Ils sont sur des chantiers ou des exploitations agricoles, mais ils passent inaperçus. Logés en groupe, transportés sur les lieux de travail, étroitement encadrés par des gardiens interprètes, ils font à peine quelques courses dans le voisinage. Pas le genre à dilapider leur paye à la fin du mois.

Au demeurant, ils n’auraient pas beaucoup à dépenser, car l’état nord-coréen, à travers diverses entreprises intermédiaires, prélève une bonne partie de leur salaire. Mais cela reste difficile à prouver.

« En 2010, nous avons contrôlé un groupe sur un chantier à Wroclaw. Tous nous ont dit qu’ils recevaient 500 dollars par mois (420 €) et envoyaient l’argent à leur famille. J’aurais pu leur arracher les ongles, ils n’auraient pas dit autre chose ! », raconte un inspecteur du travail.

Un sujet délicat pour les autorités

Son collègue de Szczecin se souvient lui aussi d’un contrôle de la petite entreprise de métallurgie Redshield, employant 28 Nord-Coréens. « Tous les documents étaient en règle… ». Depuis la publication, en 2016, d’un rapport de chercheurs qui a révélé leur présence, le sujet est devenu très délicat pour les autorités polonaises. Depuis, les entreprises qui font appel à leurs services se sont faites très discrètes.

« Nous n’avons jamais eu de Nord-Coréens comme salariés », jure ainsi Tomasz Wrzask, porte-parole des chantiers navals Crist de Gdynia. Un soudeur nord-coréen de 42 ans, Chon Kyongsu, y est pourtant mort en 2014 suite à de graves brûlures, après un accident du travail. « C’était l’un de nos sous-traitants, l’entreprise Armex, qui l’avait embauché. Et nous avons toujours veillé à ce que cela se fasse en toute légalité », justifie le porte-parole.

Il ajoute que depuis juillet 2016, Crist a cessé toute collaboration avec Armex. Cette entreprise, citée dans des rapports comme étant l’un des fournisseurs réguliers de travailleurs nord-coréens pour le marché polonais, serait d’ailleurs en liquidation judiciaire.

Même son de cloche chez Atal, un gros promoteur immobilier. « Les ouvriers nord-coréens sont employés par un sous-traitant, et leurs conditions de travail sont conformes au cadre légal en vigueur », assure un porte-parole. Selon la presse polonaise, ce sous-traitant serait la société JP Construct, dirigée par le fils du propriétaire d’Atal.

Des réseaux de « location » de main-d’œuvre

Ancien membre du bloc communiste, la Pologne avait alors avec la Corée du Nord des relations multiples : diplomatiques, commerciales, scientifiques… Ces liens ont facilité la mise en place de ces réseaux de « location » de main-d’œuvre nord-coréenne sur les bords de la Vistule.

Selon plusieurs sources non officielles, l’ambassade polonaise à Pyongyang ne délivrerait plus de visas depuis 2016. Pourtant, le nombre de permis de travail octroyés durant les 6 premiers mois de 2017 est resté stable par rapport aux années précédentes : 188. Il était de 364 pour toute l’année 2016 et 482 en 2015.

De plus, l’idée d’interdire aux sujets de Kim Jong-Un l’accès au marché polonais est loin de faire l’unanimité. Pour Marek Lewandowski, porte-parole du syndicat Solidarnosc, la Pologne « est pour ces gens comme une fenêtre ouverte sur le monde ». Pour lui, « il faut contrôler le plus souvent possible leurs conditions sociales et la légalité de leur statut, pas forcément interdire leur présence… ».

« Ils ne sont pas plus esclaves ici que chez eux. Au contraire, ils sont relativement bien en Pologne », renchérit Irena Dawid-Olczyk de l’association La Strada. Cette ONG qui lutte contre la traite des êtres humains se tient prête à intervenir. Pourtant, reconnaît sa responsable, la situation est complexe, car les Nord-Coréens ne se déclarent pas exploités.