Sandrine Rousseau, l’une des quatre élues à avoir porté plainte en 2016 contre Denis Baupin. — G. Durand / 20 Minutes

VIOLENCES SEXUELLES

«Si nous avions brisé le silence avant, il n’y aurait pas eu d’affaire Baupin», raconte Sandrine Rousseau

Propos recueillis par Hakima Bounemoura

Sandrine Rousseau, secrétaire nationale adjointe d’EELV, publie un livre témoignage, « Parler », dans lequel elle raconte les « difficultés à dénoncer » quand on est victime d’agressions sexuelles…

  • Sandrine Rousseau est l’une des quatre élues à avoir porté plainte en 2016 contre Denis Baupin pour harcèlement et agression sexuelle.
  • Le 6 mars 2017, le parquet de Paris a classé l’affaire sans suite, évoquant des faits « prescrits » mais reconnaissant des « déclarations mesurées » et « corroborées ».
  • Sandrine Rousseau sort ce mercredi « Parler », un livre dans lequel elle raconte la manière dont elle a vécu l’affaire.

Elle a été l’une des toutes premières femmes politiques à avoir brisé la loi du silence. Sandrine Rousseau, l’une des quatre élues à avoir porté plainte en 2016 contre Denis Baupin pour harcèlement et agression sexuelle, sort ce mercredi Parler (éditions Flammarion), un livre dans lequel elle raconte la manière dont elle a vécu l’affaire et les conséquences sur sa vie. L’élue de 45 ans, dont la plainte pour agression sexuelle a été classée sans suite pour prescription en mars 2017, y évoque « les difficultés » rencontrées lorsqu’on veut « dénoncer » de tels faits, mais aussi la nécessité d'« en finir avec la loi du silence » et de « parler ».

L’ex-porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et secrétaire nationale adjointe du parti, vient également d’annoncer via son avocat qu’elle avait porté plainte ce vendredi contre Denis Baupin pour « dénonciation calomnieuse » en réponse à une plainte de ce dernier pour diffamation.

A cause de la prescription, votre affaire n’a pas été jugée, Denis Baupin n’a jamais été condamné. Ecrire ce livre, n’est-ce pas pour vous une manière de vous faire un peu justice ?

Mon histoire méritait d’être rendue publique. Pas le récit médiatique de l’affaire tel qu’il a pu être fait, mais mon histoire à moi, celle que j’ai intimement vécue. Un jour, Denis Baupin m’a plaquée contre le mur en me tenant par la poitrine et a cherché à m’embrasser. Je n’ai jamais gardé ça secret mais, pour autant, personne ne m’a entendue, ou n’a voulu m’entendre. Aujourd’hui, j’ai besoin de parler, de raconter, d’expliquer… Mettre des mots sur ce qui s’est passé. Se taire, c’est donner le droit à notre agresseur de recommencer. Si nous avions brisé le silence avant, il n’y aurait pas eu d’affaire Baupin. On lui a malheureusement laissé le champ libre. Alors même si la justice ne peut plus rien pour moi, j’ai le devoir de raconter mon histoire pour toutes celles qui ont encore du mal aujourd’hui à briser la loi du silence.

Dans « Parler », vous revenez en détail sur cette affaire, les réactions autour de vous et « le parcours d’obstacles » que vous avez dû franchir…

C’est très compliqué d’être une victime d’agression sexuelle aujourd’hui en France. Souvent, c’est parole contre parole. La pression est d’emblée mise sur nous, les victimes, et pas sur notre bourreau. J’ai été traitée de menteuse, de mythomane. J’ai même fait l’objet d’une plainte pour « diffamation ». Tout ça doit changer, il faut renverser la charge de la preuve. Mais aussi rallonger les délais de prescription, améliorer la prise en charge des victimes, renforcer les moyens d’enquête… L’association que j’ai créée*, et à laquelle je vais exclusivement me consacrer, propose notamment à celles qui le souhaitent de les accompagner au commissariat pour porter plainte. Ne plus se sentir isolée est un premier pas vers la guérison.

Denis Baupin parlait d’« un jeu de séduction réciproque » et de « libertinage incompris ». Comment faire comprendre que le harcèlement sexuel, ce n’est pas de la drague ?

C’est simple. La ligne rouge est franchie à partir du moment où les choses sont imposées, et que la femme n’a pas donné son consentement. Une simple main aux fesses, c’est une agression sexuelle ! Si vous allez en Suède, c’est puni par une peine de prison ferme. Et je ne vous parle même pas des Etats-Unis. Il ne viendrait jamais à l’idée à une femme de mettre la main au panier à un homme ! L’inverse est donc tout aussi inacceptable. Des études montrent par ailleurs que c’est dans les pays où il y a le plus de plaintes qu’il y a le moins d’agressions sexuelles. En France, seulement 10 % des femmes portent plainte. 90 % de ces plaintes sont classées. Et 90 % des plaintes non classées sont transformées en non-lieu. Donc pour 100 plaintes déposées, 99 débouchent sur… rien. Mon objectif avec mon association, c’est de faire bouger ces chiffres.

Votre préface a été écrite par les trois autres victimes qui ont porté plainte contre Denis Baupin, et vous dédicacez votre livre à votre mère et à vos grands-mères. C’est donc un livre fait par des femmes, pour des femmes. Quel message pour les hommes ?

Parler est avant tout destiné aux femmes, à toutes les femmes qui se reconnaissent dans mon témoignage, à celles qui ont subi, ou qui malheureusement risquent de subir une agression sexuelle dans leur vie. Car les statistiques sont terribles : il y a une tentative de viol toutes les trois minutes en France. Mais mon livre s’adresse aussi à leurs proches, à leurs conjoints dont l’accompagnement est indispensable. Et à la gent masculine bien sûr. Les hommes ont le devoir de se désolidariser de ceux qui commettent de tels actes. Mais, bien souvent, ce n’est pas le cas. Lorsque l’affaire Baupin a éclaté, les hommes politiques se sont illustrés par leur silence. Ils auraient dû dire publiquement que ce genre de comportement est inacceptable.

* Association Parler, qui accompagne les victimes de violences sexuelles (www.associationparler.com).

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