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Nadia El Bouga, sexologue musulmane et féministe

PORTRAIT - Musulmane et féministe, la sexologue Nadia El Bouga défend l'accès au plaisir pour toutes. Dans son cabinet de la banlieue nord comme à la radio, où elle tient chronique.

Anne-Laure Barret , Mis à jour le
Nadia El Bouga dans son cabinet de sage-femme à Garges-lès-Gonesses (Val-d'Oise), le 31 août.
Nadia El Bouga dans son cabinet de sage-femme à Garges-lès-Gonesses (Val-d'Oise), le 31 août. © Bernard Bisson pour le JDD

Il est midi sur Beur FM. Une voix pétillante compare "l'orgasme féminin" à une "symphonie" dans laquelle chaque mouvement compte. "Ne retenir que le final, dit-elle, c'est rester sourd à tout le reste du concert." Ces cas de surdité – fréquents – débouchent certes sur des "décharges" propres à "faire baisser la tension" mais pas sur une fantastique "cascade de phénomènes corporels et cérébraux". Orgasme, fantasmes mais aussi perte de désir, vaginisme ou éjaculation précoce… Comme chaque mardi, Nadia El Bouga, 40 ans, explore en compagnie des auditeurs quelques totems et tabous de la sexualité humaine.

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A la première rencontre, l'animateur Philippe Robichon, son complice à l'antenne, a été subjugué par le "regard neuf" de cette thérapeute qui rêve de contribuer à "changer, en douceur, les mentalités dans la communauté arabo-musulmane". Et même au-delà : plusieurs responsables politiques invités de l'émission, observe le journaliste, ont pris une suée en découvrant que la sexologue portait un foulard islamique. "C'est toujours un grand moment de solitude, raconte-t-il. Puis le direct commence et son aisance brise la glace. On pense souvent que les femmes voilées sont soumises. Nadia déplace cette question-là."

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Changer, en douceur, les mentalités dans la communauté arabo-musulmane

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Sans l'esquiver, à lire le témoignage, profond et sans détour, qu'elle publie cette semaine*. Juste après le bac, la jeune Parisienne décide de couvrir ses longs cheveux ondulés. Choqué, son père, un ouvrier venu du Maroc en 1973, fond en larmes. "Pour moi, c'était l'aboutissement d'un chemin intérieur. Pour lui, qui avait rompu avec son éducation traditionnelle, un désastre : j'allais être confrontée aux préjugés, compromettre mon avenir." Mais peut-on enseigner la tolérance à sa fille et à ses deux fils et ne pas la pratiquer soi-même?

Son arrière-grand-mère priait à la mosquée parmi les hommes

Hocine El Bouga a vite repris le dialogue avec son aînée si futée. "Un verre de thé?" proposait-il chaque soir lorsqu'elle rentrait de l'école. Et tous deux parlaient de la vie, de l'amour, parfois même de la sexualité. "J'ai eu la chance folle de pouvoir ainsi échanger avec lui sans fausse pudeur", se réjouit Nadia El Bouga.

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La môme titubante qui, à peine dressée sur ses jambes, refusa la main des adultes pour marcher, compte dans son ascendance d'autres figures rebelles. Dans son village berbère de l'Atlas, Meriem, son arrière-grand-mère maternelle, priait à la mosquée parmi les hommes. A Agadir aujourd'hui, sa tante Aïcha Sakmassi, une responsable associative féministe dont elle est très proche malgré leurs divergences sur le voile, épingle les tabous de la société marocaine.

"Sage-femme", indique la plaque apposée devant le cabinet. Avant de passer un diplôme universitaire de sexologie, Nadia El Bouga a travaillé – tête nue car "respectueuse des lois de la République" – dans une maternité où elle a découvert la détresse sexuelle de nombreuses patientes. Elle exerce aujourd'hui en libéral dans la banlieue nord de Paris : un mi-temps consacré aux femmes enceintes, un autre aux pannes sexuelles.

La religion musulmane "reconnaît le désir et le plaisir"

Sur le canapé orné de coussins grenat prennent place une majorité de couples d'origine populaire et maghrébine rassurés par sa double culture et, pour certains, par ses foulards colorés. Parfois dès le premier rendez-vous, la sexologue brandit un clitoris en trois D, un vagin de silicone, un pénis en érection et le voyage vers le plaisir peut commencer.

Il y a des va-et-vient dans le temps pour éclairer les histoires personnelles, des topos théoriques sur les mécanismes de l'excitation, des exercices d'effleurements à faire à la maison. "Une partie de mon travail consiste à convaincre que les pulsions sexuelles vécues, c'est quelque chose de bon, pas de mauvais", décode-t-elle. Aux croyants, Nadia El Bouga, elle-même adepte d'un islam soufi, "minoritaire et réformiste", répète que la religion musulmane "reconnaît le désir et le plaisir, pour l'homme et pour la femme". Mais de préférence dans le cadre du mariage, précise celle qui met en garde sur les ondes contre "l'hypersexualisation" de notre société.

Dans son livre, la sexologue s'en prend aux "interprétations fondamentalistes du Coran", à l'exportation du wahhabisme comme à une tradition bien vivace au Maroc, celle de la "hchouma", "la honte" en dialecte arabe maghrébin. Quand une fillette écarte les jambes en faisant la roue, on la rabroue. "Hchouma, hchouma", s'est entendu dire Nadia El Bouga alors qu'à 17 ans, de retour au Maroc pendant l'été, elle se baladait en jogging baskets.

 

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"La femme ne doit pas être réduite à son hymen!"

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Pour libérer les femmes, "premières victimes du patriarcat qui transforme la religion en instrument de domination", la thérapeute mise d'abord sur l'éducation sexuelle. Elle-même partage son savoir sans compter, filant, au volant de sa Mini noire intérieur crème, d'une conférence dans une maison de quartier à une intervention en lycée.

Dans le sillage de la féministe marocaine et musulmane Asma Lamrabet, Nadia El Bouga plaide aussi pour une relecture critique du Coran. Son époux, un ingénieur avec lequel elle forme "un couple égalitaire", partage la même ambition. Chaque soir, une fois leurs deux enfants couchés, ces petits dormeurs commencent une seconde vie d'étudiants : lui en théologie, elle en sociologie. Bientôt, ils écriront à quatre mains une thèse sur religion et sexualité dans le monde arabo-musulman.

Ce mardi, Nadia El Bouga s'agace au micro de Beur FM. Une auditrice craint que sa fille de 9 ans ait perdu sa virginité en tombant sur une barre de fer. "Qu'est-ce qui vous inquiète? Le fait qu'elle se soit fait mal ou cette membrane qui ne sert à rien? La femme ne doit pas être réduite à son hymen!", recadre la chroniqueuse. Mieux vaudrait, à ses yeux, "dédramatiser la situation" et entamer l'éducation sexuelle de la petite. Le ton est ferme mais pas question de juger ni d'accepter tout regard qui chercherait à "essentialiser" la culture arabo-musulmane.

La funambule professe au contraire l'humanisme, l'amour et tout ce qui relie. Dans sa boîte à outils de thérapeute comportementaliste se cache une arme secrète : "la double bascule de bassin", empruntée au psycho-sexologue canadien (et ancien prêtre) Jean-Yves Desjardins. Ou comment réguler l'excitation grâce aux ondulations des corps. En Orient, même les meilleures danseuses ont dû mal à investir psychiquement leur bas-ventre. Plus libres dans leur tête, les femmes occidentales sont parfois coupées de leurs sensations. Les unes auraient tant à apprendre des autres et vice versa, selon Nadia El Bouga. Au choc des civilisations, elle préfère le meilleur des deux mondes. 

* "La Sexualité dévoilée", Grasset, 234 p., 18 euros.

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