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Référendum sur l’indépendance en Catalogne : récit d’une journée de vote et d’affrontements

Le oui à l’indépendance l’a largement emporté, dimanche. Ce scrutin interdit par Madrid et marqué par des violences risque d’avoir des conséquences imprévisibles pour l’Espagne.

Par  (Barcelone, envoyée spéciale) et  (Gérone, envoyée spéciale)

Publié le 02 octobre 2017 à 06h47, modifié le 02 octobre 2017 à 12h44

Temps de Lecture 5 min.

Les forces de l’ordre évacuent les personnes qui tentent de protéger le bureau de vote de Sant Julia de Ramis, le 1er octobre.

Dimanche soir 1er octobre, Carles Puigdemont, le président séparatiste de la Catalogne, n’a pas attendu les résultats du référendum convoqué par Barcelone et interdit par Madrid pour revendiquer le droit de sa région à l’indépendance. Le geste grave, entouré des membres de son gouvernement, M. Puigdemont a également appelé l’Union européenne (UE) à s’impliquer dans le conflit qui oppose Barcelone à l’Etat espagnol et à ne « plus regarder ailleurs ».

Deux heures après la déclaration formelle du leader nationaliste, l’exécutif catalan annonçait, peu après minuit, que 2,26 millions de personnes avaient participé au scrutin (soit 42,3 % des électeurs catalans) et 2,02 millions, soit 90 %, avaient dit oui.

Lors d’une journée extrêmement tendue, les affrontements entre la police antiémeute et les sympathisants indépendantistes ont fait 844 blessés, dont 128 ont été hospitalisés, d’après le gouvernement régional, qui fait état de deux cas graves. Trente-trois policiers ont aussi été blessés, selon le ministère espagnol de l’intérieur.

« Comme Gandhi, sans jeûner »

Tout a commencé très tôt. Dès 5 heures du matin, des milliers de Catalans se massent devant les bureaux de vote pour les protéger d’une éventuelle intervention policière, telle qu’annoncée par les autorités de Madrid. Malgré la pluie, suivant les recommandations des puissantes associations indépendantistes, des gens de tous âges commencent à former de longues queues.

Ici, dans le quartier de Fort Pienc, à Barcelone, le 1er octobre. Dès 5 heures du matin, des Catalans se massent devant les bureaux de vote pour les protéger d’une éventuelle intervention policière.

Devant l’école Fort-Pienc de Barcelone, Isabel Andreu, 67 ans, est là pour « défendre le droit de vote » et créer « une république nouvelle ». Elle est convaincue que, malgré le manque de garanties légales, il faut « appliquer le résultat ».

A Gérone, chef-lieu de la province la plus indépendantiste des quatre régions catalanes, nombreux sont ceux qui se sont levés au petit matin. Il fait encore nuit noire, mais les quelque 200 personnes réunies devant l’école primaire Francesc-Eiximenis, située dans le centre de la ville, sont bien réveillées. Certaines ont des cafés à la main. « J’ai pris mon petit déjeuner à 4 h 30 et je suis prête à tout », dit Matilda, 55 ans. « On résiste comme Gandhi, mais sans jeûner », ajoute Eduardo, un grand sourire aux lèvres et un sandwich sous le bras.

« Balles en caoutchouc »

Peu avant 8 heures du matin, alors que les 2 315 centres habilités par la Généralité vont ouvrir leurs portes, le gouvernement catalan annonce que les 5,3 millions d’électeurs appelés à se prononcer pourront le faire où ils voudront, avec un bulletin imprimé chez eux. Les urnes en plastique blanc ont été apportées dans le plus grand secret par des centaines de volontaires.

La police locale, les Mossos d’Esquadra, se limite à constater ce qui se passe. Elle a reçu l’ordre d’évacuer les bureaux de vote, mais sans créer d’incidents. La « passivité » de ses 17 000 membres va devenir l’une des grosses polémiques de la journée. Deux femmes, membres des Mossos, postées devant l’école Francesc-Eiximenis, avouent leur impuissance. « Nous avons l’ordre d’emmener les urnes, mais les gens nous ont empêchés d’entrer et on n’a pas insisté », raconte l’une d’elle.

Les secours emmènent un blessé après une altercation entre électeurs et forces de l’ordre, au bureau de vote Ramon-Lull près de la Sagrada Familia à Barcelone, le 1er octobre.

A Barcelone, il est 9 h 30, autour du collège Ramon-Llull, situé à deux pas de la Sagrada Familia. « Les policiers [nationaux] ont d’abord forcé la porte pour prendre les urnes, cela leur a pris beaucoup de temps. Lorsqu’ils sont ressortis avec le matériel, ils ont cherché à remonter la rue, mais un groupe de manifestants s’était formé pour les en empêcher. Ils sont alors descendus, mais nous nous sommes positionnés pour les empêcher de passer. Ils étaient cernés, explique Roc Sarda, étudiant en tourisme de 22 ans. Pendant environ une demi-heure, ils sont restés sans bouger. Les pompiers, qui étaient à côté de moi, ont essayé de les raisonner. Mais ils ont ensuite chargé d’un coup, avec leur bouclier et leur fusil à balles en caoutchouc. On est parti en courant ; ils ont continué à tirer, et ils ont blessé plusieurs personnes », résume-t-il. L’utilisation de ces matériels antiémeute a été interdite en 2014 par le Parlement catalan.

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Le président Carles Puigdemont vote dans la petite localité de Cornella del Terri, située près de Gérone, la ville dont il a été le maire de 2011 à 2015. Il dénonce alors « la violence injustifiée de l’Etat ».

Le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, en visite dans le bureau de vote de Sant Julia de Ramis, où il était censé voter quelques heures plus tôt.

Les incidents se multiplient. Les images des policiers nationaux encagoulés qui récupèrent les urnes dans une école de Barcelone font le tour des réseaux sociaux. Un bilan provisoire fait état de 38 blessés légers.

A 15 h 45, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, assure que l’Etat a réagi « avec fermeté et de manière proportionnelle ». Le chef de file des socialistes catalans, Miquel Iceta, demande pour sa part la fin des violences policières et dénonce un « simulacre de vote ».

Malgré les violences retransmises en continu sur les chaînes de télévision, durant tout l’après-midi, de longues queues se forment devant les bureaux de vote. Mais des pannes informatiques perturbent le scrutin.

Andrea Cardona, étudiante en psychologie de 20 ans et son frère Robert, 22 ans, sont venus au collège jésuite Sagrada-Corazon-de-Jesus, mais les gens entrent au compte-gouttes. « On attend depuis une heure, car le système n’arrête pas de sauter. »

Les déclarations politiques se multiplient. Pedro Sanchez, le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), parle d’un « jour triste pour la démocratie » et appelle à la « sérénité » et au « dialogue ».

Les forces de l’ordre emmènent une urne et des bulletins, dans le gymnase où était installé le bureau de vote de Sant Julia de Ramis, dans la province de Gérone, le 1er octobre.

Sur Twitter, Pablo Iglesias, le leader de Podemos (gauche radicale), demande la démission du chef du gouvernement Mariano Rajoy. Dans un message contenant des photos de personnes blessées au cours des charges policières, il accuse le Parti populaire (PP, droite, au pouvoir) « et ceux qui le soutiennent de détruire la démocratie ».

Pour leur part, les syndicats de la garde civile et de la police nationale accusent les Mossos d’Esquadra d’avoir agi de manière « lâche » et « indigne » et de ne pas « avoir respecté la décision des juges » qui avaient déclaré le scrutin illégal.

A 19 heures, le porte-parole du gouvernement catalan, Jordi Turull, annonce que la Généralité a décidé de fermer des bureaux de vote pour éviter que la police ne
saisisse les urnes. Pour sa part, la maire de Barcelone, Ada Colau, qualifie Mariano Rajoy de « lâche » et l’accuse de « dépasser toutes les bornes ». Elle demande aussi sa démission.

Des milliers de jeunes Catalans ont alors commencé à investir la plaça de Catalunya pour célébrer les résultats. Euphoriques, chantant et dansant devant l’écran géant qui retransmet les programmes spéciaux de la chaîne publique TV3, ils huent les images des violences policières. En quête de soutien, ils écoutent avec attention les titres de la presse internationale et fêtent les premiers résultats, sans souvent trop appréhender les conséquences de la victoire du oui.

Rassemblement sur la place de la Catalogne, à Barcelone, pour l’annonce des résultats, le 1er octobre.

Ils écoutent Mariano Rajoy affirmer dans une allocution télévisée, peu après 20 heures, que l’Etat de droit a prévalu en Catalogne et « qu’il n’y a pas eu de référendum d’autodétermination ».

En réaction à l’intervention de Madrid, une quarantaine d’organisations syndicales, politiques et sociales de Catalogne décident de lancer un appel à la grève générale dans la région pour le mardi 3 octobre.

« Je ne suis pas indépendantiste, ni nationaliste, je n’aime pas les drapeaux en général, mais j’ai voté en faveur du oui pour protester contre les récentes arrestations, explique Julia Trias, 26 ans, assise sur la plaça de Catalunya avec un groupe d’amis. Après les violences de ce matin, je crois que le chemin de l’indépendance est le bon. »

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