Voiture autonome : il est urgent d’anticiper
Le code de la route va être modifié par François Bellot pour, dès l’an prochain, permettre de tester des voitures autonomes en Belgique. Mais c’est loin d’être le seul défi, relève le ministre.
- Publié le 18-09-2017 à 08h22
François Bellot, la voiture autonome n’est pas qu’un défi technologique.
Les constructeurs nous disent tous qu’ils seront prêts vers 2025/2026 avec des véhicules autonomes de niveau 5, le maximum. Mais le défi maintenant, c’est la standardisation des technologies pour qu’elles soient valables sur l’ensemble de l’Europe. C’est cet appel que j’ai lancé à la Commission européenne.
Cette standardisation n’est-elle pas une évidence en soi?
Dans le ferroviaire, avec l’ETCS, on a des logiques différentes d’État à État, des logiciels différents. On veut éviter cela. Il ne faut pas reconstituer des frontières au travers de choix de technologies qui seraient de responsabilité nationale. Concrètement, la voiture autonome qui peut circuler en Belgique doit pouvoir se rendre aussi en France, aux Pays-Bas.
Vous étiez à Francfort, jeudi, pour plaider cette coordination lors de la deuxième session du dialogue européen sur la voiture autonome, dont la Belgique veut organiser la prochaine réunion. Quels autres défis restent à mener?
La deuxième chose sera de faire évoluer la Convention de Vienne sur la responsabilité en cas d’accident. Demain, dans la voiture autonome, le responsable sera celui qui vous a fourni le service. Des questions éthiques majeures se présenteront dans les situations d’accidents. Elles ont été étudiées par un groupe de travail de haut niveau ici en Allemagne mais elles sont loin d’être réglées.
UNE DÉCISION | Le code de la route modifié
L’article 8 du code de la route impose que tout véhicule doit avoir un conducteur. Une disposition gênante quand on veut tester, en conditions de circulation, des voitures dont la conduite a été automatisée, comme c’est prévu dès 2019 sur une portion de l’E313 et, entre Borgerhout et Deurne, sur le ring d’Anvers, une des cinq villes choisies par l’Europe pour ces tests.
«Nous voulons faire de la Belgique un laboratoire, un pays test du véhicule autonome», professe François Bellot. «Dès lors, nous sommes en train d’étudier une deuxième révision du code de la route (après celle de 2016 sur la distance entre camions) pour permettre d’accorder des exceptions de circulation sur la route à tous les véhicules autonomes, de catégorie 3, 4 et 5, donc véritablement sans conducteurs», explique le ministre fédéral de la Mobilité. Plutôt que de changer l’article 8, une exception sera faite pour l’ensemble du code pour des tests strictement encadrés, dont les autorités et la police seront dûment informées. Le texte doit encore recevoir l’avis des Régions et être soumis au Conseil d’État mais le ministre espère qu’il sera d’application dès le début 2018. «Nous avons des objectifs ambitieux pour résoudre les problèmes de mobilité et pour accroître la sécurité routière, sachant que la Belgique est en retard par rapport à ses voisins.»
UN CASSE-TÊTE | Taxation : grosse perte pour le Fédéral
Le nombre de véhicules va chuter. La voiture autonome sera partagée, et électrique. Un défi pour l’État en termes de recettes fiscales, admet François Bellot.
«Les accises sur les carburants sont perçues partout en Europe par les États centraux. Par contre, les taxes automobiles sont perçues par les Régions. Donc on va avoir un transfert de recettes fiscales des États centraux, qui se verront démunis, vers les Régions qui vont en principe voir leurs recettes augmentées par la taxe kilométrique qui arrivera tôt ou tard. L’équilibre va être totalement rompu.»
Le ministre évalue à 500 millions (sur un total de recettes de 8 milliards) la perte en accises sur le carburant pour l'État fédéral si seulement 10% du parc automobile devient électrique. «Nous avons chargé le SPF de nous remettre un rapport, mais c'est extrêmement complexe.»
La voiture autonome signifie-t-elle aussi la fin des transports publics? «Selon les experts internationaux, concède François Bellot, la voiture autonome engendrera une diminution du transport collectif public par route. Les bus. Par contre, elle viendra compléter de manière significative le transport ferroviaire en conduisant les gens de leur maison à la gare, ou de la gare à leur lieu de travail. On sait que ce sera très efficace, car planifié.» Et là, par contre, ce sera un coût moindre pour l'État!
UNPLAIDOYER | La vie privée à protéger
«Je suggère que l’Union européenne crée une autorité pour fixer les règles de la vie privée, avec des standards très élevés et une confidentialité absolue», plaide le ministre.
De fait, rendre les voitures autonomes exigera le partage de quantités colossales de données, traçant les déplacements de chaque individu. «On ne sera plus propriétaire de son véhicule, on achètera un service. De grands serveurs planifieront votre déplacement mais identifieront aussi quelles sont les personnes qui effectuent les mêmes trajets aux mêmes heures. On organisera le covoiturage. Si 20% des automobilistes faisaient du covoiturage aujourd’hui, nous n’aurions déjà plus d’encombrements.»
Mais qui va gérer ces données? Qui va les stocker? Qui y aura accès? Est-ce l'industrie, maître de la technologie mais soumise à des luttes de concurrence? Ou les pouvoirs publics? Les citoyens eux-mêmes garderont-ils la main sur leurs données?, ce que souhaite d'ailleurs François Bellot. «Les opérateurs de téléphonie, actuellement, disposent déjà de beaucoup de données mais ils sont contrôlés par les Commissions nationales de la vie privée. Dans une matière comme celle-ci, si l'Europe veut jouer un rôle de premier plan, il faut qu'elle se donne les moyens: 1) des standards technologiques, 2) des standards éthiques et 3) du respect de la vie privée.»
DES CHOIX | Diesel: «Y aller progressivement»
La voiture autonome aura une influence déterminante sur la mobilité, mais aussi sur l’aménagement du territoire. «Parce que, explique François Bellot, les véhicules pourront repartir dans des parking-silos extérieurs aux villes, plus confinés, où ils se rechargeront en électricité, et donc dégageront d’autant les rues.
Ce sont des dizaines d’hectares qui pourront être récupérés pour donner de l’espace aux piétons et aux vélos. Et il va falloir alimenter ces parkings en énergie électrique.»
Le défi énergétique est tout aussi immense. «Pour alimenter ces véhicules, alors qu'on va réduire le nombre de centrales nucléaires, on va devoir construire des turbines gaz-vapeur. Le gain de CO2 en sera réduit. Imaginons qu'en Belgique, 20% des véhicules passent au mode électrique dans les 6 prochaines années, ça va représenter 60 millions de kWh, au moins 2 ou 3 centrales gaz-vapeur. Il faut être prudent dans l'analyse. Et il faut repenser tout le réseau.» Ces choix d'avenir ne sont pas vraiment tranchés. Pour le ministre, il faudra de toute façon y aller progressivement, notamment pour la sortie du diesel. «On ne va pas passer d'un coup de tout thermique à tout électrique. Mais sans doute faut-il être plus sévère dans les contrôles techniques des véhicules anciens pour les retirer du parc automobile.»