electronic Frontier Foundation, l'association américaine de défense des libertés en ligne, lui remettra un de ses «Pioneer Awards», qui récompensent chaque année ceux qui «étendent la liberté et l'innovation» dans le monde numérique.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus