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Économie - Main-d’œuvre

Qui sont, au Liban, les ouvriers agricoles ?

Selon une récente étude du CREAL, les trois quarts des emplois dans le secteur agricole sont occupés par des migrants, mais ces derniers restent cantonnés aux postes les moins qualifiés et les moins rémunérés.

Ouvriers agricoles syriens à Rayak, dans la Békaa. Joseph Eid/AFP

Qui sont les hommes et les femmes qui travaillent dans le secteur agricole au Liban ? Combien sont-ils ? Combien gagnent-ils ? S'agit-il toujours de migrants ? Quel a été l'impact de l'afflux massif de réfugiés syriens depuis la guerre ? À ces questions, le Centre de recherche et d'étude agricoles libanais (CREAL) apporte une réponse inédite bien qu'encore parcellaire.

Financée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'étude, qui vient tout juste d'être rendue publique, s'appuie sur des interviews menées auprès de 238 fermes, réparties dans l'ensemble des régions du pays. « C'est une étude qualitative dont l'ambition est de donner une information originale sur une population mal connue. Le Liban ignore en effet le nombre de ses agriculteurs. Tout au plus, peut-on dire qu'approximativement 200 000 familles en vivent directement ou indirectement. Quant aux ouvriers agricoles... on ne possède aucune estimation », déplore Riad Saadé, qui dirige le CREAL et a supervisé l'étude.

Une majorité de migrants peu qualifiés

Malgré tout, cette première enquête sur la main-d'œuvre agricole au Liban fournit une intéressante photographie du monde rural. Premier constat : la présence massive des migrants dans les emplois les moins qualifiés, laissant les postes les plus qualifiés et les mieux payés aux Libanais. Parmi eux, ce sont les Syriens, aussi bien parmi les travailleurs permanents (74,7 % de l'ensemble) que parmi les saisonniers (95 % de l'ensemble) qui dominent. Sans trop de surprise, leur niveau d'éducation reste très faible : 80 % d'entre eux n'ont pas dépassé le niveau de l'école primaire. Ce qui les cantonne à des emplois à très faible productivité. « Malgré une situation de crise, liée à la fermeture des frontières terrestres avec la Syrie, par lesquelles transitaient 90 % des produits agricoles libanais, l'emploi s'est maintenu dans le secteur agricole au cours de la décennie passée. Le recours aux migrants a sans doute d'ailleurs permis de maintenir l'emploi des Libanais à des salaires identiques ». Car, a contrario, l'enquête montre que plus on monte dans la hiérarchie, plus la pyramide s'inverse : près de 73 % des emplois administratifs – soit les emplois les mieux rétribués – sont cette fois détenus par des Libanais.

« Historiquement, l'arrivée des premiers migrants dans le secteur agricole date de 1948 avec la nakba palestinienne. Auparavant, les Libanais des régions périphériques ou les paysans du Hauran syrien assuraient le gros des ouvriers agricoles du pays. Dans les années 1970, Palestiniens et Syriens ont fini par constituer la majorité. Ils ont été accompagnés d'une main-d'œuvre égyptienne et, plus récemment, bengalie, mais de manière marginale. Leur nombre est très variable en fonction des saisons ou des situations sécuritaires dans leur pays ou le nôtre. »

Se basant sur les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui estime le nombre d'individus en âge de travailler parmi les réfugiés syriens à près de 474 000, le CREAL considère que le secteur agricole pourrait absorber encore quelque 50 000 réfugiés syriens supplémentaires dans les prochaines années. « On estime que le secteur agricole emploie environ 5 % des réfugiés syriens présents au Liban. C'est une main-d'œuvre que le secteur peut absorber, beaucoup de tâches agricoles n'étant pas mécanisables, du fait de la géographie du pays », explique M. Saadé.

Des ouvriers en famille

Le profil de ces travailleurs aurait-il changé avec la guerre en Syrie ?
« Avant 2011, le Liban accueillait jusqu'à un million d'ouvriers syriens essentiellement dans l'agriculture et le bâtiment. Ils étaient célibataires, présents de manière temporaire et n'avaient pas de charges familiales au Liban. C'était un apport à la carte, qui arrangeait tout le monde. Ils dépensaient peu au Liban et logeaient sur la ferme ou sur le chantier dans des conditions souvent très précaires. » Aujourd'hui, l'extrême majorité est installée en famille et, même avec la fin du conflit, « leur retour dans leur région d'origine reste peu probable compte tenu de la redistribution de terres en cours en Syrie », assure Riad Saadé.

Autre leçon, sur le plan des salaires, cette fois : l'enquête du CREAL révèle que le salaire médian pour un employé permanent se situe légèrement en deçà du salaire minimum officiel (450 dollars), autour de 429 dollars mensuels en 2016. Mais les écarts entre les ouvriers peuvent s'avérer considérables en fonction des nationalités.
Les plus mal lotis semblent être les Maliens, dont le salaire médian stagne à 200 dollars mensuels. À titre de comparaison, un Syrien touche le double et un Bengali peut espérer atteindre un peu plus que le minimum conventionnel (460 dollars) en moyenne. Quant aux Libanais, c'est le jackpot ou presque : celui-ci perçoit 524 dollars mensuels en moyenne à un poste équivalent, avec une échelle qui varie de près de 1 000 dollars pour un emploi dans l'administration à 384 dollars pour un tâche non qualifiée.

L'étude révèle aussi la contribution importante des femmes et l'existence de disparités salariales marquées entre les sexes. Les femmes représentent 36 % de la main-d'œuvre permanente et 52 % des emplois saisonniers du panel du CREAL. Comme pour les hommes, la plupart d'entre elles sont syriennes (32 %) et se maintiennent dans des activités peu, voire pas qualifiées (maraîchage, vendange...). Malgré ces similitudes, elles subissent de fortes inégalités salariales. À travail équivalent, elles sont payées 325 dollars en moyenne contre 429 dollars pour un homme. À ce titre, les Libanaises sont un peu mieux loties, puisque les disparités s'estompent au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie sociale.

 

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