Mais quel train (de vie) mènent nos sénateurs ?

De nouvelles élections sénatoriales se dérouleront le 24 septembre prochain dans la plus grande indifférence. Et il ne faut pas compter sur les sénateurs pour percer ce silence. Derrière les murs de leur palais, ces vieux briscards jouissent encore de privilèges, qu’ils regrettent de voir peu à peu disparaître.
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Bienvenue au 15, rue de Vaugirard, dans le sixième arrondissement parisien. La pelouse y est toujours verte et parfaitement coupée. Les vases débordent de fleurs tels des cornes d’abondances. Les lustres clinquent comme lorsque Marie de Médicis y résidait. Le palais, somme toute charmant, serait, à première vue, une maison de retraite parfaite. Mais n’est-ce pas un peu ce qu’il est ? Aux dernières élections, en 2014, cette assemblée – à 75 % masculine – était âgée en moyenne de 61 ans et neuf mois. Et il ne faut pas compter sur les quelques petits nouveaux étiquetés La République En Marche, arrivés en juin dernier, pour rajeunir ce parlement puisqu’ils sont en majorité d’anciens élus socialistes. Tous ces vieux briscards de la politique – qui ont été à peine effleurés par la vague Macron – évoluent donc dans un des plus beaux sanctuaires de la République, qui est, par ailleurs, parsemé de nombreux vestiges monarchiques. Comme dans la salle des Conférences où domine le trône de Napoléon. On ne peut également que s’émerveiller devant les tapisseries des Gobelins qui retracent les Métamorphoses d’Ovide ou en dessous du plafond peint par Eugène Delacroix. Mais le palais du Luxembourg ne se résume pas à quelques vieilleries. Derrière ses murs, se cache une vraie petite ville avec son médecin, ses coiffeurs, son kiosque à journaux… Tout à disposition des sénateurs et des autres employés.

Les extérieurs du palais du Luxembourg (JACQUES DEMARTHON/AFP)
La meilleure cantine de France
Le déjeuner est très certainement le moment de la journée que les sénateurs préfèrent. Tous se retrouvent au restaurant du Sénat qui, par beau temps, est ouvert sur les jardins. Le menu, concocté par le chef Christophe Blinet, a de quoi faire saliver. Peu importe la saison, on peut y déguster un foie gras de canard au cacao. Ces derniers jours, la carte a été agrémentée d'un coing poché à la crème de mozzarella, d'un Osso Bucco de dinde à l’orange, d’un Mille-feuilles à la vanille mais aussi d’un plat dit « diététique » car même Gérard Larcher fait attention à sa ligne. Si maints établissements parisiens proposent le même festin, le prix de celui-ci est imbattable. L’addition peut rapidement être élevée pour un visiteur mais elle dépasse rarement les 15-16 euros pour les habitués. Au prix d’un steak tartare dans une brasserie des grands boulevards, les sénateurs boivent des grands crus et sont servis comme des rois par Jean-Christophe Trubert, un passionné de gastronomie et de politique qui a géré, avant cela, de grandes tables de la capitale.
Vacances sur l'Île de Ré
Selon les derniers relevés – consultables sur le site du Sénat – un sénateur touche 7 209,74 euros brut par mois, dont une indemnité parlementaire de base à 5 599,80 euros, une indemnité de résidence à 167,99 euros et une indemnité de fonction à 1 441,95 euros. Le président du Sénat – Gérard Larcher depuis 2014 – reçoit, en « sa qualité », 7 166,49 euros à ajouter au salaire de ses collègues. Dans l'hémicycle (Photo12/Gilles Targat/AFP) Bien que statistiquement considéré comme un Français riche, le sénateur pourrait se plaindre de ne pas être mieux payé qu’un directeur des ressources humaines de PME ou qu’un pharmacien. C’est exactement ce qu’avait pleurniché le sénateur de la Meuse, Gérard Longuet, interrogé par Challenges. Mais c’est sans compter sur divers avantages accessoires. Pour ses week-ends sur l’île de Ré, le sénateur n’a pas à se priver puisqu’il dispose d’un accès gratuit au réseau SNCF en première classe. Tout comme un accès gratuit au réseau RATP dont il n’use guère puisque ses trajets en taxis sont aussi offerts. Il faut savoir également que le sénateur ne dépense pas un sesterce pour le téléphone et Internet. Mais rien n’est précisé en ce qui concerne l’abonnement Netflix.
C’est tous les jours Noël
En juin 2015, l’affaire, dévoilée par Mediapart, avait fait grand bruit : de 2003 à 2014, à la veille des fêtes de fin d’années, les sénateurs UMP avaient pour habitude de se gaver. Durant deux jours, ils défilaient dans le bureau de la comptable au parlement pour recevoir un chèque de 8 000 euros. Le nom de code de cette transaction qui devait rester secrète : « étrennes », tout simplement. Selon les informations de Mediapart, cet argent était « extrait des caisses du groupe UMP du Sénat » et était, à l’origine, destiné à organiser des travaux parlementaires ou à payer des collaborateurs. Voyant que ça sentait le sapin, le président du groupe Bruno Retailleau, élu en octobre 2014, a mis fin à ce petit bonus festif. Face aux polémiques de plus en plus vives, les sénateurs ont dû, ces dernières années, se poser quelques questions quant à leur train de vie. « Entre 50 et 100 sénateurs font le boulot, les autres viennent toucher leur fric », explique le journaliste Yvan Stéfanovitch, auteur de Le Sénat, un paradis fiscal pour les parlementaires. Comme dans une ambiance de mutineries anti-monarchiques, les sénateurs se sentent alors menacés : « Je crois qu’un risque de mort pèse sur le Sénat. Il dépend de notre capacité à être transparent. Il ne faut pas que les Français aient le sentiment qu’on leur cache des choses », déclarait Alain Anziani, sénateur PS, dans l’émission Pièces à conviction en janvier 2015. Le président de la vieille chambre, Gérard Larcher, s’était donc immédiatement attaqué à cette entreprise de « transparence », en commençant par l’absentéisme. Depuis, les députés fantômes se voient privés d’une partie de leur salaire, parfois à hauteur de 4 400 euros.

La fin d’une époque
Voyant qu’à l’Assemblée nationale, les nouveau-nés d’Emmanuel Macron essayaient de dépoussiérer un protocole vieux comme le monde, le palais du Luxembourg a dû également ouvrir ses portes à la modernité. Ainsi, en juillet dernier, un petit séisme s’est produit chez nos sénateurs : la majorité a voté la fin de l’indemnité représentative de frais de mandat qui s’élevait à 6 037 euros nets par mois et que les parlementaires n’avaient pas à déclarer ni à justifier. Ce n’est pas sans amertume que ces vieux briscards ont donc accepté de passer… aux notes de frais. Mais ils ne devraient pas être trop contraints par ce nouveau devoir de transparence. On se souvient qu’en 2011, le sénateur PS, Jean-Marc Pastor, n’avait aucunement rougi en présentant les factures de deux repas d’un total de 2 492 euros dans un restaurant tenu par sa propre fille. Malgré ces réformes, les privilèges du Sénat n’ont pas tous été abolis : retraite plus qu’avantageuse, grasses rémunérations de collaborateurs,… Que les derniers princes de la République se rassurent, ils peuvent encore dormir sereinement dans la chaleur de leur palais.