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APL, "fainéants"... Comment Emmanuel Macron pirate ses propres discours - Le Poids des Mots

Emmanuel Macron s'adresse au corps préfectoral le 5 septembre à l'Elysée.
Emmanuel Macron s'adresse au corps préfectoral le 5 septembre à l'Elysée. © Etienne Laurent/Pool/Reuters
Adrien Gaboulaud et Anne-Sophie Lechevallier , Mis à jour le

Le Poids des mots a analysé 19 interventions du président de la République depuis la rentrée du gouvernement.

Emmanuel Macron le dit sans détour dans ses discours: il «assume» une forme de provocation dans son expression. La multiplication des polémiques liées à des propos présidentiels ces dernières semaines ne doit donc rien au hasard. Il semble néanmoins que les controverses déclenchées par le président –sur le pays et les réformes, les APL ou les adversaires qualifiés de «fainéants»- n’ont que rarement à voir avec le fond de ses discours. Nous avons utilisé Le Poids des mots pour analyser 19 interventions prononcées depuis la fin des vacances de l’exécutif jusqu’au 8 septembre. Durant cette période, le chef de l’Etat a particulièrement insisté sur l’Europe, mot le plus prononcé avec 402 occurrences entre le 23 août et le 8 septembre, soit presqu'autant que pendant trois mois de campagne électorale (436 occurrences). Les débats politiques et médiatiques déclenchés par les piques d’Emmanuel Macron n’ont eu que peu de rapport avec ce thème.

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Le 24 août, au cours d’une courte tournée diplomatique en Europe de l’Est, en Roumanie, le président prononce un discours devant la communauté française de Bucarest , qui a voté à 39,5% pour lui au premier tour de la présidentielle, beaucoup plus massivement que l’ensemble des électeurs (24%). Alors que l’essentiel de son propos est consacré à l’Europe (24 occurrences dans ce discours), au travail détaché et à la relation entre la Roumanie et la France, le président prend le temps de défendre sa méthode en politique intérieure, transgressant ainsi la règle que lui-même s'était fixée de ne pas parler des affaires intérieures à l'étranger. «La France n’est pas un pays réformable, dit-il à Bucarest. Beaucoup ont essayé, ils n’ont pas réussi parce que les Françaises et les Français détestent les réformes. Dès qu’on peut éviter les réformes, on ne les fait pas. C’est un peuple qui déteste cela. Il faut lui expliquer où l'on va et il faut lui proposer de se transformer en profondeur, mais pour mener un projet plus grand que soi. La France n’est elle-même que quand elle mène des combats qui sont plus grands qu’elle. Se réformer pour ressembler aux autres, se réformer pour répondre à un chiffre, à une contrainte autour d’une table, notre pays n’est pas fait ainsi.» Sur le fond, rien de surprenant : ainsi que l’avait souligné Paris Match durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’aime pas employer le mot «réforme», auquel il préfère «transformation». En France, pourtant, c’est une petite partie de ce passage long de sept phrases qui marque les esprits : «Les Français n’aiment pas les réformes.» Réaction immédiate de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Sur un plateau de télévision, il rappelle que ce n’est «pas la première fois» que le président de la République prenait les Français pour des «imbéciles» : «Ça veut dire que les Français, quand on leur propose une réforme, ils sont trop bêtes pour comprendre ce qu'on leur propose.» 

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Un long discours sur l'Etat version Macron... résumé à une petite phrase sur les APL

Le 5 septembre, le président de la République s’adresse au corps préfectoral. Comme lors de son récent déplacement européen, le thème du discours est clairement défini. Emmanuel Macron expose sa vision de l’Etat pendant plus d’une heure et quarante minutes. Jamais, depuis le 30 janvier, il n’avait autant prononcé le mot «Etat» (56 occurrences). Fidèle à la vision qu’il développe depuis son entrée en politique, le président demande à trois reprises aux préfets de devenir des «entrepreneurs de l’Etat», qui prennent des «risques», un mot cher à Emmanuel Macron. Et pourtant, là encore, ce n’est pas autour de cette conception de l’Etat que le débat public va ensuite s’animer. Alors que le gouvernement a été attaqué de toutes parts pour avoir décidé en juillet de la baisse de 5 euros par mois des APL, le chef de l’Etat choisit de se justifier devant les préfets. «Je n’ai jamais entendu quelqu’un féliciter l’Etat des cinq euros d’augmentation, il y a quelques années, des mêmes APL ; pour une raison simple : les propriétaires avaient augmenté de cinq euros le loyer. J’ai été surpris du silence collectif de ne pas appeler les bailleurs sociaux, les propriétaires à baisser de cinq euros le prix du logement ! C’est ça, la responsabilité collective ! C’est ça, ce qu’il faut faire à partir du 1er octobre ! J’appelle publiquement tous les propriétaires à baisser de cinq euros le loyer par mois, si on veut accompagner les locataires ! L’Etat n’a pas à payer tout !» Les réactions ne tardent pas : les propriétaires et les bailleurs ne veulent pas en entendre parler, et les associations, qu’elles défendent le droit au logement ou les consommateurs, paraissent hésiter entre l’ironie et l’incrédulité sur cette nouvelle forme de politique du logement.

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Le scénario s’est répété en Grèce, les 7 et 8 septembre. Ce déplacement, marqué par un discours prononcé dans le cadre majestueux de la colline de la Pnyx, à Athènes , est une véritable déclaration d’amour à l’Europe. Emmanuel Macron en profite pour louer les efforts consentis par le gouvernement grec d’Alexis Tsipras, compatir aux souffrances endurées par le peuple grec, tout en fustigeant l'intervention du FMI dans les affaires européennes et en appelant à une refondation de l’Europe, pour qu’elle devienne souveraine et plus démocratique. A la Pnyx le 7 septembre au soir, avec le Parthénon pour arrière-plan, il prononce 85 fois le mot «Europe». Jamais il n’avait autant insisté sur le sujet durant un seul discours, d’après le comptage issu de notre base de données, constituée à partir du 30 janvier. Le lendemain, pourtant, c’est un tout autre sujet qui va accaparer l’attention.

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Une déclaration d'amour à l'Europe... effacée par les "fainéants" et les "cyniques"

Vendredi 8 septembre, à l’école française d’Athènes, le président Macron s’adresse à un auditoire de Français qui vivent en Grèce. Là encore, l’Europe figure en tête des mots les plus prononcés. Les mots «ambition» (12 occurrences) et «valeurs» (9 occurrences) ont rythmé le propos. A la fin du discours, Emmanuel Macron revient sur sa déclaration en Roumanie. Comme si il avait attendu d’être à nouveau dans une situation similaire, en déplacement à l’étranger, devant une communauté française, pour poursuivre son discours tenu à Bucarest. L’épisode 2 en quelque sorte. «D’aucuns faisaient semblant de découvrir cette forme de provocation que j'assume.» Puis il attaque bille en tête, apparemment sans note, dressant un portrait au vitriol de ceux qui s’opposent à lui : «Je serai d'une détermination absolue et je ne cèderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. Et je vous demande d'avoir, chaque jour, la même détermination. Ne cédez rien ni aux égoïstes, ni aux pessimistes, ni aux extrêmes. Vous êtes une part d'Europe ici, une part d'Europe redoublée», lance-t-il aux Français d’Athènes. Prononcée cinq jours avant la mobilisation contre la réforme du droit du travail, la première de cette ampleur depuis le début du quinquennat, la formule fait florès. Deux heures plus tard, Jean-Luc Mélenchon appelle sur Twitter les «fainéants» à descendre dans la rue. L’Elysée a beau répéter ensuite qu’Emmanuel Macron visait ses prédécesseurs, dans les cortèges du mardi 12 septembre, partout en France, des manifestants se revendiquent «fainéants» et détournent l’attaque présidentielle.

Emmanuel Macron à la Pnyx à Athènes, le 7 septembre.
Emmanuel Macron à la Pnyx à Athènes, le 7 septembre. © Alkis Konstantinidis / Reuters

L’analyse des discours présidentiels de la rentrée, présentée en détail ci-dessous, démontre que les mots les plus souvent prononcés par Emmanuel Macron n’avaient pas de rapport avec ces polémiques. C’est particulièrement vrai de l’offensive pour revoir les conditions du travail détaché : ni le président ni le candidat n’avaient autant parlé du travail détaché que pendant les discours en Autriche, en Roumanie et en Bulgarie (26 occurrences du mot «détaché» en moins de deux semaines, contre 23 occurrences au total entre le 30 janvier et 31 juillet).

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Ce n’est pas la première fois que quelques mots du président font oublier le reste de son propos. Avant les vacances, il avait prononcé fin juin un court discours pour l’inauguration de la Station F, à Paris, dans lequel Emmanuel Macron filait la métaphore de la start-up pour raconter les débuts de son parti, En Marche !. Dans cette ancienne gare, il avait aussi lancé un avertissement à son public de jeunes entrepreneurs, qu’il appelait à partager la «responsabilité» incombant à l’Etat. «La responsabilité qui consiste à envisager à chaque seconde que sa réussite oblige quand d'autres sont plus démunis, quand une partie de la planète est dans la précarité écologique; vous en êtes les co-dépositaires», avait-il déclaré. Mais quelques que secondes plus tard, il avait ajouté : «Ne pensez pas une seule seconde que si demain vous réussissez vos investissements ou votre start-up, la chose est faite. Non. Parce que vous aurez appris dans une gare. Et une gare c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien.» La formule contrastant «les gens qui ne sont rien» avec ceux «qui réussissent» avait fait l’objet de commentaires indignés à droite comme à gauche. 

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