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Politique

Europacity : les 5 bugs de ce méga-projet à 3 milliards d'euros

Lancé en 2008, ce méga-centre commercial avec loisirs et tourisme à gogo, piloté par la famille Mulliez (Auchan) devait révolutionner la grande distribution. Mais cette opération de 3,1 milliards d’euros, malgré des aménagements, suscite de multiples questions. Le projet comporte, il est vrai, une série de "bugs" qui posent problème. Notre anaylse.

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Le très contesté projet d'Europacity à 3 milliards d'euros.

Europacity

Les automobilistes qui, depuis Paris, vont à Roissy ou à Lille, peuvent-ils imaginer ce qui se trame sous leurs yeux, de l'autre coté de l'autoroute A1? Là, sur ces terres couvertes de blé, sur la commune de Gonesse (Val d’Oise), entre les aéroports de Roissy Charles-de-Gaulle et du Bourget, s'élèvera, en 2024, un des plus grands centres commerciaux d'Europe. 200 000 mètres carrés de surfaces commerciales sorties d'un seul coup de terre. Deux fois plus que les centres commerciaux géants de La défense ou des Quatre-Temps. Ne cherchez pas : en France, il n'y a pas d'équivalent. Piloté par la famille Mulliez, fondatrice d'Auchan, alliés aux chinois de Wanda, ce projet devra attirer, selon ses concepteurs, … 30 millions de visiteurs. Pas moins! Mais ce centre commercial du futur, qui alliera commerce, culture et loisirs, s'est attiré l'hostilité des écologistes et d'une partie des riverains et laisse dubitatif un certain nombre de professionnels du commerce, de financiers et de politiques. Jalousie ou impréparation? Manque de concertation ou erreur d'appréciation? Impossible de trancher pour le moment. Reste que le projet est empêtré dans une série de bugs, cinq exactement, qu'il faut détailler pour bien comprendre pourquoi, presque 10 ans après son lancement, il commence seulement à sortir des cartons…

Un bug administratif

En aout dernier, tombait le résultat de l’enquête publique sur la révision du plan local d’urbanisme de Gonesse, dans le Val d'oise : le commissaire-enquêteur émettait un avis négatif au projet de révision. En cause? Le projet Europacity. L'enquête pointait ses effets négatifs sur l’environnement, les dégâts que causerait un nouveau centre sur un tissu commercial déjà très dense : Aéroville, ouvert en 2014, avec ses 150 boutiques et son hypermarché… Auchan. Et, plus au sud, O’Parinor, avec ses 200 magasins, ses 30 restaurants et son Carrefour de 22 000 m². Il pointait aussi le risque de cannibalisation sur les emplois alentour… Dans toute autre commune, faute d'un tel accord, le conseil municipal se serait abstenu d'accorder le moindre permis de construire. Pas à Gonesse. Lundi dernier, son maire, Jean-Pierre Blazy (PS), passait outre l'enquête publique et faisait entériner le projet par son conseil. Les maires alentours (Villepinte, Aulnay, le Bourget et Sevran) sont furieux. Pour Vincent Capo-Canellas, maire du Bourget, «ce projet n’est pas du tout connecté au reste du territoire et pour être rentable, il devra attirer plus de visiteurs que Disneyland." La victoire des partisans du projet pourrait rapidement être remise en cause. Car les opposants au projet comptent bien attaquer le nouveau PLU devant le Tribunal administratif. Et le principal d'entre eux, Bernard Loup, président du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), espère que l'avis défavorable de l'enquête publique y aura plus de poids qu'à la mairie de Gonesse.

Un bug commercial

Le 4 septembre dernier, le groupe Auchan annonçait, pour la première fois de son histoire, des résultats négatifs. La faute à ses hypermarchés, qui ne font plus recette, et attirent de moins en moins de visiteurs. Le commerce, on le sait, est en train de muter. Amazon et Internet sont passés par là et les grands groupes, Carrefour, Casino et même Leclerc, planchent sur des formules qui permettent de combiner achat à distance et déplacements dans leurs "malls", ces gigantesques temples de la consommation qui parsèment le pays. Pas simple. Europacity est, selon le groupe nordiste, la solution. Grâce à une offre différente. Pour David Lebon, son directeur du développement, "nous voulons inventer un concept qui convainque les gens de continuer à sortir de chez eux, à l'heure où l'on peut tout faire depuis un smartphone. ». Pour le directeur général d’Alliages et Territoires, Benoît Chang, tout reposera sur un "modèle disruptif", subtil équilibre entre  «du freemium et du premium". Traduction : on viendra ici parce que ce sera gratuit. Mais dès qu'on voudra plus (de spectacles, de loisirs et de biens à consommer), on casquera! A l'époque où tout peut s'acheter sur Internet, il faut apporter une expérience sur « une destination festive et populaire » comme l'explique Benoit Chang, pour faire concurrence à Internet. En quoi consistera cette offre disruptive? Présentée il y a quelques jours, la version 2.0 d'Europacity, dessinée par huit architectes supervisés par le danois Bjärke Ingels, devrait offrir 50 000 m² consacrés au loisirs (salles de concert et de spectacle, centre culturel…), 150 000 m² consacrés aux loisirs (parc à Thèmes, cirque Annie Fratellini, parc aquatique et sans doute une piste de ski intérieure), 2000 chambres réparties sur cinq hôtels, et, pour seulement un tiers de la surface construite, soit 230000 m², des commerces. Mais, pour le moment, impossible d'en savoir plus. Disruptif, en effet!

Un bug financier

D'autant qu'à ce jour, et c'est le troisième bug, l'équilibre financier de l'ensemble reste mystérieux. Pour que les comptes soient équilibrés, il faudra pourtant réussir l'exploit d'attirer 30 millions de visiteurs, soit deux fois plus que Eurodisney, qui est pourtant, avec le Mont Saint-Michel, le principal aimant à touristes de France! Cela amène forcément à s'interroger sur le business plan de l'ensemble. Quelle sera la pérennité de ce projet structurant, financé à 100% par deux gros investisseurs privés et soutenu par le Grand Paris, à travers la société Grand Paris Aménagement ? Quelle enseigne sera tentée de venir? Pourquoi, comme c'est l'usage, aucune liste d'enseignes ayant déjà signé n'a-t-elle encore été communiquée? «La question n’a pas de sens. Un lieu qui attirera 30 millions de visiteurs, croyez-moi, les commerçants viendront frapper à sa porte» assure Benoît Chang. Pourtant, la question a du sens, car une absence de rentabilité pourrait remettre en cause l'investissement du chinois Wanda. Une hypothèse qui n'a rien d'insensé. Le groupe a récemment été rappelé à l'ordre par Pékin à cause de ses coûteux, et souvent peu rentables, investissements à l'étranger

Un bug écologique

Finie l'énorme soucoupe volante du premier projet : Europacity a présenté une nouvelle version qui se veut plus humaine, plus verte et davantage tournée vers la ville. «Contrairement aux centres commerciaux classique, vous pouvez entrer de partout et notre projet ressemble vraiment à un quartier, avec des rues», explique Matteo Parino, le directeur des opérations. "Cet espace urbain, croyez-moi, les habitants l’attendent», affirme Benoît Chang, le directeur général. Pour le moment, il est surtout attendu au tournant par les écologistes, qui dénoncent l'artificialisation des terres agricoles et la signature carbone du projet. Il faut dire qu'avec la future gare du grand Paris Express qui doit être créée à côté, ce sont 260 des 660 hectares des belles terres céréalières de ce "Triangle de Gonesse", les terres maraîchères les plus proches de Paris qui vont disparaître. Des associations d'opposants proposent, à la place, un projet alternatif d'agriculture maraîchère. Ils ont reçu l'appui sur ce point du Commissaire enquêteur de l'enquête publique, Ronan Hébert, pour qui « le projet d'aménagement du Triangle de Gonesse est peu compatible avec la notion de développement durable ». Pour réduire ces attaques, le maire de Gonesse, Jean-Pierre Blazy a porté de 12 à 23 hectares la « lisière », c'est-à-dire la zone consacrée à de l'agriculture biologique, du maraîchage ou des pépinières. Mais les opposants ne désarment pas  : le 8 octobre prochain, le CPTG, avec la Confédération paysanne, le réseau des AMAP, Biocoop, Solidaires., installeront un marché anti-Europacity sur la place de la République à Paris. Au menu, citrouilles, laitues et pommes de terre cultivées sur les terres du Triangle de Gonesse...

Bug Politique

C'est le dernier bug et le plus imprévisible. A son lancement, en 2008, il avait reçu le soutien enthousiaste du président de la république de l'époque, Nicolas Sarkoy. Le suivant, François Hollande, s'y était montré tout aussi favorable, au nom de la croissance et des 11 à 12000 emplois attendus sur place. Aujourd'hui, on serait bien en peine de trouver le moindre soutien du coté des politiques. Trop dangereux. Les opposants au projet, au cris de "Au boulot, Hulot!" espèrent une prise de position franche du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Il est vrai qu'il a dénoncé récemment "ces grands projets inutiles» et "l'artificialisation des sols". Mais l'estocade pourrait venir de plus haut. Le président de la République, Emmanuel Macron pourrait annoncer, le 23 octobre prochain, à l'occasion de la conférence territoriale d'Ile-de-France, un report dans le temps, voire la suppression, de la ligne 17 du métro. Le projet Auchan, privé de son flux de touristes et de Franciliens, et d'une grosse partie de ses 30 millions de visiteurs attendus, deviendrait alors, une vraie…"galère marchande".

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