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Au Sénégal, les cas d’infanticides posent la question de la légalisation de l’avortement

Les nourrissons retrouvés morts, souvent à la décharge publique, sont la plupart du temps le fruit d’un viol, d’un inceste ou d’un adultère.

Par Marame Coumba Seck (contributrice Le Monde Afrique, Dakar)

Publié le 17 septembre 2017 à 18h15, modifié le 18 septembre 2017 à 06h41

Temps de Lecture 5 min.

Une réunion de femmes dans le département de Bakel, au Sénégal, en 2007.

En février, un corps de bébé a été retrouvé sous un camion dans le parking du stade Léopold-Sédar-Senghor, à Dakar. Le commissaire Mandjibou Lèye, alors en poste au quartier des Parcelles-Assainies, se souvient : « Le corps avait été placé dans un sachet en plastique puis déposé sous un camion. Des mécaniciens m’ont prévenu, et nous avons envoyé le corps à l’hôpital de Grand-Yoff pour une autopsie. Agé de trois jours, le nouveau-né était mort par suffocation. »

Le même mois, une découverte tout aussi macabre a été faite à la gare des maraîchers de Pikine, en banlieue de la capitale sénégalaise. Et depuis deux ans, quatorze cas similaires ont été recensés dans les décharges d’ordures de Mbeubeuss, selon Al-Hadji Malick Diallo, le président de l’association des récupérateurs, pour qui ces chiffres sont l’arbre qui cache la forêt, car certains corps sont rapidement dévorés par les chiens.

« Il arrivait que nous retrouvions une partie du corps du bébé, raconte M. Diallo. Parfois c’était une main, parfois un pied… Les récupérateurs les laissaient aux chiens ou les enterraient. A mon arrivée en 2012 à la tête de l’association, je leur ai demandé de m’informer de tous les cas de bébés ou de restes retrouvés. Désormais, j’alerte la police et les sapeurs pompiers à chaque nouveau cas. »

Sur la table de son bureau exigu, au milieu de documents poussiéreux et froissés, M. Diallo pose une feuille jaune intitulée « Réception de fœtus » et sur laquelle il tient le morbide décompte du cimetière de bébés qu’est devenue la décharge de Mbeubeuss. Date, sexe, lieu et observations : tout y est consigné. « Je disposais aussi des photos, mais je ne les ai plus », s’excuse-t-il.

Ignorance des méthodes contraceptives

Ces cas à répétition mettent au jour un phénomène préoccupant au Sénégal : l’infanticide. Selon la dernière enquête sur la situation économique et sociale du pays effectuée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) en 2012, les cas d’infanticides représentaient 25 % des affaires jugées aux assises (devenues entre-temps chambres criminelles). La même année, la direction de l’administration pénitentiaire avait recensé 29 femmes détenues pour infanticide.

Dans la seule capitale, les répertoires des chambres criminelles du tribunal de grande instance font état de quatorze femmes condamnées ou en détention préventive pour infanticide, sachant que retrouver l’auteur d’un tel acte est souvent compliqué. « On peut recevoir un appel anonyme qui nous informe de l’accouchement d’une femme dont on n’a pas vu le bébé, explique M. Lèye. Ou bien cela peut être le petit ami qui vient porter plainte. »

En mars, une femme a été condamnée à sept ans de prison pour infanticide à Diourbel, à 150 km à l’est de Dakar. Le phénomène touche principalement les quartiers pauvres où les habitants vivent dans une forte promiscuité. « Cela explique grandement certains comportements tels que le viol, la pédophilie, l’inceste et la prostitution parfois déguisée », déduit M. Lèye. Des dérives qui, selon lui, encouragent l’infanticide.

Les motivations évoquées par les femmes qui prennent la décision de mettre un terme à la vie de leur progéniture sont en effet principalement les souffrances liées au viol, à l’inceste et des relations difficiles avec le conjoint. Les mariages non consentis, la pauvreté, l’ignorance ou la négligence des méthodes contraceptives renforcent la tentation de l’infanticide avec, comme catalyseurs communs, la pression sociale et le refus de la honte. « Ces grossesses non désirées surviennent dans un contexte d’hostilité morale et religieuse plongeant les femmes dans l’isolement, précise le psychologue Serigne Mor Mbaye. Abandonnées, elles se retrouvent fragilisées. »

M. Mbaye pointe une autre raison : l’adultère dans les zones de forte émigration. « On observe de nombreux cas dans les régions de Louga et de Tambacounda. Alors que les maris s’absentent pour une longue durée, il arrive que des femmes tombent enceintes à la suite de relations adultérines. Dans un inconfort psychologique fortement lié à la stigmatisation et à l’isolement, elles se débarrassent de leur bébé à sa naissance après plusieurs tentatives d’avortement. » L’infanticide est ainsi, à chaque fois, l’aboutissement d’un avortement manqué.

L’IVG, un enjeu de santé publique

Face à ces drames, d’aucuns, comme l’Association des juristes sénégalaises (AJS), veulent ouvrir un débat sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le Code pénal, en son article 305, interdit l’avortement, sauf si la vie de la mère est en danger. « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte, qu’elle l’ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 100 000 francs CFA [de 30 à 150 euros] », précise la loi.

A Dakar, en 2012.

De même, le Code de déontologie médicale du Sénégal accorde aux femmes l’avortement thérapeutique si cette intervention est le seul moyen de sauvegarder la vie de la mère. Mais cette exception est encadrée par des procédures longues et coûteuses. Trois médecins différents doivent attester que la vie de la mère est réellement en danger et qu’elle ne peut être sauvée que par une IVG, avant d’envoyer leur décision au président de l’Ordre des médecins.

Conséquence : dans l’impossibilité d’accéder à un avortement médicalisé, certaines femmes cachent leur grossesse pour se débarrasser de l’enfant au moment de l’accouchement, après plusieurs tentatives d’interruption manquées. Elles tombent alors sous le coup de l’article 285 du Code pénal, qui punit l’infanticide de cinq à dix ans de prison. A l’hôpital de Thiaroye, une sage-femme raconte : « Une jeune fille s’est présentée ici pour interrompre sa grossesse après avoir été violée par son père. Je l’en ai dissuadée et, après l’accouchement, nous avons envoyé le bébé à la Pouponnière de la Médina, à Dakar », un organisme tenu par des sœurs franciscaines.

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Selon l’AJS, l’accès à un avortement médicalisé est devenu un enjeu de santé publique et la pénalisation de l’IVG a des conséquences dramatiques sur la santé sexuelle et reproductive des femmes. L’association mène donc une campagne pour la légalisation de l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste. Et rappelle que l’Etat sénégalais a ratifié sans réserve le protocole de Maputo, qui, en son article 14, invite les Etats africains à autoriser l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale ou physique de la mère.

Mais ce combat se heurte aux conservatismes religieux. « Il y a une forte résistance des responsables musulmans et catholiques, qui estiment que cette pratique n’est pas conforme à la religion », observe Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire majoritaire à l’Assemblée nationale, devenu depuis chef de cabinet du chef de l’Etat, Macky Sall. Mais les choses évoluent : « Dans un pays où 95 % de la population est musulmane, notre plaidoyer doit passer par les marabouts, estime Ami Sakho, juriste membre de l’AJS. Et certains religieux, après nous avoir écoutées, sont favorables à notre campagne. »

> Lire, lundi 18 septembre sur Le Monde Afrique, le deuxième volet : Condamnées pour infanticide, des Sénégalaises racontent

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