L'ancien vice-président américain Al Gore à Davos le 21 janvier 2015

L'ancien vice-président américain Al Gore à Davos le 21 janvier 2015

afp.com/Fabrice Coffrini

Alarmiste, mais visionnaire. En 2006, Al Gore sort le très remarqué Une vérité qui dérange, un film alertant sur les dangers du réchauffement climatique. Malgré les vives critiques des climatosceptiques, une mise en scène très hollywoodienne, voire alarmiste, et quelques erreurs factuelles, le documentaire connaît un grand succès public. Il est récompensé par deux oscars et permet notamment à Al Gore de recevoir le prix Nobel de la paix, en 2007.

Publicité

Ce 27 septembre, l'ancien candidat démocrate revient dans les salles avec Une suite qui dérange. Une déclaration de guerre à l'administration du président Donald Trump -ouvertement climatosceptique-, mais aussi un rappel de ses mises en garde de 2006, plus que jamais actuelles.

L'Express a revu Une vérité qui dérange, et compare son premier documentaire avec l'actualité récente. S'il était effectivement très alarmiste, il avait néanmoins vu juste sur de nombreux points.

La réalité du réchauffement, la responsabilité de l'homme

En 2006, les climatosceptiques sont encore nombreux, et le sujet fait encore débat dans la société civile -moins chez les scientifiques. Pour Al Gore, la vérité est évidente: non seulement le réchauffement climatique était déjà réel, mais le coupable est évidemment l'Homme.

Pour donner du poids à ses propos, il cite de nombreuses publications scientifiques, dont une méta-étude qui analysait les conclusions de 928 publications scientifiques sur le réchauffement climatique. Cette dernière soulignait que le consensus de la communauté scientifique est que l'Homme en est bien responsable.

Vue depuis la Tour Montparnasse, Paris vit un nouvel épisode de pollution aux particules, le 29 décembre 2016

Vue depuis la Tour Montparnasse, le 29 décembre 2016, alors que Paris vit un nouvel épisode de pollution aux particules.

© / afp.com/LIONEL BONAVENTURE

Depuis, les rapports de 2007 et 2014 du Groupe d'experts international sur l'évolution du climat (Giec), dont les travaux font autorité sur le climat, ont levé les derniers doutes. Le réchauffement climatique est bien réel, de plus en plus prononcé, et les activités humaines en sont les premières responsables.

"Les records de chaleur vont s'empiler"

Dans son premier documentaire, Al Gore expliquait déjà que l'année 2005 avait été la plus chaude depuis la fin du XIXe siècle, et prédisait un empilement de nouveaux records pour les années à venir.

INFOGRAPHIES >> Triste record: 2016 est l'année la plus chaude jamais enregistrée

Les années suivantes lui ont donné raison. Fin 2016, les climatologues du monde entier ont dressé un triste tableau de l'année écoulée, la plus chaude depuis 2015, elle-même année la plus chaude depuis... 2014. "Quel que soit le système de mesure utilisé, 2016 a pulvérisé tous les records de chaleurs", notait Gavin Schmidt, climatologue et directeur du Goddard Institute, le centre de recherche sur le climat de la Nasa.

réchauffement climatique climat températures

Les températures moyennes sur Terre en depuis 1850, et les prévisions de 2017. Depuis 60 ans, la courbe est clairement inquiétante. Service national britannique de météorologie.

© / Met Office UK

En se basant sur la moyenne des températures entre 1880 et 1899 -que l'on peut considérer comme représentative de l'ère préindustrielle- "2016 a été en moyenne 1,1°C plus chaude", notamment à cause de l'accroissement des émissions de CO2 et de méthane dans l'atmosphère depuis des dizaines d'années, ajoutait le scientifique.

"Manhattan sera sous les eaux"

Dans la bande-annonce de son nouveau documentaire (à 00:15), Al Gore explique que "la scène la plus critiquée du film Une vérité qui dérange montrait que l'association de la montée des eaux et de la force des tempêtes [tropicales] inonderait le mémorial du 11 septembre, sur l'île de Manhattan (à New York). Les gens disaient: c'est totalement exagéré". Puis il montre l'inondation du site du World Trade Center, en 2012, à cause de l'ouragan Sandy.

Al Gore a en fait déformé ses anciennes prédictions pour mieux servir son nouveau documentaire. Car dans Une vérité qui dérange, il prédisait en fait que l'inondation de Manhattan serait provoquée par la fonte des glaces, notamment du Groenland, et la hausse du niveau des océans. Il ne prédisait pas que ce serait à cause d'un ouragan.

"Il y aura de plus en plus de catastrophes naturelles"

En revanche, dans son documentaire de 2006, Al Gore alertait bien la population sur l'inéluctable multiplication des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique. Il prenait pour exemple les tornades aux États-Unis, les typhons dans le Pacifique l'ouragan Katrina, en 2005.

Mais est-ce que la multiplication des ouragans, typhons et cyclones [trois noms pour un même phénomène] est bien liée au réchauffement climatique? "La question est loin d'être facile", confiait à l'Express Hervé Le Treut, éminent climatologue et directeur de l'Institut Pierre Simon Laplace.

Pour résumer l'actuel débat scientifique: "il y a de fort soupçons" que le réchauffement climatique provoque, si ce n'est plus d'ouragans, au moins des ouragans plus violents, à l'image d'Irma et Jose au mois de septembre 2017. Mais pour pouvoir l'affirmer avec certitude, "il faudrait des études statistiques sur 30, 40 ans, ce dont on ne dispose pas encore", expliquait le chercheur.

"Les océans vont monter"

Reste donc la question de la hausse du niveau des océans. "La fonte des glaciers pourrait entraîner une hausse des océans de près de 6 mètres", redoutait par exemple Al Gore, qui s'inquiétait aussi de la fonte du Groenland. Des prédictions très alarmistes, mais pas si éloignées de la vérité.

Le cinquième rapport du GIEC, publiée en 2013, indique par exemple que les océans se sont élevés de 19 cm depuis la fin du XIXe siècle. Selon le pire scénario des auteurs, le niveau des océans pourrait augmenter d'un mètre d'ici 2100 et de 6,63 mètres d'ici 2500.

Visa pour l'image / réchauffement climatique

Peia Kararaua, 16 ans, nage dans une zone inondée de l'archipel des îles Kiribati, l'une des zones de la planète les plus affectées par la montée des eaux.

© / Vlad Sokhin / Cosmos

Les derniers rapports sur l'état du climat ("State of the Climate"), publiés par la très sérieuse Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA), indiquent eux que le niveau des océans augmente pour le moment d'environ 3,3 millimètres par an. Un phénomène éloignée du "pire scénario", mais qui "risque de s'accélérer dans les prochaines décennies", préviennent les auteurs.

Une autre étude, parue en juin 2017, estime de son côté que le niveau des océans est monté en 2014 à une vitesse supérieure de 50% à celle de 1993 et que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland en serait à l'origine à hauteur de 25%, contre 5% il y a 20 ans. Bref, si Al Gore a opté pour la version la plus pessimiste -et spectaculaire-, il ne s'est pas trompé sur le diagnostic.

"D'ici 10 ans, les neiges du Kilimandjaro n'existeront plus"

Il a d'ailleurs fait la même chose avec les glaciers. Car dans Une vérité qui dérange, il annonce que "d'ici 10 ans, les neiges du Kilimandjaro n'existeront plus". Force est de constater que la plus haute montagne d'Afrique est toujours enneigée en 2017, mais... plus pour longtemps. Ses glaciers devraient totalement disparaître d'ici 2030, selon les dernières prévisions.

Et le Kilimandjaro n'est pas le seul sommet touché. Les scientifiques en sont "certains à quasiment 100%", les glaciers reculent, voire disparaissent partout dans le monde,à cause du réchauffement climatique. Une étude publiée ce mois de septembre par le laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement (LGGE), montre par exemple que les glaciers des Alpes françaises fondent trois fois plus vite depuis 2003, avec une perte totale de 25% de leur superficie en 12 ans.

Les climatosceptiques auront disparus dans 10 ans

Là-dessus, Al Gore s'est (malheureusement) lourdement trompé. Donald Trump et sa garde rapprochée très climatosceptique sont bien à la tête des États-Unis et quelques experts payés par les lobbys tentent toujours de faire croire qu'il n'existe pas de consensus scientifique sur la question du réchauffement climatique.

Néanmoins, la question a pris une ampleur considérable en 10 ans. L'Accord de Paris, signé par 195 pays en décembre 2015, est un signe encourageant, même si jugé insuffisant parce peu contraignant pour les États, et mis à mal par la décision de Donald Trump de s'en retirer.

LIRE AUSSI >> Climat: il n'y a que 5% de chances de limiter le réchauffement à 2°C

Au final, Al Gore s'est-il montré trop pessimiste, voire trop alarmiste? Peut-être pas tant que ça. Selon une étude publiée en juillet 2017 dans prestigieuse revue Nature, presque tous les scientifiques s'accordent à dire que le respect du cap des +1,5°, fixé par la Cop 21 de Paris est totalement irréalisable, sauf si des changements drastiques sont immédiatement mis en place. Interrogés par L'Express en 2016, deux experts du CNRS se montraient tout aussi pessimistes. La sonnette d'alarme tirée par Al Gore, en dépit de quelques exagérations, n'en était pas moins salutaire.

Publicité