Procès Merah : "Comment peut-on faire le deuil d'assassinats aussi sauvages ? Ce n'est pas possible"

Propos recueillis par Aurélie Sarrot
Publié le 2 octobre 2017 à 11h00, mis à jour le 2 octobre 2017 à 12h32
Procès Merah : "Comment peut-on faire le deuil d'assassinats aussi sauvages ? Ce n'est pas possible"

JUSTICE - Le 19 mars 2012, Samuel Sandler a perdu son fils Jonathan et ses deux petits-fils Arié et Gabriel au cours de l'attaque perpétrée par Mohamed Merah dans l'école Ozar Hatorah à Toulouse (Haute-Garonne). Alors que s'ouvre lundi le procès où sont jugés un des frères de Mohamed Merah, Abdelkader, et un complice présumé, leur avocat livre ses impressions à LCI.

En quelques secondes. Le 19 mars 2012, entre 7h57 et 20 secondes et 7h57 et 28 secondes, Mohamed Merah tue Jonathan Sandler, 30 ans, Arié Sandler, 5 ans et Gabriel Sandler avant d'abattre la petite Myriam Monsonego, 8 ans et de blesser Aaron Brian Bijaoui, 8 ans. Tous se trouvaient alors dans l'école Ozar Hatorah, à Toulouse. 

Du 2 octobre au 3 novembre 2017, Me Patrick Klugman et Elie-Steve Korchia assisteront Samuel Sandler et son épouse, qui ont perdu leur fils et deux de leurs petits-fils le jour de cette attaque, ainsi que Jennifer Sandler, sœur de Jonathan et tante des deux enfants. Entretien avec Me Korchia, avant un procès qui s'annonce particulièrement éprouvant. 

LCI.FR : Comment la famille Sandler se prépare-t-elle au procès d'Abdelkader Merah et de son complice présumé ? 

Le 19 mars 2012, un cauchemar a débuté pour les familles des victimes de l'école Ozar Hatorah. Le monde s’est effondré. L'horreur de l’acte qui a été commis ce jour-là avait, et a encore du mal à être appréhendé intellectuellement pour tous. Un palier a été franchi.  La volonté de Samuel Sandler aujourd'hui, malgré l'épreuve qu'il traverse et qu'il va encore vivre pendant un mois au travers du procès, est de rappeler la mémoire de son fils et de ses deux petits-enfants. On désigne toujours ce procès par le nom de l'assassin, le nom de cet homme est connu de tous, celui des victimes l'est malheureusement beaucoup moins. 

J'espère, sincèrement, que les deux accusés prendront la parole.
avocat

LCI.FR :  L'absence de Mohamed Merah à ce procès (abattu en 2012, ndlr), comme vous l’avez souligné, rend-elle cette épreuve plus difficile encore pour les victimes? 

Oui, bien sûr. Mais si la justice et la police n'avaient pas pu recueillir des éléments de preuve, des éléments concordants, des éléments de nature à faire arrêter deux personnes et ensuite à mettre en accusation Fettah Malki et Abdelkader Merah, il n'y aurait pas eu de procès tout simplement. Cet événement aura au moins une vertu pédagogique. Il permettra peut-être de comprendre le système qui a fait que des personnes ont pu commettre ces actes ignobles. Face aux victimes, les protagonistes vont devoir s'expliquer sur les faits et sur le rôle qui leur est reproché. Nous verrons si ces deux accusés parlent ou non, comment ils se comportent, quelle sera leur posture. J'espère, sincèrement, qu'ils prendront la parole. 

LCI.FR :  Avez-vous mis en garde la famille Sandler des éventuels moments douloureux auxquels elle sera confrontée ?  

Nous ne devons rien cacher aux personnes que nous assistons. Samuel Sandler viendra aux audiences. Si à certains moments le degré d'horreur, d'atrocité est trop important, nous lui conseillerons peut-être avec mes confrères Patrick Klugman et Ariel Goldmann de quitter la salle… Mais aujourd'hui, il est déterminé à assister au procès. Les familles pourront écouter les témoignages, prendre en compte les dépositions, écouter les questions posées aux accusés et les réponses qui seront données. Il s'agit d'essayer de comprendre comment certains mécanismes ont fait qu'on en est arrivé là. Il s'agit également de déterminer le rôle et l'implication des deux personnes qui vont comparaître devant la cour d'assises spéciale. Mohamed Merah sera le grand absent. Mais deux personnes dans le box devront répondre d'actes de complicité : Fettah Malki et Abdelkader Merah, frère aîné frère de Mohamed Merah.  Dans ce dossier, Abdelkader Merah est décrit par un certain nombre de personnes comme le mentor idéologique et comme celui qui avait un rôle et une influence extrêmement important dans le parcours terroriste djihadiste de son cadet. Les parties civiles attendent qu’ils s’expriment.

LCI.FR :  En tant qu'avocat, voyez-vous une particularité à ce dossier?

Ce dossier est unique. Il a un caractère particulièrement barbare.  Et il est le déclencheur de ce qu'a connu le pays par la suite. Les assassinats commis par Mohamed Merah en 2012 augurent de la vague terroriste que connaîtra la France les années suivantes. 

LCI.FR :  Cinq ans après cette tragédie, la famille Sandler est-elle parvenue à faire le deuil? 

Je pense que l'on ne peut pas faire le deuil véritablement d'un fils, d'un frère, d'un époux, d’enfants, de petits-enfants. Je pense aussi aux familles de militaires et je pense bien sûr aussi à la famille de Myriam Monsonego, 8 ans, qui a été arrachée à ses proches, arrachée à la vie d'une façon horrible ce 19 mars 2012. Comment peut-on faire le deuil d'un ou de plusieurs assassinats sauvages comme ceux-là. Ce n'est pas possible. Evidemment, le temps passant, les plaies se cautérisent moralement, mais il est extrêmement difficile quand on est écorché vif  de dire que l'on peut faire son deuil. La douleur restera toujours vive, notamment quand on parle du procès, notamment quand on va assister à cinq semaines d'audience qui vont être très difficiles pour tous. Certaines parties civiles d'ailleurs je pense n'assisteront pas au procès. 

LCI.FR :  Mohamed Merah a filmé plusieurs de ses actes à l'aide d'une Go-pro, la diffusion de ces images à l'audience risque d'être insoutenable pour beaucoup…

La question de diffuser ou non ces images fait débat. Elle n'a pas été encore tranchée et ne le sera pas avant le début du procès. Il peut y avoir des positions différentes sur le sujet. Pour ma part, j’estime qu'il est important que la cour d'assises spéciale puisse avoir accès à tout. Il y a un intérêt pour la justice à les montrer à la cour, c'est certain. Tout ce qui est dans le dossier, la façon dont l'horreur a été imaginée, orchestrée, par l'assassin sont des points qui doivent être analysés et auscultés par la justice dans le cadre d'un tel procès d'assises. Par contre, il est impossible je pense pour les familles de rester dans la salle si ces vidéos sont diffusées. 

Merah : les familles de victimes veulent la véritéSource : JT 20h Semaine
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LCI.FR : Plusieurs personnes ont pointé du doigt des erreurs du renseignement dans l'affaire Merah, notamment par rapport à son parcours et aux nombreux voyages qu'il a fait avant 2012. Est-ce un sujet dont vous a parlé la famille Sandler? 

Qu'il y ait eu des carences dans ce dossier, je pense que c'est une évidence. Qu'il y ait eu des dysfonctionnements à certains moments, ça l'est aussi. Après, Samuel Sandler, comme son épouse ou sa fille n'ont jamais été dans une optique de réclamer des comptes à tout prix ou de vouloir remettre en cause le travail qui a pu être fait à un moment donné par les services de renseignement français, par les services de police, par les services du RAID lorsqu'ils sont intervenus ou par qui que ce soit. Leur volonté aujourd'hui c'est que justice se fasse.

Pour Valls, il y a des "erreurs, des failles, des fautes" dans l'affaire MerahSource : JT 20h WE
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On comprend bien que nous ne sommes pas dans la configuration décrite par certains comme étant celle du " loup solitaire". On n'est pas du tout dans la théorie d'un acte isolé. 


Propos recueillis par Aurélie Sarrot

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