La Maison blanche a accusé réception : le premier exemplaire du livre « Last night in Sweden » est bien arrivé à Washington. Le président Donald Trump va-t-il le feuilleter ? Lire la préface, écrite par l’historien Henrik Berggren, qui s’interroge sur la fascination pour la Suède et son « modèle social » ? Découvrir les 200 photos, prises dans le pays, entre avril et mai dernier ? Peut-être que savoir qu’il a inspiré l’ouvrage et l’exposition, présentée jusqu’au 29 octobre au Musée de la photographie à Stockholm, flattera l’ego sensible du « leader du monde libre » ?
C’est à l’aéroport d’Orlando-Melbourne, en Floride, que Donald Trump, très en verve, a prononcé, le 18 février 2017, les cinq mots qui ont déclenché une tempête médiatique les jours suivants. Il défendait alors son décret anti-immigration, signé trois semaines plus tôt, interdisant l’entrée des États-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans : « Nous devons protéger notre pays », assène-t-il alors face à ses sympathisants. Il donne en exemple ces États qui ont accueilli des réfugiés et sont désormais la cible des terroristes : la France, l’Allemagne, la Belgique. Et puis : « Look at what’s happening last night in Sweden ! » (« Regardez ce qui s’est passé hier soir en Suède ! »), lance-t-il.
Le discours de Trump, le 18 février 2017 (en anglais)
À Stockholm, les autorités sont forcées de démentir les insinuations du président américain : la soirée du 17 février, répète-t-on, a été particulièrement calme. Donald Trump se fend d’un Tweet, deux jours plus tard, expliquant que ses propos faisaient référence à un reportage qu’il avait vu la veille, sur la chaîne américaine Fox News, décrivant le fiasco de la politique d’intégration suédoise.
Déluge de boulettes et de sous
D’abord interloqués, les habitants du royaume scandinave s’en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux, postant des photos de boulettes de viande, de paysages enneigés, de leurs animaux domestiques… « Le message était qu’il ne s’était rien passé, se souvient Jeppe Wikström, éditeur chez Max Ström à Stockholm. Mais ce n’est pas entièrement vrai : il s’est passé plein de choses dans le pays, ce soir-là, comme tous les soirs. Sauf qu’on n’en a pas parlé dans les journaux, parce qu’il s’agit d’événements de la vie quotidienne. »
Il décide de les rassembler, au sein d’un livre, pour « donner une image plus nuancée de la Suède », et contacte une centaine de photographes professionnels, auxquels il demande « un travail de documentation plus qu’un pamphlet politique ». Illustrer le quotidien, dans sa banalité et ses instants inattendus, entre 18 heures et minuit, de l’extrême-sud du pays à la Laponie.
« [Trump] a l’air de passer plus de temps devant la télé qu’à feuilleter un livre. » Magnus Sundberg, photographe
Une campagne de crowdfunding est organisée. « On pensait qu’il faudrait un mois pour obtenir 100 000 couronnes [environ 10 000 euros], mais au bout de sept heures, nous avions réuni l’argent. » Depuis, près de 900 contributeurs, originaires d’une vingtaine de pays, ont mis la main à la poche, pour un montant total de 355 000 couronnes (environ 37 000 euros).
Photographe au quotidien Dagens Nyheter, Anette Nantell suit une famille de réfugiés congolais qui a atterri à Nacka, en banlieue de Stockholm. À leur arrivée, les voisins ont protesté, demandant le retour du club de motards des Hells Angels, qui occupait auparavant la maison. Puis, la tension est retombée. Du lien s’est créé. Un soir de mai, la fille, Mave Lochove, 26 ans, dont le compagnon est toujours au Congo, a accouché de Juliana. Sur la photo, la jeune femme, agenouillée près de son lit, s’accroche à la main de sa mère Akiki.
Montrer la vie comme elle est
Les clichés sont classés en fonction du jour de la semaine où ils ont été pris. On y voit des ouvriers sur leur chantier, des parents qui couchent leurs enfants, des ados qui traînent devant un centre commercial ; des footballeurs, des choristes, des sirènes qui s’entraînent ; le départ d’un avion qui ramène en Afghanistan des réfugiés déboutés ; les mères de la banlieue défavorisée de Fittja, qui font leur ronde… « S’il s’était passé quelque chose ce soir-là, la photo aurait été différente. Mais c’était calme, comme la plupart des soirs, même s’il y a parfois des scènes de violence », raconte Anette Nantell.
L’attaque terroriste au camion bélier, qui a fait cinq morts, le 7 avril, en plein cœur de Stockholm, aurait pu mettre fin au projet. « J’étais une des premières sur place, témoigne la photographe. À cet instant-là, je me suis demandé si Trump n’avait pas raison. » La « manifestation pour l’amour », deux jours plus tard, qui a rassemblé 20 000 personnes à quelques mètres des lieux de l’attaque, la convainc du contraire.
Parmi les milliers de photos, 200 ont été retenues pour figurer dans le livre. L’homme d’affaire Sven Hagströmer, qui a fait un don de 50 000 couronnes (environ 5 000 euros), a rédigé la lettre, accompagnant l’ouvrage adressé au président des États-Unis. « Il l’encourage à prendre la mesure des responsabilités qui découlent de sa fonction », confie Jeppe Wikström. Tous les membres du Congrès américain ainsi que les députés européens vont également se voir remettre un exemplaire de Last Night in Sweden. Pour le photographe Magnus Sundberg, qui s’est rendu à Naimakka, au nord du cercle polaire, dans un des villages les plus isolés du pays, il était important que l’ouvrage fût remis à Donald Trump : « C’est une façon de clore l’histoire », dit-il, sans se faire d’illusion sur ce chef d’État, « qui a l’air de passer plus de temps devant la télé qu’à feuilleter un livre ».
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