Prison de Borgo : après l'évasion par fax, le mandat fantôme

Par A.A.

Borgo - U Borgu

On a beau avoir été interpellé en mars dernier avec près de quatre kilos de cocaïne dans ses bagages, être considéré comme un "beau mec" du grand banditisme corse et compter de solides références en la matière une quinzaine de condamnations pour association de malfaiteurs, braquage, détention et cession de produits stupéfiants depuis 1976 on n'en demeure pas moins soumis à l'état de nécessité.

Ces considérations ont probablement guidé la main d'une secourable connaissance de Louis Carboni, seul détenu particulièrement surveillé du centre pénitentiaire de Borgu, lorsque le 9 mai 2017, un mandat de 500 euros lui a été adressé depuis un bureau de poste lyonnais pour satisfaire aux menues dépenses qui adoucissent le quotidien carcéral.

L'argent retiré en liquide

Dans la chronique pénitentiaire, un non-événement si l'argent était parvenu à destination. Seulement voilà, les billets se sont envolés entre le bureau de poste de Borgu et le service de la prison - 1 590 mètres à vol d'oiseau.

Le 6 juin dernier, le détenu Carboni Louis, numéro d'écrou 10115, s'enquiert donc auprès d'un surveillant : près d'un mois après l'émission du mandat, il n'a toujours pas vu la couleur de l'argent. Des vérifications sont effectuées. Le mandat est introuvable.

La procédure d'encaissement répond pourtant à de stricts contrôles : réceptionné au bureau de poste de Borgu, chaque récépissé de mandat est ensuite transmis à la Régie des comptes nominatifs la "compta" de la prison avant d'être dûment tamponné et photocopié en deux exemplaires dont l'un est transmis au détenu bénéficiaire.

Pour faire bonne mesure, une dernière précaution consiste à inscrire la date de naissance du destinataire sur le document. Après quoi, l'ensemble des récépissés est joint en une liasse présentée à La Poste pour obtenir le versement des sommes.

Ce traitement dit "en masse" est généralement effectué le lendemain de la réception des mandats. Les sommes sont versées sur le compte de la prison ou délivrées en numéraire, notamment lorsque des détenus s'apprêtent à retrouver la liberté et reçoivent de ce fait un pécule. Or, le récépissé de Louis Carboni a bien été retiré au bureau de poste de Borgu le lundi 15 mai. Mais il n'a pas été présenté avec les autres le lendemain, mardi 16 mai, ni les deux jours suivants.

L'après-midi du vendredi 19 mai en revanche, à 14 h 14 précises, une somme d'un montant de 500 euros est retirée au guichet. En liquide.

Le détenu mène l'enquête

Léger hic souligné par un cadre de l'administration pénitentiaire, "il est contraire à tous les usages qu'un seul mandat soit présenté à La Poste".

D'autant que ce même vendredi de mai, peu avant 9 heures du matin, une liasse a déjà été présentée pour un rondelet total de 1 805 euros, retirés en numéraire par la suppléante du régisseur de la prison, conformément à la procédure habituelle. Pourquoi un second retrait en cash l'après-midi même ?

Derrière les barreaux, Louis Carboni peine à obtenir une réponse satisfaisante à cette lancinante interrogation et décide de mener lui-même l'enquête, non sans un certain succès.

Le 22 juin, il exhibe la preuve que "son" récépissé a bien été récupéré à la poste de Borgu. Nouvelles investigations. Le document reste invisible.

Le 3 juillet, pièces à l'appui, il démontre que 500 euros ont été encaissés au nom du centre pénitentiaire et débités du compte de sa bienfaitrice. Le document ne réapparaît pas pour autant.

Le coup de théâtre intervient au coeur de la canicule, le 27 juillet, lorsque la photocopie du récépissérefait miraculeusement surface entre les mains de la vaguemestre, laquelle porte aussitôt sa trouvaille à la connaissance de la direction de l'établissement.

A la prison, le Deus ex machina n'apaise pas des esprits chauffés à blanc par de réciproques accusations. Tant et si bien que le 23 août, une altercation entre deux personnels de l'établissement se solde par un dépôt de plainte auprès de la gendarmerie de Borgu.

"Qui a fait le coup ?"

Depuis, le Cluedo pénitentiaire rebondit entre les épais murs de la prison. Qui a fait le coup ? Le régisseur ? La titulaire du poste était en congés le jour du retrait. Sa suppléante ? Elle est rapidement mise hors de cause. La vaguemestre qui mène généralement les opérations ? La Poste répond benoîtement que les mesures de contrôle ne prévoient pas de vérifier l'identité de la personne qui effectue les retraits, celle-ci étant pratiquement la même tous les jours.

A peine installé dans son fauteuil, le nouveau directeur du centre pénitentiaire, Fabrice Bels, expérimente quant à lui les aspects inattendus de ses nouvelles fonctions."L'ensemble des éléments relatifs à ce dossier a été transmis aux autorités compétentes et fait l'objet de diverses mesures d'enquête", fait-il courtoisement savoir tandis que les conseils de Louis Carboni, Mes Anna-Maria Sollacaro et Marie Rossi, s'en tiennent à "une prudente réserve en attendant les premiers résultats des investigations en cours".

Leur client, lui, s'est entendu répondre par un cadre de l'administration pénitentiaire, au cours de l'été, qu'il faudrait "attendre un peu" pour être dédommagé.

La patience n'est pas la première vertu de l'intéressé. Le 25 juin 2001, il l'avait amplement démontré en s'évadant de la prison de Borgu par hélicoptère.