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Décryptage

Rohingyas : un mois de crise et une longue liste d'horreurs

Nettoyage ethnique, incendies volontaires, chaos humanitaire, viols, mines, charnier : «Libération» dresse le bilan de la situation dans l'Etat Rakhine, en Birmanie, et au Bangladesh.
par Laurence Defranoux, Infographie BiG
publié le 25 septembre 2017 à 18h37

Cela fait un mois que l’Etat Rakhine (ou d’Arakan), une région pauvre située à l’extrême ouest de la Birmanie, s’est enflammé. Depuis le 25 août, lutte armée, répression, incendies volontaires ont poussé environ 436 000 de ses habitants à fuir, plongeant aussi le sud du Bangladesh voisin dans le chaos.

Que se passe-t-il en Birmanie ?

La Birmanie, mosaïque de 135 ethnies, connaît de multiples conflits internes, notamment dans les Etats limitrophes. La crise des Rohingyas ne concerne que l'Arakan. Ce petit Etat est peuplé d'environ 2 millions d'habitants issus de la minorité bouddhiste arakanaise et d'1 million de musulmans appelés Rohingyas, auxquels s'ajoutent d'autres petites communautés musulmanes, hindoues ou bouddhistes. La région étant interdite aux journalistes, les informations proviennent des centaines de témoignages recueillis et recoupés par la presse et les ONG, des déclarations des autorités birmanes elles-mêmes et d'images satellites. Depuis plusieurs décennies, les Rohingyas sont victimes d'apartheid. Déchus de leur citoyenneté, privés de liberté, ils sont victimes de persécutions et d'une propagande haineuse qui détériorent leurs relations avec les bouddhistes, souvent aussi démunis qu'eux.

Le 25 août, l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (Arsa), un groupe rebelle, a attaqué 30 postes de police, tuant une douzaine de policiers avant d'être abattus. Les rebelles s'en seraient aussi pris à des civils bouddhistes et hindous. A la suite de ces attaques, l'armée birmane, toujours très influente malgré la transition démocratique de 2011, a lancé une campagne extrêmement violente de représailles sur la population civile rohingya. Des commandos de militaires, de policiers garde-frontière et de miliciens extrémistes bouddhistes font des descentes dans les villages, terrorisent, parfois blessent, violent ou tuent les habitants, puis incendient les maisons. «50% des villages sont intacts», a voulu rassurer la semaine dernière Aung San Suu Kyi, qui dirige le gouvernement civil birman.

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«Nettoyage ethnique» ou «génocide» ?

En quatre semaines, plus de 200 villages ont été totalement détruits, et 436 000 habitants de l'Arakan ont quitté le pays. Malgré les dénégations des autorités, des maisons continuent à être incendiées. Les Nations unies ont dénoncé un «nettoyage ethnique», défini par l'encyclopédie Universalis comme «une tentative de créer des zones géographiques se caractérisant par leur homogénéité ethnique, au moyen de la déportation ou du déplacement forcé de personnes appartenant à des groupes ethniques définis». On estime pour l'instant que 430 personnes ont été tuées, «peut-être un millier» a avancé le 8 septembre la rapporteuse de l'ONU pour la Birmanie. Aussi dramatiques que soient ces chiffres, l'objectif ne semble pas d'exterminer mais de chasser une population considérée comme «étrangère». On ne serait donc pas en présence d'un «génocide» comme l'a dit Emmanuel Macron la semaine dernière. Par ailleurs, cette opération ne peut être réduite à la vision «musulmans contre bouddhistes». Même si elle se cristallise aujourd'hui sur les questions de religion, elle est aussi motivée par de vieux conflits ethniques liés à l'histoire de l'Arakan et sans doute désormais par des objectifs économiques. L'Etat Rakhine, qui offre un accès à l'océan Indien, est devenu crucial pour l'Inde, la Chine et le gouvernement birman, et l'armée a tout à gagner à libérer de force des terres pour de grands et juteux projets industriels et commerciaux.

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Au Bangladesh, la plus grande concentration de réfugiés au monde

En un mois, le pays de 160 millions d’habitants, très majoritairement musulmans, a dû gérer un afflux de 436 000 réfugiés de Birmanie. Ces nouveaux venus se sont ajoutés aux 212 000 Rohingyas qui avaient fui des violences antérieures et vivaient dans deux camps officiels et dans des camps de fortune près de la frontière birmane, dans la région de Cox’s Bazar. Ce qui est aujourd’hui la plus grande concentration de réfugiés au monde affronte des problèmes humanitaires, sanitaires et logistiques immenses qui pourraient déstabiliser le pays. La Première ministre Sheikh Hasina, qui a laissé les frontières ouvertes, a demandé l’aide de la communauté internationale pour gérer la crise et préparer le retour des réfugiés en Birmanie. Des barrages policiers ont été mis en place pour empêcher les réfugiés de gagner d’autres régions du Bangladesh, et les opérateurs téléphoniques ont interdiction de leur vendre des forfaits et des puces téléphoniques au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, ce qui accentue leur isolement.

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Le viol comme arme pour les militaires ?

De très nombreux témoignages de victimes et de comptes rendus médicaux font état de viols en réunion commis par des militaires birmans sur des musulmanes d’Arakan depuis le 25 août. En raison du chaos ambiant et de la honte que subissent les victimes dans une société conservatrice et patriarcale, il sera difficile de mesurer l’ampleur de ces crimes, qui semblent, selon les observateurs, utilisés comme un autre moyen de terroriser la population.

Des mines antipersonnel à la frontière ?

L’ONG Human Rights Watch, l’AFP et les autorités bangladaises ont recueilli plusieurs témoignages faisant état de l’usage de mines antipersonnel contre les habitants de l’Arakan fuyant les violences. Des réfugiés disent avoir vu des militaires poser des mines sur les principaux points de passage vers le Bangladesh. En septembre 2016, le vice-ministre de la Défense birman avait informé le Parlement que l’armée continuait à utiliser ces mines antipersonnel dans sa lutte contre les groupes armés de minorités ethniques. Les mines antipersonnel sont interdites depuis 1997 par une convention internationale, non signée par la Birmanie. Selon les gardes-frontières bangladais, 5 personnes seraient mortes sur ces mines et 12 blessées depuis le 25 août.

Un charnier en Birmanie ?

Environ 30 000 réfugiés arrivés au Bangladesh seraient de confession hindoue ou bouddhiste. Certains d’entre eux font état de violences commises par l’armée, d’autres d’exactions de militants rohingyas. Sur la base de témoignages d’habitants hindous de l’Arakan (les hindous représentent environ 0,28% de la population arakanaise), qui disent avoir été victimes d’attaques de militants musulmans le 25 août, l’armée birmane a annoncé dimanche la découverte d’une fosse commune de 28 corps près de Kha Maung Seik, dans le district de Maungdaw. Un drame qui vient nourrir la très forte animosité de l’opinion publique birmane qui refuse aux Rohingyas le statut de victimes et les considère comme des immigrés illégaux et fauteurs de troubles. Environ 90% des 55 millions d’habitants de la Birmanie sont bouddhistes, 6% chrétiens et 4% musulmans, dont un peu plus du tiers sont Rohingyas. Les autres communautés musulmanes du pays sont peu ou pas inquiétées.

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