Seule une lourde taxation des émissions de gaz à effet de serre permettrait de stabiliser le réchauffement climatique, selon Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française pour le développement. Un article de notre partenaire, le Journal de l’Environnement.
À quelques semaines de l’ouverture du prochain round de la négociation Climat, à Bonn (Allemagne), l’optimisme n’est plus de mise. Presque deux ans après la conclusion de l’Accord de Paris, la communauté des négociateurs et des observateurs peine à maintenir la dynamique amorcée lors de la COP 21 du Bourget.
Ces derniers mois, les nuages ont été nombreux à s’accumuler. Il y a eu, bien sûr, l’annonce du retrait américain de l’Accord de Paris. Une décision qui, quatre mois après son annonce, n’est toujours pas suivie d’effets.
On peut ajouter à cela l’incapacité de l’Union européenne d’arrêter définitivement sa stratégie climatique à moyen terme. Voire de conduire à bon port les politiques déjà engagées, comme l’a rappelé en milieu de semaine la Cour des comptes européenne. En France, les climatologues ont du mal à comprendre la logique d’un gouvernement porteur d’un plan Climat mais conservant les subventions aux énergies fossiles et laissant la porte ouverte à l’exploitation des hydrocarbures.
NDC insuffisantes
Le plus grave n’est peut-être pas là. Avec un peu d’avance sur le calendrier onusien, l’AFD a réalisé un premier bilan des contributions déterminées au niveau national (NDC dans le jargon onusien): les promesses faites par les États avant la COP 21. Le résultat est alarmant. «Si l’on prolonge les efforts prévus par les NDC jusqu’en 2050 [les NDC actuelles courent jusqu’en 2030, ndlr], on arrive à un réchauffement de 3,5°C», note Gaël Giraud, l’économiste en chef de l’Agence française pour le développement (AFD).
Dérapage climatique en vue
Comment éviter pareil dérapage? D’abord en considérant que nous avons un budget carbone à gérer en commun. «D’ici 2060, nous pouvons encore émettre 1 200 gigatonnes de CO2. Ensuite, nous devrons atteindre une neutralité carbone nette, à partir de 2070», estime Gaël Giraud. Reste à savoir sur quelles bases attribuer les budgets carbone nationaux. Un sujet sur lequel phosphorent les chercheurs de la Banque française de développement. Sujet explosif si l’on garde à l’esprit que 80% de l’énergie consommée dans le monde est produite par des énergies fossiles souvent subventionnées par les États.
Laissez-faire
L’AFD a modélisé les conséquences d’une économie sans contrainte carbone. En utilisant le modèle macroéconomique Gemmes, les chercheurs obtiennent des résultats détonants: la température moyenne globale de 4°C d’ici la fin du siècle, provoquant une chute de l’activité économique (l’évolution du PIB mondial deviendrait négative vers 2080) et de l’inflation. Contraint de réparer des actifs malmenés par les conséquences du réchauffement, le secteur privé ne cesserait d’emprunter, faisant bondir la dette à des niveaux jamais encore atteints.
Trajectoires surréalistes
Nécessité fait donc loi de singulièrement muscler les NDC. Ce qui n’est pas gagné. La plupart des pays, notamment ceux en développement, ne disposent pas des compétences pour bâtir de nouveaux modèles de développement ‘2°C compatibles’. D’autres imaginent des trajectoires parfois surréalistes. «La Chine a conçu sa stratégie en faisant tourner un modèle économique qui ne prend en compte ni le chômage ni le poids de la dette», s’étonne Gaël Giraud.
Négocier le tournant de la transition climatique coûtera cher. «Selon les études, le montant de la facture pour les 15 à 20 prochaines années varie de 50 à 90 000 milliards de dollars», rappelle l’économiste. Hors de nos moyens? Pas forcément (PIB annuel mondial est d’environ 75 000 milliards de dollars). À supposer que le chiffrage de Nicholas Stern soit le bon, il faudrait investir 90 000 Md$ en 15 ans pour adapter nos infrastructures à la nouvelle donne climatique. Ce qui nous obligerait à doubler le montant de nos investissements en matière d’infrastructures ‘vertes’. L’argent n’est pas le problème. Les banques centrales ne cessent de faire tourner la planche à billets depuis une vingtaine d’années. «Nous n’avons jamais eu autant d’argent disponible sur la planète», confirme Gaël Giraud. Reste à le flécher vers les projets ‘bas carbone’, et souvent ‘bas revenus’.
Corridor des prix du carbone
Les économistes étant incapables de rentabiliser la construction d’une digue pour un investisseur institutionnel, la solution est de renchérir l’émission de gaz à effet de serre, pour inciter les acteurs économiques à abandonner hydrocarbures et charbon au profit des solutions neutres en carbone.
Deux solutions s’offrent aux ministères des finances: un système d’échange de quotas, comme en Europe, en Chine ou aux États-Unis, ou la taxe carbone, comme en Suède. Au vu du «bilan calamiteux» du marché européen du carbone, l’économiste en chef de l’AFD est plutôt favorable au second système, rejoignant en cela les conclusions des rapports Stiglitz-Stern ou Canfin-Grandjean-Mestrallet. Un prix du carbone unique au niveau mondial étant jugé irréaliste, ces experts militent pour la création d’un «corridor» des prix du carbone: une taxe dont le montant oscillerait entre un plancher et un plafond (entre 40 et 80 dollars la tonne, par exemple). Chaque région du monde étant libre de fixer librement son niveau et son assiette de taxation.
Un message que les économistes rabâcheront lors de la COP 23, qui s’ouvre à Bonn le 6 novembre prochain, et du sommet climatique de Paris du 12 décembre. Seront-ils seulement entendus?