Fake news : pourquoi Facebook peut mieux faire 

Les récentes révélations à propos de publicités russes pro-Trump sur le réseau social ont semé le doute sur les engagements de Mark Zuckerberg. Un trouble renforcé par les médias partenaires qui critiquent le manque de transparence de l’outil censé lutter contre les fausses informations.

Par Jérémie Maire

Publié le 15 septembre 2017 à 19h18

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h42

Cétait une belle promesse. Alors que Donald Trump venait tout juste d’être élu, Facebook annonçait se lancer, comme d’autres, dans la chasse aux fausses infos. Son projet, une alliance entre fact-checkeurs travaillant dans des médias installés et utilisateurs volontaires, avait de quoi séduire, quand on sait que le réseau social est la première source d’information pour 53 % de ses utilisateurs

Mais plusieurs mois après, le bilan des engagements pris par le réseau social ne semble qu’à moitié satisfaisant. Le 6 septembre, Facebook a reconnu avoir vendu des espaces publicitaires à une entreprise russe qui a cherché à déstabiliser la campagne de Hillary Clinton à coups d’arguments bidons. Des révélations qui ont également fait émerger les critiques de plusieurs médias partenaires de Facebook dans cette lutte contre les fake news. Un article de Politico raconte ainsi que « certains fact-checkeurs sont de plus en plus frustrés » par « le refus du réseau social de partager ses informations [notamment les données qui leur permettraient de prioriser leur travail et de juger de son efficacité, NDRL], qui sape leurs efforts »

Et effectivement, à entendre des journalistes travaillant pour ces différents médias partenaires, l’outil mis en place par Facebook est loin d’être idéal. « C’est toujours mieux que rien, reconnaît Pauline Moullot, journaliste à Libération pour la rubrique Désintox. Elle cite en exemple cette fausse info propagée sur de nombreux sites d’extrême droite et basée sur une dépêche erronée de l’AFP, qu’elle n’aurait pas repérée sans cela. « Mais comme d’habitude avec les géants du Net : ça manque d’une transparence qui pourrait nous être utile. »

Une étude rapide de l’outil permet en effet de voir où le bât blesse. Facebook a mis en place une section réservée à ses partenaires où sont rassemblés et classés par popularité des centaines d’articles plus ou moins douteux, signalés par les utilisateurs ou ciblés par son propre algorithme. Les médias, qui utilisent tous cette même base, piochent les contenus dans cette liste, en vérifient les infos, puis postent un lien vers un article de leur site, condition sine qua non pour valider le processus. Quand au moins deux médias ont émis des doutes sur une histoire, l’article est signalé (ou « flagué ») comme non-digne de confiance sur le réseau et l’algorithme réduit ses possibilités de diffusion.

Problème : les médias ne peuvent pas vraiment savoir pourquoi un article litigieux se retrouve bombardé « populaire » dans leur liste. « On voit souvent apparaître n’importe quoi, notamment des articles qui n’ont rien à voir avec de l’info comme ces publications du site de la version allemande de L’amour est dans le pré. Ce n’est pas clair », regrette Jacques Pezet, qui utilise l’outil pour le compte du média allemand Echtjetzt Correctiv. Et le journaliste français basé à Berlin de partager une aberration : « Ça m’est même arrivé de retrouver un des mes articles de fact-checking dans les liens signalés ! »

Alexios Mantzarlis, directeur de l’International Fact-Checking Network de l’Institut Poynter (un centre de ressources pour journalistes), a listé d’autres points litigieux pour Politico : « Au bout de combien de temps un article vérifié arrête-t-il de se propager ? Quelles sont les histoires qui requerraient une attention immédiate ? Quelles sont les fausses infos pas encore populaires mais qui ont toutes les chances de le devenir ? » Autant de questions légitimes qui pourraient trouver des solutions si Facebook acceptait de fournir quelques données. Mais la société de Mark Zuckerberg s’y refuse, nous dit un porte-parole, « pour une raison simple : le respect de la vie privée de nos utilisateurs. »

Les fact-checkeurs en viennent à se demander à quoi sert leur travail. « Il n’y a aucun moyen de savoir si ce qu’on fait a un réel impact », dit Pauline Moullot de Libération. Ce que confirme Jacques Pezet de Echtjetzt Correctiv : « Pour un fact-checkeur, rien n’est plus important que cet impact que peut produire son travail de vérification. Or, on se doute bien que publier un article qui rétablit la vérité à propos d’une vidéo qui a déjà fait deux millions de vues n’aura jamais la même force de frappe que celle-ci. » Lui souhaiterait que Facebook fasse l’effort de pousser les articles de fact-checking réalisés grâce à l’outil, notamment à travers des posts sponsorisés.

Selon ces journalistes, l’Europe n’est peut-être pas le meilleur des territoires pour tirer des conclusions : « En France, on n’a pas autant de fake news de la trempe de celles des Etats-Unis, où elles sont produites à la pelle et partagées par des sites puissants, voire des chaînes télé, analyse Pauline Moullot. Ici, on est confronté à des hoax, type les blagues satiriques de NordPresse ou du Gorafi. On n’a pas envie de “débunker” (vérifier, ndlr) cela toute la journée. Ce n’est pas forcément à lister dans les limites du projet, mais c’est extrêmement chronophage. » Même son de cloche outre-Rhin, pourtant en pleine année électorale : « Les enjeux et le suspense ne sont pas les mêmes qu’aux Etats-Unis », explique Jacques Pezet qui souligne une particulartié du lectorat allemand : « Bosser en collaboration avec Facebook est assez mal vu ici. »

Il n’empêche : cette impression de vérifier parfois dans le vent est corroborée par une étude réalisée par l’université de Yale. Celle-ci, s’appuyant sur un sondage réalisé auprès de 7500 internautes, conclut que « faire apparaître la mention “contestée par des contrôleurs d’information tiers” n’a qu’un impact minime sur la perception des lecteurs ». Pire : « Les recherches montrent que, pour certains groupes – et notamment les supporters de Donald Trump –, “flaguer” des histoires fausses pourraient augmenter la probabilité que ces utilisateurs prennent des fake news pour argent comptant ». Une tendance également significative chez les 18-25 ans, pourtant censés être les plus à l’aise avec les pratiques du réseau social...

Comment alors ne pas décourager les fact-checkeurs ? En bon géant américain, Facebook, qui dit accepter les critiques, « signe d’une relation saine » avec les médias partenaires, se garde bien d’apporter une réponse précise. « Nous travaillons sans cesse, mais il n’y a pas de clef magique. Nous testons les limites de l’outil et nous l’intégrons au sein d’une stratégie plus globale, qui ne se réduit pas qu’au fil d’actualités. » Pour convaincre, et surtout avoir des résutats, il va falloir faire encore un petit effort.

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