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Steve Bannon est-il le Dark Vador de la politique américaine?

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Steve Bannon, ancien conseiller stratégique et directeur de campagne de Donald Trump a été limogé suite aux événements de Charlottesville. Laure Mandeville dresse le portrait d'un homme trop facilement présenté comme le mauvais génie de la politique trumpiste.


Grand reporter au Figaro, Laure Mandeville est chef du bureau Amérique depuis 2009.


FIGAROVOX. - L'ancien conseiller stratégique et directeur de campagne de Donald Trump a été limogé par le président des Etats-Unis après Charlottesville. Les médias prêtaient une grande influence à cet homme controversé. Qui est-il vraiment? Et quelle était son influence réelle?

Laure Mandeville. - Steve Bannon est un rebelle, un révolutionnaire conservateur parti en guerre contre

Washington pour «rendre le pouvoir au peuple». C'est l'homme qui, en dehors du président lui-même, a sans doute le mieux compris et défendu la stupéfiante révolte des classes populaires qui a porté Donald Trump à la Maison Blanche.

Il se voit comme le stratège et «le combattant de rue» de cette rébellion anti système, qui selon lui, doit et va durer. Jusqu'à son départ de la Maison Blanche, au mois d'août, après une bataille au couteau avec le clan des militaires qu'il accuse de maintenir l'Amérique dans des conflits inutiles et coûteux, il avait d'ailleurs installé dans son bureau de la présidence un tableau où il avait noté toutes les promesses de campagne de Trump, afin de s'assurer qu'elles soient mises en œuvre.

Comme Trump, Bannon est un cas à part dans le paysage de Washington, une sorte d'ovni fascinant et complexe, qui ne rentre dans aucune des cases traditionnelles.

Bref, c'est l'idéologue du grand renversement de la table de la politique, un statut qui le connecte naturellement au président, dont il partage le national populisme instinctif sur les questions d'immigration, de terrorisme, de commerce. Comme Trump, Bannon est un cas à part dans le paysage de Washington, une sorte d'ovni fascinant et complexe, qui ne rentre dans aucune des cases traditionnelles. Tout jusqu'à son apparence un peu négligée, ses grands shorts larges un peu boy scouts, ses cheveux longs, ses chemises sans cravate et son tempérament passionné et bravache, tranche avec les codes de cette ville de pouvoir très conventionnelle.

Il suscite une telle animosité qu'il est difficile pour l'observateur extérieur de démêler le vrai du faux dans tout ce qui a été écrit sur lui dans une presse américaine qui l'a diabolisé à l'extrême. Il faut donc rester prudent. La part de mystère qui persiste vient sans doute aussi de ce que Steve Bannon a eu plusieurs vies, qui ont sédimenté pour en faire le personnage charismatique, provocateur, remarquablement intelligent mais aussi très manichéen et maladivement allergique à l'establishment politique et médiatique, qui s'est retrouvé propulsé à la tête de la campagne de Donald Trump à l'été 2016, avant qu'il n'entre à la Maison Blanche comme conseiller en stratégie.

Notez qu'il n'est pas anodin que Stephen Bannon soit né en Virginie, où il a grandi à Richmond, l'ancienne capitale confédérée. Il y a acquis le sens du tragique, puisqu'il s'agit d'une ville de vaincus, qui se débat toujours avec un passé qui ne passe pas (comme on l'a vu à Charlottesville récemment). Mais il fait aussi partie d'un clan d'irlandais démocrates acquis aux Kennedy, ce qui n'en fait pas du tout un sudiste typique.

Ses origines sont simples, son père posait des lignes pour une compagnie d'électricité, ce qui explique sa

Ses origines sont simples, son père posait des lignes pour une compagnie d'électricité, ce qui explique sa connexion naturelle avec l'Amérique populaire.

connexion naturelle avec l'Amérique populaire. Comme Trump, il est passé par une académie militaire catholique, où il a reçu une éducation secondaire stricte, expérience qui le place en décalage par rapport à sa génération, marquée par l'ambiance très permissive des années 70. Dans la foulée de ses études secondaires, Stephen Bannon a fait ses études à Virginia Tech, un collège virginien de niveau intermédiaire, où il s'est fait élire à l'arraché président des étudiants après une campagne de rebelle à la Trump. Son côté révolutionnaire pointait déjà!

Très loin des enfants privilégiés des grandes universités de l'Ivy League, il a ensuite choisi de rejoindre les rangs de la Marine militaire. Il raconte souvent dans ses interviews que c'est au cours de ces années-là, alors qu'il est basé au Moyen Orient, qu'il perd ses convictions démocrates, en observant le déclin de l'armée américaine et la faiblesse de Carter pendant la prise des otages à Téhéran.

A l'inverse, Ronald Reagan va devenir son héros. Bannon finit par quitter l'armée pour rejoindre les bancs de la Business school d'Harvard, qui ouvre pour lui les portes d'une autre vie au sein de la célèbre banque d'investissement Goldman Sachs. Cette expérience de la finance est clé pour comprendre ce qu'il deviendra par la suite.

Il accède aux puissances de l'argent, il voit de l'intérieur comment le système fonctionne, mais cet ancien militaire qui se définit comme un «capitaliste réaliste…pas un angelot capitaliste peace and love» découvre aussi la rapacité de Wall Street et ses liens incestueux avec la politique, réalité qu'il quitte pour Hollywood, où il entame une carrière de producteur et de réalisateurs de documentaires. Quand la crise financière dévaste le pays, plongeant la majorité des Américains dans les affres de la faillite et de l'expulsion de leurs maisons, Bannon découvre «des larmes» dans les yeux de son père qui a perdu toutes ses économies dans la tourmente comme il le confiera plus tard.

Il est évident que Bannon a été très présent pendant les derniers mois de la campagne et les premiers pas de président de Trump. L'idée est de défendre avant tout les intérêts américains.

Le dégoût que lui inspiren,t l'irresponsabilité de Wall Street et le sauvetage des grandes banques par l'administration Obama alors que les classes moyennes se retrouvent, elles, dévastées par la crise des subprimes, le pousse à embrasser le mouvement des Tea Party, devenant leur chantre idéologique.

Je me souviens l'avoir interviewé au téléphone à l'époque où il réalisait des films de propagande sur Sarah Palin et d'autres figures de l'Amérique conservatrice qui se réveillait en 2010. Il avait une manière éloquente et passionnée, presque viscérale, d'en parler qui m'avait frappée à l'époque. C'est à cette époque que lui vient sa volonté de «nettoyer le marigot» washingtonien, qu'il voit comme un véritable système de corruption gouvernementale.

Quelle a été son influence auprès de Trump? C'est un sujet de vif débat à Washington. Il est évident que Bannon a été très présent pendant les derniers mois de la campagne et les premiers pas de président de Trump. On retrouve clairement sa patte dans le discours d'investiture du nouveau chef de l'Etat. Son pied de nez brutal aux élites, son appel à remettre les intérêts américains au premier plan et à en finir avec «le carnage américain» qui a laissé l'Amérique des provinces exsangue, c'est du pur Bannon! Même chose pour la sortie de Trump de l'accord de libre-échange Pacifique et le retrait de l'accord climat de Paris. L'idée est de défendre avant tout les intérêts américains et de se libérer d'engagements potentiellement contraignants…

Mais il faut se garder de surestimer l'influence qu'a eue Bannon qui n'a jamais été tout-puissant, contrairement

Il faut se garder de surestimer l'influence qu'a eue Bannon qui n'a jamais été tout-puissant, contrairement à la théorie selon laquelle il avait pris le contrôle du cerveau présidentiel.

à la théorie selon laquelle il avait pris le contrôle du cerveau présidentiel. Trump a toujours souligné que son turbulent conseiller était arrivé très tard dans sa campagne, bref qu'il n'avait pas eu besoin de lui pour gagner la primaire et percer en politique. En fait ce qui caractérise l'équipe de Trump est qu'elle est constituée de plusieurs factions aux sensibilités très différentes, qui n'ont cessé de se battre pour la faveur du président.

Le départ de Bannon porte évidemment un coup très dur à la faction national populiste, qui se retrouve quasiment exsangue (avec le départ de Sébastien Gorka, il ne reste guère plus que le conseiller Stephen Miller). Mais ce camp garde un atout central dans les murs de la présidence: le président lui-même, dont les vues penchent souvent de leur côté, du moins instinctivement.

Peut-on dire que Steve Bannon est à Donald Trump ce que Patrick Buisson était à Nicolas Sarkozy?

Cette comparaison me paraît pertinente, toutes choses égales d'ailleurs bien sûr! Bannon et Buisson se sont tous les deux posés en défenseurs du pays profond et oublié qu'on appelle aujourd'hui «périphérique» mais qu'ils jugent majoritaire.

Ce sont tous les deux des adeptes de l'Etat nation et des pourfendeurs des méfaits de ce que Buisson décrit dans son livre comme «la centrifugeuse de la globalisation». Quand Steve Bannon explique pendant la campagne présidentielle que les partisans de Trump représentent «le seul groupe qui comprend vraiment ce que nous devons au passé et aux générations précédentes qui ont construit ce pays», on croit lire Patrick Buisson…

Les deux hommes ont la même méfiance des médias libéraux. Ce qui est intéressant est que ces deux idéologues fascinés par le monde des idées et le sens de l'Histoire, ont travaillé pour deux hommes, Nicolas Sarkozy et Donald Trump, qui sont tous deux des instinctifs aux yeux rivés sur le présent et le court terme, plus intéressés par la com et l'action que par les grandes idées. Des «hommes de leur temps» en quelque sorte, capables d'oublier ce qu'ils ont dit hier, pas définis idéologiquement, même si, dans le cas de Trump, il y a une persistance frappante depuis les années 80, de quelques idées fortes sur les dangers de l'immigration et la nécessité de renégocier les grands traités de commerce.

Une différence de taille ; Trump et Bannon ne sont pas du tout brouillés.

Steve Bannon est parfois accusé d'être raciste et/ou proche de l'extrême droite américaine. Est-ce le cas?

Steve Bannon est accusé de racisme et d'antisémitisme par de nombreux journaux américains. Je peux me tromper mais j'ai le sentiment que c'est une erreur d'analyse, la même qu'à propos de Trump.

Steve Bannon est accusé de racisme et d'antisémitisme par de nombreux journaux américains, qui le peignent en Dark Vador de la scène politique et en défenseur de «la suprématie blanche». Je peux me tromper mais j'ai le sentiment que c'est une erreur d'analyse, la même qu'à propos de Trump.

Pour moi, ces deux hommes sont des nationalistes, durs sur la question de l'immigration illégale et des frontières, hermétiques au politiquement correct, mais pas pour autant des racistes ni des antisémites! Il y a beaucoup de juifs dans leur entourage, et une très grande proximité avec Israël. Bannon se défend d'ailleurs farouchement de ces accusations et se définit comme un nationaliste économique ou un populiste conservateur.

Il a grandi dans une école mixte, dans un quartier noir. Il est passé par l'armée qui est l'un des derniers melting-pots véritables d'une société qui se reségrègue. J'ai cherché dans ses propos passés des éléments racistes et n'en ai pas trouvé. Une anecdote qui est citée généralement en exemple de son supposé antisémitisme reprend des propos privés rapportés par sa première femme, selon lesquels il lui aurait dit un jour ne pas vouloir envoyer ses enfants dans une école, parce qu'il y avait trop de juifs. Mais cette première épouse était apparemment en froid avec lui et elle a depuis affirmé que ses propos avaient été déformés.

Bref, il s'agit d'un fil bien ténu pour accuser sans savoir. Bannon s'est en revanche désolidarisé des suprémacistes blancs et des néonazis qui sont apparus au grand jour à Charlottesville, les traitant de «clowns» marginaux et assurant qu'il n'y a «pas de place dans la politique américaine pour les néonazis, les néoconfédérés et le Ku Klux Klan».

En matière de tolérance, Bannon dit qu'il n'a “pas besoin des leçons d'un groupe de libéraux en limousine, qui viennent de l'Upper East side de New York ou des Hamptons ».

Il l'a refait ce dimanche dans un long entretien à Charlie Rose, diffusé dans l'émission 60 minutes de CBS. Il y rappelle qu'il a grandi dans un milieu très mélangé et qu'il a toujours été pour l'unité des races. Bannon y dit aussi, visiblement très agacé, qu'il n'a “pas besoin des leçons d'un groupe de libéraux en limousine, qui viennent de l'Upper East side de New York ou des Hamptons» en matière de tolérance.

Ses adversaires affirment que ces condamnations sont insuffisantes et que Bannon parle en fait un langage codé, qui encourage les nationalistes blancs à relever la tête. Mais lui semble au contraire penser qu'en portant le projet d'une droite alternative populiste, ferme sur l'immigration illégale et attachée à défendre un agenda de nationalisme économique protecteur des classes défavorisées, il marginalisera l'extrême droite et rassemblera les Américains, quelle que soit leur race ou leur orientation religieuse ou sexuelle.

Comment définiriez-vous son positionnement idéologique?

Pour comprendre Steve Bannon, il faut visionner la vidéo de la conférence skype qu'il a donnée devant une conférence organisée au Vatican, en 2015. Pour lui, le monde judéo-chrétien occidental est entré dans une crise dangereuse, qui est à la fois une crise du capitalisme et une crise de valeurs.

Le capitalisme actuel a selon lui perdu le nord, en abandonnant ses valeurs chrétiennes de redistribution, qui ont fait, ne cesse-t-il de répéter, la prospérité de l'Occident après la seconde guerre mondiale. Bannon met aussi en garde contre la sécularisation et la déchristianisation qui laissent l'Europe et l'Amérique exposées face au péril du jihadisme islamiste, qu'il voit comme un fascisme à combattre.

Un diagnostic qu'il est assez difficile de contester. Il y a un côté très sombre, presque apocalyptique dans sa

Il y a un côté très sombre, presque apocalyptique, dans sa vision du nouveau combat que doit mener l'Occident face à l'islam radical. Bref, il y a du Houellbeccq chez Steve Bannon.

vision du nouveau combat que doit mener l'Occident face à l'islam radical, qu'il compare à celui mené face aux totalitarismes nazi et communiste. Bref, il y a du Houellebecq chez Steve Bannon.

En matière économique, son positionnement protectionniste est assez éloigné de celui de l'establishment Républicain et même Démocrate. Est-ce la raison de la haine qu'il suscite chez celui-ci?

Vous avez raison, en s'attaquant à la question du libre-échange et du commerce, Bannon et Trump touchent à l'une des vaches sacrées du consensus américain depuis 1945.

Chez les républicains, l'idée de vouloir instaurer des barrières protectionnistes est vue comme une hérésie idéologique, même si dans la réalité, les Etats-Unis ont toujours maintenu des barrières très puissantes pour protéger leurs marchés (on se souvient de l'affrontement avec le Japon dans les années 80).

Cet attachement au credo du commerce sans entraves est très présent dans le parti démocrate version Clinton, qui a été aux commandes depuis des décennies. De ce point de vue, Trump et Bannon sont plutôt en ligne avec la gauche du parti démocrate, celle représentée par le candidat rival de Hillary, Bernie Sanders.

Cette volonté de protéger les ouvriers américains et de relancer l'industrie manufacturière, est vraiment au cœur du projet Trump. Il n'est pas contre le commerce, mais pour un commerce «qui favorise plus l'Amérique», dont il estime qu'elle a été lésée depuis des années.

Bannon sur ce point est également très véhément, et c'est ce qui explique sa position très tranchée sur la relation avec la Chine. Il est extrêmement conscient du déséquilibre commercial avec Pékin et juge catastrophique la tolérance que les Américains ont acceptée en matière de «propriété intellectuelle».

Pour lui, l'Amérique est train de se laisser dépouiller de son avantage technologique en acceptant des contrats d'implantation en Chine qui présupposent un transfert technologique. Il est persuadé que si cette tendance n'est pas enrayée, en faisant revenir aux Etats-Unis une part de l'industrie manufacturière, les Chinois prendront l'avantage dans les dix ans qui viennent et deviendront la nouvelle puissance dominante.

La question du commerce et du protectionnisme est donc au cœur du trumpisme. Ce qui est intéressant, c'est que Trump a embauché un certain nombre de hauts calibres du monde des affaires comme le Secrétaire au Trésor Steve Munchin ou le Secrétaire au Commerce Wilbur Ross, qui semblent reconnaître la nécessité d'établir plus de protection. La revue American Affairs en avait parlé comme «de réalistes populistes».

Arriveront-ils à des compromis qui permettent une meilleure protection sans pour autant déclencher une guerre commerciale mondiale (notamment avec le Canada et le Mexique)? C'est une question clé.

Bannon est persuadé que le populisme protecteur qu'il défend, est l'avenir, et que les prochaines élections se joueront entre « populistes de droite et de populistes de gauche ».

De manière générale, Bannon veut s'attaquer aux vaches sacrées de l'école économique de Chicago. Il est pour une baisse des impôts qui favorise les entreprises et les classes moyennes, mais il a toujours préconisé la création d'un impôt sur les plus riches.

L'idée intéressait Trump, notamment parce qu'elle lui aurait donné une marge de négociation avec les démocrates, mais elle a suscité une allergie chez les Républicains du Congrès et semble avoir disparu des écrans radars depuis le départ de son tumultueux conseiller.

Bannon est persuadé que le populisme protecteur qu'il défend, est l'avenir, et que les prochaines élections se joueront entre «populistes de droite et de populistes de gauche».

Bannon est aussi l'homme à abattre pour les faucons néoconservateurs…

Bannon pense que l'Amérique ne peut plus être le gendarme du monde. Il pense que l'Amérique s'est égarée dans des aventures militaires qui l'ont affaiblie, en Irak et en Afghanistan notamment. Il souhaite une Amérique plus modeste dans ses relations avec le monde extérieur, plus soucieuse de ses intérêts propres, il a tenté de freiner le président sur la question nord coréenne.

Sur la question du climat, par exemple, il a poussé en coulisses pour une sortie de l'accord de Paris, et l'a emporté. Mais il a en revanche subi une lourde défaite quand Trump a décidé de bombarder des installations chimiques en Syrie, après l'utilisation d'armes chimiques par le régime Assad, une action qu'il a tenté d'empêcher.

Est-il pour autant un isolationniste ? Sans doute pas, puisqu'il estime que l'Amérique doit mener en première ligne le combat contre l'islam radical et faire face à l'agressivité chinoise.

Est-il pour autant un isolationniste? Sans doute pas, puisqu'il estime que l'Amérique doit mener en première ligne le combat contre l'islam radical et faire face à l'agressivité chinoise. Il a plusieurs fois mentionné le danger d'une Russie agressive.

Mais certaines sources dans la communauté de sécurité nationale affirment que sa vision du monde est excessivement influencée par la droite conservatrice israélienne, ce qui expliquerait son tropisme très marqué contre l'Iran et l'accord nucléaire iranien.

Bannon semble également ne pas toujours mesurer à quel point les intérêts de l'Amérique sont liés au maintien de son engagement à travers le monde, comme sur le dossier afghan où il préconisait un retrait pur et simple (et le remplacement du contingent américain par des mercenaires privés!) malgré de formidables enjeux stratégiques.

C'est pour cela qu'il s'est d'ailleurs retrouvé en porte à faux, non seulement avec les néoconservateurs, mais avec les militaires pragmatiques, Jim Mattis, HR Mc Master, qui dominent aujourd'hui l'équipe de sécurité nationale de Trump et semblent chercher à faire une synthèse entre réalisme et maintien de l'engagement américain, un peu à la Reagan.

Bannon a mené, via le site populiste Breitbart news, une véritable campagne de dénigrement pour tenter d'avoir la peau du conseiller à la sécurité nationale Mc Master. Mais il a perdu cette bataille et c'est finalement lui qui a dû partir. Trump, qui est un pragmatique, semble avoir jugé que sur le front extérieur, l'idéologie arc-boutée de Bannon devenait dangereuse.

Après l'annonce de son départ, Stephen Bannon a expliqué qu'il se sentait plus efficace sans contraintes: «Je peux mieux me battre de l'extérieur. Je ne peux pas combattre les Démocrates de l'intérieur comme je pourrais le faire dehors». Que cela vous inspire-t-il? Bannon va-t-il être un allié ou un adversaire pour Trump?

Je crois que l'influence de Bannon va rester très grande et qu'il tentera d'aider Trump à garder le cap de son

Je crois que l'influence de Bannon va rester très grande et qu'il tentera d'aider Trump à garder le cap de son agenda populiste.

agenda populiste. Il sera très intéressant de voir quelle stratégie il adoptera à l'approche des élections de mi-mandat de 2018.

Bannon n'a pas caché qu'il allait tenter de faire chuter maints candidats républicains traditionnels, au profit de candidats anti establishment…Il a pour lui l'aide de la famille Mercer, un clan de milliardaires qui finance Breitbart et qui pourrait aider Bannon à créer une chaîne de télévision conservatrice concurrente de Fox news.

D'une certaine manière, cela aidera Trump dans sa guerre contre l'appareil républicain du Congrès, avec lequel il ne s'entend guère. Bannon pourrait très bien encourager le président à chercher des compromis avec le camp démocrate pour préserver sa marge de manœuvre, comme il l'a fait récemment sur le budget… Il a dit dimanche très clairement qu'il allait se battre pour lui jusqu'au bout, pour lui, quand on se met au côté de quelqu'un on n'abandonne pas en cours de route.

Mais en même temps pour le président, il y aura un vrai dilemme. Car s'il est lié à sa base par le cœur, Trump aura besoin de passer par la case Congrès pour agir. On peut donc tabler une alliance implicite Trump-Bannon, mais avec des risques potentiels de tension.

Après son limogeage, Steve Bannon a repris la tête de son organe de presse Breitbart News. Comment définiriez-vous la ligne éditoriale de ce média? Quelle est son influence?

Breitbart news est un véritable phénomène en soi qui reflète le tremblement de terre politique qui se joue en Amérique et de manière plus générale en Occident. Selon les chiffres disponibles, le site rassemblerait près de 50 millions de visiteurs uniques et serait l'un des premiers sites mondiaux en termes de présence sur les réseaux sociaux. Autant dire qu'il va falloir compter avec Bannon qui vient d'en reprendre la tête, dans les années qui viennent.

Breitbart.com, qui se définit comme un site de combat anti-élites et populiste, est avant tout un formidable pied de nez à l'establishment, républicain comme démocrate.

Breitbart.com, qui se définit comme un site de combat anti-élites et populiste, est avant tout un formidable pied de nez à l'establishment, républicain comme démocrate. Il a commencé comme un site conservateur, décidé à secouer l'idéologie du parti républicain traditionnel, perçu comme un club de gens trop polis ayant abandonné la définition de ce qui est bien ou mal à la gauche.

Pour Bannon et son groupe, plus question de s'excuser ou de céder le terrain, par peur de porter atteinte au politiquement correct ou de susciter l'ire des «maîtres des élégances» démocrates. Breitbart a largement couvert par exemple les attaques menées par des migrants contre des femmes à Cologne, il n'hésite pas à dénoncer l'extrémisme de Black Lives Matter et à parler de la jeunesse musulmane d'Europe comme d' «une bombe à retardement» pour mettre en garde contre l'islam radical.

Le site a abandonné la politesse pour le combat à mots nus, sur la question de l'immigration illégale, de l'avortement, du féminisme, des toilettes transgenres etc…Il répond aussi du tac au tac à ses détracteurs, ce qui est un phénomène nouveau. Ainsi, a-t-il appelé ses lecteurs à boycotter l'entreprise Kellogs après que cette dernière ait décidé de couper tous ses fonds à Breitbart pour son soutien à Trump. Aux campagnes de

Si on compare avec l'époque du Watergate, quand 72% des Américains faisaient confiance aux médias, ils ne sont aujourd'hui plus que 30% selon le sondage annuel Gallup !

dénigrement idéologique de la gauche, répondent désormais les campagnes de dénigrement de la droite breitbartienne…De ce point de vue, le site a répondu à une demande massive dans une population américaine, qui, si l'on sort des centres urbains des deux côtes, est en insurrection contre les excès du politiquement correct et le ton des médias libéraux.

Ils ont été furieux par exemple quand le Washington Post a annoncé qu'il n'écrirait plus le nom de l'équipe de football de DC Redskins mais seulement la lettre R dans ses éditions sportives, parce que le mot Redskins (peaux rouges) blessait supposément la population indienne américaine (on s'est ensuite aperçu que l'écrasante majorité des Indiens voulait que l'on garde le nom Redskins!)…

Bref, ces lecteurs là ont le sentiment que la presse traditionnelle s'est égarée idéologiquement et les désinforme. Si on compare avec l'époque du Watergate, quand 72% des Américains faisaient confiance aux médias, ils ne sont aujourd'hui plus que 30% selon le sondage annuel Gallup!

Du coup, Breitbart est accusé d'être un site d'extrême droite raciste, misogyne et anti minorités, une sorte de porte-drapeau de l'Alt-right. Est-ce vrai? Bannon s'en défend absolument, de même que la famille Mercer, qui finance le projet.

Quand il tente de s'expliquer sur le sujet, Bannon se voit constamment rappelé avoir dit un jour que Breibart serait «la plate-forme de l'Alt-right». Mais il a depuis essayé de montrer qu'il se voulait le véhicule d'une Amérique conservatrice et populiste, mais pas raciste ni xénophobe…

Où passe la frontière? C'est bien tout le problème et le débat sur ce point est loin d'être terminé, vu que chacun utilise les termes Alt-Right, conservateur, ultraconservateur, à sa guise. Il est évident que Breitbart a inspiré des tas de fascistes et de suprémacistes qui viennent poster des messages de haine et des théories complotistes délirantes sur son site.

Mais sa marque de fabrique, je le répète, c'est son discours anti-élites, sa défense de l'Amérique d'abord, son

Mais sa marque de fabrique, je le répète, c'est son discours anti-élites, sa défense de l'Amérique d'abord, son rejet de la globalisation.

rejet de la globalisation. Le site a été une véritable machine de guerre pendant la campagne de Trump, en accablant Hillary sans relâche et sans nuances, et en dénonçant notamment les jeux d'influence et la corruption attribués à la fondation Clinton. Bref, Breitbart est devenu l'organe de presse du «trumpisme» et devrait le rester.

Mais le corollaire de ce désir de secouer la chape des idées reçues, c'est que Breitbart sacrifie souvent la nuance et l'honnêteté à son agenda idéologique. C'est en cela qu'il peut être dangereux. Les campagnes de calomnies que le site a menées pour noircir l'image du général HR Mc Master, conseiller à la sécurité nationale, ou d'autres personnages décrétés «ennemis», ont été des opérations de propagande, peu compatibles avec la vocation d'un site d'information normal.

Le problème est que la tendance va hélas au-delà de Breitbart, même si le site mène ses combats au grand jour et sans complexes. La presse est de plus en plus engagée et de moins en moins désireuse de se situer au-dessus de la mêlée et de voir les nuances. C'est très inquiétant. On a le sentiment d'une sorte d'ensauvagement des mœurs médiatiques et politiques.

Steve Bannon est-il le Dark Vador de la politique américaine?

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72 commentaires
  • Tierceron

    le

    Tout ce que vous dites du combat de Bannon, et de Trump, contre les principaux responsables démocrates dépourvus de scrupules qui ont fait sans vergogne un hold up sur le pouvoir à leur profit, et pour restaurer les valeurs de l'Amérique et une vie meilleure aux Américains, est la réalité ;
    ce qui explique la haine qu'il suscite chez leurs adversaires

  • Homme Trouble

    le

    Un bon gars ce Steve. Un vrai Patriote Américain comme les USA n'en font plus !

  • trollhébus

    le

    Autre chose, les élites resteront toujours les élites, qu'elles s'appellent Trump ou Obama, Macron ou mélenchon, Louis XVI ou Robespierre, le monde est dirigé d'en haut, pas d'en bas, si vous voulez que votre parole porte et que vos idées passent, il faut gravir les marches sinon ce n'est que grognement ou acceptation!

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