Ville et campagne : dépasser le « Je t'aime, moi non plus »

L'accélération de l'urbanisation bouleverse notre rapport à la ruralité. Il faut sortir de la confrontation entre villes et campagnes dans une nouvelle alliance des territoires et faire des villages une chance pour promouvoir de nouveaux modes de production et de consommation durables. La France, avec ses 22 métropoles et ses 20.000 communes de moins de 500 habitants, doit relever ce défi.

Le phénomène urbain a transformé en profondeur les rapports entre les hommes, l'habitat et la nature. L'émergence et la croissance des grandes métropoles, les développements croissants des infrastructures, mais aussi l'effet d'attractivité, parfois jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres, envers les villes moyennes et les petites villes, sont venus bouleverser les rapports entre nos vies, les espaces urbains, ruraux, et la biodiversité dans son ensemble.

La question se trouve au coeur des enjeux des cinquante prochaines années : comment transformer les relations entre villes et campagnes, quand la vie rurale, nourricière, se transforme elle-même par la double pression de l'industrialisation agricole et d'une population devenue majoritairement urbanisée ?

Comment développer une ruralité préservant la qualité de vie, la sécurité sanitaire, les sources d'eau, l'environnement, le paysage et la biodiversité à l'heure de l'utilisation massive des pesticides, de la pollution des eaux et de l'atmosphère, de la haute productivité mécanisée, des émissions de gaz à effet de serre auxquelles, par exemple, l'agriculture contribue à hauteur de 20% ?

Le poids du passé

Il s'agit en effet de faire face au dépeuplement des campagnes, à la diminution du nombre des exploitations agricoles et à leur très forte concentration, mais aussi, de plus en plus dans les décennies à venir, au phénomène du « land grabbing » (les achats de terres dans un autre pays pour l'importation de sa production), de maîtriser nos ressources, d'avoir une chaîne alimentaire vertueuse, de protéger la nature, nos sols et nos ressources hydriques.

Les zones rurales, de plus en plus habitées par les classes populaires, demandent à être réfléchies autour d'une politique d'aménagement territorial et du paysage en résonance avec les pôles urbains qui les entourent. Mais sans aucun doute, toutes ces questions nous interrogent sur le modèle de développement des espaces ruraux et le rapport avec nos vies urbaines d'aujourd'hui, ainsi que sur les axes qui seront tracés dans un futur proche.

Comprendre au XXIe siècle les liens qui, en France, se sont développés entre la ville et la campagne, les grands centres urbains et la ruralité et, plus globalement aujourd'hui, entre les métropoles et les territoires, nous invite à nous pencher sur leurs évolutions à travers notre histoire.

Les rapports à la manière d'un « je t'aime, moi non plus » entre nos villes, et la vie campagnarde française, symbolisée par les villages, les clochers et la vie bucolique, doivent s'entendre à l'aide des grandes décisions d'aménagement territorial qui laissent des traces profondes, toujours visibles.

Tropisme centraliseur

La fameux « PLM » a illustré pendant longtemps l'importance, dans l'imaginaire français, de ces trois grands centres urbains, attracteurs de la vie citadine : Paris, Lyon, Marseille. Il est indissociable dans sa structuration et son essor des 863 km de la « ligne impériale

», ainsi nommée car chère à Napoléon III, qui ont relié par voie ferrée Paris à la Méditerranée, lien entre ces trois villes traversant les régions Île-deFrance, Bourgogne, Franche-Comté, Auvergne, Rhône-Alpes, et Provence-Alpes-Côte d'Azur... Impossible aussi de comprendre la tendance inéluctable à l'hypertrophie centralisatrice à partir de Paris et son effet sur certaines ruralités sans se souvenir de « l'étoile de Legrand », proposée en 1842 par le directeur général des Ponts et Chaussées de l'époque, Baptiste Legrand, et qui correspond au premier projet donnant lieu à l'édification d'un « réseau national . Avec la loi du 11 juin, il donnera lieu au schéma général des futures voies de chemin de fer. Centré sur Paris, d'où son nom d'étoile, il permettra de relier les différentes régions à la capitale.

Une tendance inéluctable, car cette approche est venue structurer de manière approfondie les mobilités « absorbantes » ou « magnétiques » entre Paris et les territoires avec, en particulier, le fort développement de certains axes privilégiés, et parmi eux ceux qui sont devenus les trois premières économies urbaines françaises : Paris, Lyon, Marseille, en têtes de pont de leurs territoires respectifs.

Impossible enfin de comprendre ce schéma sans faire référence, d'une part, au jacobinisme centralisateur français et, d'autre part, à la concurrence internationale, déjà existante à l'époque, alors que la France, avec seulement 319 km en exploitation, était nettement en retard concernant l'exploitation et les concessions ferroviaires par rapport à l'Angleterre, aux États allemands, à la Belgique, sans parler des États-Unis.

Paradoxe français : à l'heure des métropoles

- 17 à ce jour et bientôt 22 -, le fait communal reste une réalité enracinée dans l'histoire. Si, avec ses clochers d'églises, celle-ci s'inscrit dans la représentation nostalgique d'une autre époque, il n'en reste pas moins qu'il y va d'un héritage de l'Ancien Régime, qui avait construit un maillage d'organisation territoriale à partir des 60 000 paroisses de l'époque, la France étant le pays le plus peuplé d'Europe avant la révolution industrielle. La paroisse, qui constituait une unité administrative, fiscale, avec aussi des obligations, en était sa plus petite délimitation. Les rois de France, régnant sur « le royaume aux cent mille clochers », pouvaient ainsi garder un lien avec les territoires via les paroisses, en se passant des pouvoirs locaux des seigneurs.

À la Révolution, sur proposition de Mirabeau, les communes sont nées à partir du principe global d'« une commune par paroisse », et ont été organisées en cantons, districts et départements. Le regroupement de certaines paroisses-communes a ainsi ramené leur nombre à 41.000 en 1792, un chiffre assez proche de celui que nous connaissons plus de deux siècles plus tard : 90% des communes et départements ont ainsi gardé pour l'essentiel les contours définis à la Révolution française !

Après les transformations commencées sous Napoléon III, les communes ont peu varié jusqu'à nos jours. En revanche, c'est à ce moment que Paris fut l'une des rares municipalités à voir ses limites modifiées et étendues, avec le doublement de sa surface, découpée en 20 arrondissements. Le baron Haussmann entre en scène pour sa transformation et la « ligne impériale » susmentionnée est lancée.

Un maillage unique en Europe

Un changement majeur intervient du point de vue politique avec la loi de 1884 : elle institue que le conseil municipal sera élu au suffrage universel direct, présidé par le maire désigné parmi les siens. Petite, moyenne ou grande, rurale ou urbaine, peu importe son contour, la commune, avec ses institutions déployées partout et de la même manière, s'impose dans le paysage français comme l'élément pivot de la vie de la République, avec son maire, son conseil municipal, ses écoles et les valeurs de Liberté, d'Égalité et de Fraternité autour desquelles se façonne l'unité de la nation. Il n'en reste pas moins que la masse des 550.000 élus municipaux est biaisée par une surreprésentation des élus des petites communes rurales, peu habitées, et en disproportion par rapport aux métropoles. Au niveau statistique, il faut tout simplement comparer le poids de 20.000 communes en ruralité de moins de 500 habitants, avec la poignée dépassant les 300.000 habitants.

À elle seule, la France compte ainsi 45% de la totalité des communes de l'Union européenne pour 16% de la population, et 75% d'entre elles regroupent moins de 1.000 habitants. À titre de comparaison, l'Italie en compte 8.000 pour une population comparable et l'Allemagne réunifiée un peu plus de 12.000 pour un tiers de plus de population, quand en 1970 elle en avait 30.000.

Pour appréhender les rapports particuliers en France entre villes et campagnes, il est essentiel de comprendre une autre particularité, cette fois socio-économique. Après la révolution industrielle, les deux guerres mondiales, le boom du pétrole, le plan autoroutier des années 1970, le développement massif des grands axes de transport et le développement, à la fin du XXe siècle, d'une nouvelle économie de services, on observe que l'attractivité urbaine s'est faite au détriment de la vie rurale, et en particulier de ses petites communes. Les pôles urbains sont nés, entraînant avec eux une importante population. Mouvement qui a vu émerger les grandes villes françaises, devenues aujourd'hui métropoles, avec le ratio qui est celui d'aujourd'hui : 80% de la population française habite dans 20% du territoire.

Quid, donc, de ces espaces ruraux, de leurs communes et de leur population ? Il est important de bien identifier de quelle ruralité nous parlons quand nous souhaitons nous intéresser à cette catégorie socio-territoriale. L'identification de ces espaces à leur vocation agricole n'est plus pertinente quand nous évoquons moins de 6% d'actifs liés à ces activiste Le poids de l'activité agricole (y compris le secteur des industries agroalimentaires) représente moins de 3% du PIB aujourd'hui quand il était de 8% environ en 1980. La surface dédiée à l'agriculture en France a ainsi diminué de 20% en cinquante ans, pour occuper aujourd'hui 53,2% du territoire. Ces pertes se sont opérées de façon quasi irréversible au profit de la ville, du logement, des infrastructures, à hauteur de 2,5 millions d'hectares. D'après l'enquête Teruti-Lucas du ministère de l'Agriculture, 78.000 hectares en moyenne ont été urbanisés chaque année entre 2006 et 2010. C'est l'équivalent, en quatre ans, de la surface agricole moyenne de l'un de nos 101 départements.

Dépasser l'approche productiviste

Le nombre des exploitations agricoles a été divisé par quatre, mais leur taille moyenne a été multipliée presque par quatre. La part de la population active agricole a été divisée par dix, s'établissant à moins de 2% de la population active totale, selon la FAO en 2013. La diminution de la surface des terres agricoles n'est pas spécifique à la France et se poursuit depuis plusieurs décennies. Le rapport de l'Union européenne de 2012 sur le corollaire terre et urbanisation précise que le recouvrement par le béton ou l'asphalte est une des principales causes de la dégradation des sols. Chaque année en Europe, les infrastructures bâties avalent plus de 1.000 km² de terres ou de forêts. Il s'agit de l'une des fortes raisons d'augmentation du risque d'inondation et de pénurie, de perte de capacités de recyclage de la matière organique, de limite à la croissance des plantes. La perte du couvert

végétal altère les capacités de stockage du carbone, impacte les mécanismes de régulation des températures et le climat, et réduit la production d'oxygène. Dans une vision du futur, la ruralité reste donc un espoir pour bâtir d'autres modes de production et de consommation, basés sur la circularité. Sortir de la confrontation ville-campagne, c'est aussi accepter de construire un autre rapport d'altérité entre la vie urbaine et cette ruralité qui peine à exister dans un monde économique porté par la recherche d'une rentabilité, accompagnée de procédés souvent attentatoires à l'environnement et à la santé humaine. Nous avons pu le voir il y a peu avec la crise des oeufs et ce qu'elle révèle de leur mode de production.

De nouveaux modes de relations

La ruralité est une chance pour développer une autre manière de mettre en oeuvre les circuits courts vertueux de l'économie circulaire en optimisant nos ressources. Elle incarne aussi la culture dans tous les sens du terme : celle de la terre, de l'esprit, du respect de la nature et d'autrui. C'est redonner sa place à l'altruisme et à l'empathie, avec la nature comme fil conducteur, c'est « ré-ensauvager » la terre, pour reprendre la proposition avancée par le célèbre biologiste E.O. Wilson dans son livre de 2016 Half-Earth : Our Planet's Fight for Life. Avec le concours de nouveaux rapports sur la ruralité, nous devons réinventer la terre urbaine et, comme le signale William Lynn, « si nous voulons répondre aux besoins fondamentaux des hommes (et de la Terre), il faut aussi transformer les villes en lieux de vie durables et agréables ». D'où l'intérêt des initiatives comme l'index de biodiversité urbaine (City Biodiversity Index, CBI), un indicateur construit pour évaluer la biodiversité citadine, adopté par la conférence de Nagoya de 2010.

Le vrai pari, in fine, n'est-il pas notre capacité commune à créer de la valeur, à être attractifs, à développer une culture de l'innovation, pour enclencher de nouveaux circuits de consommation- production qui nous permettent de réinventer les territoires, la ruralité et la proximité ? Aller d'une république jacobine et centralisatrice vers une république urbaine, métropolitaine, totalement ancrée dans l'Europe, mais également porteuse d'une alliance des territoires, englobant la ruralité, qui permette de créer des emplois, de construire des territoires zéro chômage, avec comme objectif essentiel de lutter contre l'exclusion et la pauvreté Voilà le véritable enjeu à venir.

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Commentaires 2
à écrit le 20/09/2017 à 15:07
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Nous ne sommes pas responsables de l'exode rural proprement dit. Il est due à la mécanisation et à la productivité de l'agriculture, et à ses conséquences sur les populations, commerces et services publiques des "campagnes". En revanche, nous sommes...

à écrit le 20/09/2017 à 9:30
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Oui c'est indispensable mais cela ne va pas être facile, cela ne peut pas être facile puisque un monde nous sépare, nos façons de vivre sont diamétralement opposées. Mais un indice tout de même il est plus facile de se faire entendre par des gens...

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