"Il faut s'attaquer au proxénétisme, pas à nous travailleurs du sexe volontaires"

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Par Arthur Lejeune

Suite aux polémiques de ce début de semaine concernant la publicité d'un site de sugardating, pratique qui propose à des jeunes filles de fréquenter des hommes fortunés, et souvent plus âges, en échange d'argent, l'équipe d'A Votre Avis avait décidé de centrer son troisième numéro sur la problématique de la prostitution. Partant de ce cas spécifique de prostitution estudiantine, Sacha Daout et ses invités ont parcouru le thème des travailleurs du sexe au sens large. 

D'entrée, un homme se faisait remarquer par son absence : Sigurd Vedal, le patron du site qui a fait polémique. Invité, il a finalement fait savoir une heure avant le début de l'émission qu'il ne viendrait pas sur le plateau, sans donner beaucoup plus d'explications. "S'il n'est pas là, c'est qu'il se rend sans doute compte de la gravité des faits", estime Gautier Calomne, député fédéral MR. "Nous pensons qu'il est clairement dans une incitation à la débauche et à la prostitution, ajoute Isabelle Simonis, ministre des Droits des femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il nous semble qu'il pourrait être auditionné dans le cadre de l'Article 380". 

Une facilité ? Un certain attrait vers les strass ?

Pour aborder la problématique, Carine (nom d'emprunt), ancienne "sugar baby" lorsqu'elle était étudiante, témoigne par téléphone : "Quand on peut le supporter mentalement, c'est certainement une facilité pour faire rentrer de l'argent qui va permettre d'avoir une vie étudiante relativement confortable, et de ne pas devoir compter chaque centime comme certains." Pourtant, Carine tient à le préciser : ce n'est pas de l'argent "facile". Il faut pouvoir le supporter mentalement, faire la part des choses. Et certaines en sont incapables. "D'autres, en revanche, le font aussi par attrait pour les strass, le luxe". 

Mais il n'y a pas que ça, défend Renaud Maes, professeur à l'ULB et à Saint-Louis, et rédacteur en chef de La Revue Nouvelle. La prostitution estudiantine est en hausse en Europe, selon les indicateurs. "C'est difficile à quantifier, vu les tabous qui entourent encore aujourd'hui la prostitution, mais il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas en Belgique", explique Renaud Maes. Et, pour lui, la première cause de cette hausse, c'est le phénomène de précarisation des étudiants. Phénomène qui est, précise-t-il, très important en Fédération Wallonie-Bruxelles. "Se prostituer, ce n'est pas qu'une lubie pour avoir un sac Louis Vuitton. La vie de prostituée n'est pas faite de strass et de paillettes. C'est une image qui est socialement construite et acceptée par de jeunes filles souvent trop naïves. Ça permet aussi à certains clients de se déculpabiliser. Parce qu'en réalité, c'est une vie très dure, d'autant plus pour ces jeunes filles qui ne sont pas professionnelles et ne maîtrisent donc pas les codes du métier", précise Renaud Maes.    

Des jeunes de plus en plus précaires

La précarisation, on la remarque également au sein des CPAS, représentés dans le public par le président de celui de Namur, Philippe Noël. En quinze ans, le nombre d'étudiants qui dépendent des CPAS pour leurs études a été multiplié par sept. "Chaque année, on note 11% d'étudiants en plus qui se tournent vers le CPAS pour les aider à subvenir à leurs besoins, quels qu'ils soient. Et, en général, le CPAS devient de plus en plus le dernier recours pour financer des études, quand le milieu familial est incapable de soutenir", explique Philippe Noël. Le président du CPAS de Namur s'appuie par ailleurs sur son expérience de terrain pour casser le stéréotype des jeunes "glandeurs": "Certains nous disent clairement qu'ils veulent à tout prix réussir leur vie". Selon lui, on se rend compte que beaucoup de jeunes regrettent d'avoir arrêté leurs études trop tôt et se remettent à étudier après avoir galéré quelques années.  

"L'absence de statut est une violence"

Le dernier chapitre de l'émission était consacré au débat quant à la légalisation ou non de la prostitution au sens large. Haritz Sanchez, travailleur du sexe, est formel : "L'absence de statut est une violence. Aujourd'hui, nous nous revendiquons travailleurs du sexe, car tous les autres mots utilisés sont extrêmement violents. Ce n'est pas pour rien que 'fils de p***' est une insulte très courante". Face à l'absence de réaction d'Isabelle Simonis et Gautier Calomne, les deux représentants du monde politique sur le plateau, Kelly, elle aussi prostituée, s'indigne : "Pourquoi ne peut-on pas avoir de statut? Je suis indépendante, je paye des lois sociales, mais je suis inscrite en tant que "service à la personne", ce qui ne correspond pas à ce que je fais". Ce qu'il faut avant tout, selon Haritz et Kelly, c'est s'attaquer aux proxénètes, et ne pas confondre ces derniers avec les travailleurs du sexe volontaires.

Pour Isabelle Simonis, il est pour l'instant difficile d'envisager un statut pour eux, en tout cas dans l'immédiat, car la prostitution est considérée au plan européen comme une violence. La ministre des Droits des femmes cite par ailleurs quelques chiffres, tirés de plusieurs études : selon ces statistiques, neuf femmes sur dix demandent à quitter la prostitution lorsqu'on le leur demande. Sept sur dix subissent des violences physiques et six affirment avoir déjà été violées. Des études qui sont contestées par Haritz Sanchez, qui reçoit l'appui de Kelly : "En dix ans, je n'ai jamais subi de violence. Le client me choisit, mais moi aussi je le choisis. Rien qu'en débutant la conversation, je sais déceler si ça va bien se passer ou pas, et s'il faut je ferme la porte", affirme-t-elle.

Le débat autour du "plus vieux métier du monde" a visiblement encore de beaux jours devant lui.  

Retrouvez dès à présent l'intégrale de l'émission et les meilleurs moments sur Auvio

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