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Bons baisers de Pyongyang

La nouvelle menace que représente la Corée du Nord ne procède pas d'un brusque saut technologique. Elle résulte d'un fabuleux réseau d'espions. Les explications troublantes de notre correspondant à Tokyo.

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Par Yann Rousseau

Publié le 15 sept. 2017 à 01:01

Au bout d'une petite allée dans un quartier résidentiel de Kodaira en banlieue de Tokyo, des étudiants d'une vingtaine d'années se pressent pour le début des cours. Personne ne parle japonais. On bavarde en coréen en traversant une large cour entourée de vieux bâtiments de béton de quatre étages. Sur le toit du plus large, de hautes lettres blanches de l'hangeul - l'alphabet coréen - sur fond rouge proclament «Longue vie à notre grand leader Kim Il-sung». Bienvenue à la «Korea University», la seule faculté du Japon contrôlée et en partie financée par une association liée à Pyongyang.

Créée en 1956 par un groupe de résidents coréens déplacés au début du xxe siècle après l'annexion de leur pays par Tokyo, l'université qui compte environ 500 élèves est depuis quelques mois pointée du doigt par des activistes qui la soupçonnent de participer secrètement au développement des programmes nucléaires et balistiques du régime de Kim Jong-un. D'autant que le leader coréen vient de traumatiser la communauté internationale en réussissant à faire exploser une bombe thermonucléaire miniaturisée, susceptible d'être installée dans l'ogive d'un missile balistique intercontinental (ICBM). «Les élèves y sont éduqués dans le respect du Juche, l'idéologie du régime nord-coréen, et doivent rapporter à leur nation tout ce dont elle a besoin, assure Ken Kato, le directeur d'Human Rights Asia. Ils ont accès à des enseignements théoriquement interdits par des résolutions de l'ONU», accuse-t-il.

Dans une pétition soumise au panel des Nations Unies supervisant l'application des sanctions contre Pyongyang, le militant a demandé l'ouverture d'une enquête sur l'université et l'arrêt des cours portant sur la physique nucléaire, la chimie ou l'ingénierie électronique. Il a également dressé une liste des scientifiques «coréens du Japon», souvent passés par la Korea University, qui ont intégré de prestigieux instituts technologiques japonais ou étrangers et ont ainsi pu collecter des informations sensibles pour leur pays d'origine. L'un de ces scientifiques a d'ailleurs étudié plusieurs années à Orléans... «C'est une forme d'espionnage qu'il est très difficile d'endiguer», note Ken Kato.

Volontarisme de Kim Jong-un

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Depuis des décennies, Pyongyang a déployé ses chercheurs et étudiants partout dans le monde, notamment en Chine, pour alimenter les efforts de ses militaires dans sa quête d'une force de dissuasion. «Ils ont toujours eu cet objectif clair de développement de leur capacité nucléaire et de missiles balistiques intercontinentaux», rappelle l'ancien diplomate Hitoshi Tanaka qui, dans les années 2000, a mené pour le gouvernement japonais des négociations secrètes avec le régime paléo-stalinien. Si les récents coups d'éclat ont pu choquer, ils ne sont pas le résultat d'un bond technologique soudain, mais au contraire le fruit d'un travail systématique enclenché dès les années 50 et accéléré depuis 2011 par Kim Jong-un. Le jeune dictateur est convaincu que seule sa capacité à diriger une frappe nucléaire sur les États-Unis empêchera Washington de le renverser. «Leurs efforts ont été laborieux mais déterminés», résume Mark Hibbs, un analyste du Carnegie Endowment for International Peace.

Tout a commencé il y a plus de soixante ans avec un coup de pouce de Moscou. «À l'époque de la guerre froide, l'Union soviétique et les États-Unis partageaient une partie de leurs connaissances et de leurs équipements dans le nucléaire avec les pays passés sous leurs influences respectives», explique Mark Hibbs. Dès 1956, la Corée du Nord, éreintée par la guerre achevée trois ans plus tôt, devient membre du Joint Institute for Nuclear Research basé à Dubna près de Moscou. Des ingénieurs nord-coréens partent alors se former dans les grandes universités soviétiques. Et en 1965, le pays reçoit les plans d'un premier petit réacteur d'expérimentation qu'il installe près de Yongbyon, devenu depuis le grand centre d'expérimentation nucléaire du régime. Pyongyang pense déjà à la bombe atomique.

Espionnage scientique et sociétés fantômes

Devant le refus de Moscou de lui céder ses secrets, Pyongyang approche la Chine, qui a fait exploser sa première bombe A en 1964. En vain. Pékin ne veut pas brader sa précieuse force de dissuasion. Tout au long des années 70, Moscou et Pékin, qui portent le développement de l'économie nord-coréenne, rejetteront plusieurs autres demandes de Pyongyang - les deux grands pays communistes se méfient des ambitions militaires de Kim Il-sung.

Frustré, le régime nord-coréen décide donc d'accélérer ses efforts parallèles pour récupérer des technologies et des équipements un peu partout dans le monde. Les scientifiques «espions» courent les grandes conférences internationales, les instituts de recherche ou les sommets de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont le pays a été membre de 1974 à 1994, pour glaner «innocemment» des informations précieuses. «À Vienne, dans les années 90, des agents nord-coréens ont par exemple approché des scientifiques belges travaillant sur le retraitement du plutonium pour des applications commerciales», se souvient Mark Hibbs. Dans les années 2000, les inspecteurs internationaux retrouveront, à Yongbyon, une usine de traitement du plutonium élaborée sur un design belge. «Ils ont progressé dans cette zone grise à une époque où les contrôles étaient moins stricts et où la méfiance était moins intense», détaille le chercheur. Pour se fournir en composants pour ses bombes et ses missiles, le pays a parallèlement multiplié les achats par le biais d'entreprises fantômes en Chine ou ailleurs en Asie pour contourner les embargos.

Le pays a aussi bénéficié, dans les années 90, de l'aide décisive des réseaux pakistanais du physicien Abdul Qadeer Khan, également accusé d'avoir vendu des technologies clé à l'Iran et à la Lybie. «Cette connexion a été décisive pour monter les usines d'enrichissement d'uranium de Corée du Nord. Ses ingénieurs ont eu les centrifugeuses dont ils avaient tant besoin», affirme Mark Hibbs. Un progrès qui a permis au pays de réaliser son premier test nucléaire en 2006 et d'envisager ensuite des bombes plus complexes et plus puissantes. Selon le chercheur Mark Fitzpatrick, de l'Institut international d'études stratégiques, une partie de ces échanges auraient été encadrés par le pouvoir pakistanais, qui cherchait à obtenir en retour des technologies de Pyongyang. La Corée du Nord aurait ainsi cédé à Islamabad les missiles qu'elle avait développés en menant des travaux de rétro-ingénierie sur des Scud-B russes que lui avait cédés l'Egypte à la fin des années 70. À force d'efforts, les ingénieurs du Nord ont construit, dans les années 80, une version du Scud-C, puis le Nodong, une forme de Scud à grande échelle, ainsi que la série des Taepodong d'une portée de plus de 2000 kilomètres. Après des efforts sur les moteurs, le pays maîtrise maintenant un puissant ICBM, le Hwasong 14, capable de frapper de grandes villes américaines.

Comme pour ses bombes, le pays s'appuie toujours sur des réseaux d'achats parallèles à l'international pour se fournir en composants, par le biais de structures installées en Asie. L'analyse des débris d'une «fusée» nord-coréenne retrouvée en mer en 2012 a révélé la présence de pièces d'origine chinoise, suisse, britannique mais aussi américaine. «Il s'agit d'une course permanente entre les sanctions, les contrôles et la capacité de Pyongyang à s'adapter», note Mark Hibbs, qui pointe aussi les moyens colossaux toujours attribués à ces programmes, jugés prioritaires malgré le désarroi économique du pays. «Si l'on veut empêcher le pays d'atteindre son but, il ne reste plus qu'un an ou deux. Après, tout sera beaucoup plus compliqué», glisse Hitoshi Tanaka.

Par Yann Rousseau

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