Ce que les robots tueurs et les kamikazes disent de notre humanité
OPINION - Eric Martel, docteur en sciences de gestion à l'université Paris-Sud, s'interroge sur la corrélation entre les attaques kamikazes et l'apparition de "robots tueurs", et ce que cela dit de notre humanité.
"Un drone armée n'est pas un robot tueur", a précisé, comme pour évacuer le débat, la ministre des Armées Florence Parly après avoir annoncé que les drones français allaient être équipés de munitions. Ce sujet suscite, en effet, l'inquiétude. A la fin du mois d'août, les Nations unies recevaient une lettre ouverte de 116 dirigeants d'entreprises de robotique et d'intelligence artificielle visant à les interdire. Par une curieuse coïncidence, l'envoi de cette lettre suivait de quelques jours les attentats de Barcelone. Le télescopage de ces deux événements n'est pas sans rappeler l'une des séquences du film RoboCop, version 2014, dans laquelle le spectateur est confronté à un improbable combat entre des robots tueurs et des kamikazes.
Cette scène n'est pas aussi incongrue qu'il y paraît. Comme l'a montré Grégoire Chamayou dans sa Théorie du drone*, il y a bien un lien entre les deux. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces deux logiques tueuses évoluent en parallèle. Comme deux doubles inversés d'un même phénomène, nous assistons aujourd'hui à une "humanisation" des machines de guerre d'un côté, et à une "mécanisation" des êtres humains de l'autre. Dans les années 1930, un ingénieur américain, Vladimir Zworykin, découvre que le Japon envisage de former des escadrons de pilotes pour des missions-suicides. Il lui semble que la meilleure réponse serait de créer des avions radio-contrôlés, équipés d'une caméra. Une préfiguration des drones.
Des robots plus humains à la frontière coréenne
En 1942, un mathématicien, Norbert Wiener, découvre que la trajectoire que suit le pilote d'un avion est prévisible, même lorsqu'il tente des manœuvres d'évitement. Il imagine alors le premier système automatisé de tir anti-aérien : l'AA Predictor. Quelques années après, alors que les premières opérations suicides ont déjà eu lieu, les Japonais élaborent deux curieux engins. Le premier est une sorte de bombe volante, le second une torpille. Tous deux ont été pensés comme des projectiles autonomes équipés d'un mécanisme de guidage intelligent en leur sein : un être humain. Après l'explosion des premières bombes atomiques en 1945, un doute s'instaura dans la communauté scientifique sur la confiance accordée à la notion même d'humanité. Apparue en 1947, la cybernétique en est fortement marquée. Pour Norbert Wiener, l'un de ses fondateurs, les sociétés humaines doivent être régulées par la constitution de réseaux mixtes composés de machines et d'humains qui sont placés au même niveau. Il est ainsi difficile dans la cybernétique de "décider si ce sont les machines qui sont humanisées ou les vivants qui sont pensés comme des machines". Curieusement, l'observation et l'analyse conjointe des kamikazes et des robots tueurs semble corroborer ce propos.
A cette même époque, le Viêt Minh systématisa, pendant la guerre d'Indochine, l'usage des "volontaires de la mort". Ce phénomène, qui persista lors de la guerre du Vietnam, encouragea les militaires américains à lancer la conception des premiers drones. L'usage systématique des kamikazes est réapparu avec la guerre Iran-Irak, au début des années 1980. L'occupation de l'Irak a largement contribué à leur institutionnalisation par l'organisation Etat islamique comme une technique prioritaire de guerre. Dès les années 1950, le Viêt Minh avait recours à des formateurs spécialisés dans la préparation des kamikazes. Lorsqu'il a lieu, cet entraînement a pour objet d'éliminer chez les aspirants deux principes humains fondamentaux. Le premier, propre à tout être vivant : rester en vie. C'est l'obstacle le plus difficile à surmonter : la peur tenaille le kamikaze. Le second principe correspond, selon François Géré, au fait même de tuer ses semblables. Pour lever ce deuxième obstacle, il ne reste qu'à réduire l'ennemi à l'état d'objet.
Permettre à une machine de tuer un homme, de tirer sur un corps, n'a rien d'anodin. A ce jour, il n'existe qu'un seul exemplaire de cette technologie : le Samsung SGR-A1, installé à la frontière entre les deux Corées. Pour accorder ce droit à des robots, il est nécessaire de les parer d'un humanisme supérieur à celui des êtres humains. Régis par des algorithmes éthiques, ils seraient en mesure de "se comporter de façon plus humaine que les êtres humains dans ces circonstances difficiles". Robots tueurs et kamikazes semblent en définitive poser une même question, celle de notre humanité.
* La Fabrique, 2013
Par Eric Martel
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