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Cameroun : à Bamenda, des sécessionnistes ont bravé les balles pour proclamer leur « indépendance »

Des manifestations étaient organisées dimanche dans les régions anglophones du pays. Au moins huit personnes sont mortes dans des incidents séparés.

Par  (avec AFP)

Publié le 02 octobre 2017 à 03h38, modifié le 02 octobre 2017 à 11h52

Temps de Lecture 6 min.

Un important dispositif de sécurité est déployé à Buea, chef-lieu du sud-ouest du Cameroun, le 1er octobre.

Aux premières heures du dimanche 1er octobre, Bamenda était en état de siège et le Cameroun retenait son souffle. Les rues de la grande ville anglophone, où des sécessionnistes ont annoncé vouloir déclarer l’indépendance de leurs deux provinces, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, ont été quadrillées depuis vendredi de camions anti-émeutes. Aucun taxi, aucune moto, pas un bruit de voix. Des pick-up d’hommes cagoulés, armés jusqu’aux dents, circulent à vive allure. On observe aussi des éléments du Bataillon d’intervention rapide (BIR), unité d’élite de l’armée camerounaise en première ligne au nord dans la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram. Les boutiques et les bars sont fermés, la connexion Internet ne fonctionne presque plus, les réseaux sociaux sont inaccessibles.

Seules quelques silhouettes furtives de fidèles se glissent dans les artères de la ville fantôme. « Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité et meurt pour cela, il meurt à cause de l’iniquité qu’il a commise. » A la cathédrale St. Joseph de Mankon, le père Roland Ayissi a choisi son homélie avec soin : Ezéchiel chapitre 18, versets 25 à 28. A cette messe de 8 heures, où ils sont d’habitude un demi-millier, moins d’une centaine de fidèles ont bravé la peur pour venir prier. Ils ont parfaitement compris l’allusion au régime de Youndé, qu’ils accusent de traiter les anglophones camerounais en citoyens de seconde zone. Depuis l’automne 2016 se succèdent manifestations pacifiques, grèves, opérations « ville morte » et arrestations. La répression s’est intensifiée au fil des mois. Puis une cinquantaine de prisonniers ont été libérés début septembre, suite à un décret du président Paul Biya signé le 30 août, mais le procès d’autres anglophones se poursuit devant la justice militaire de Yaoundé. Certains risquent la peine de mort.

« La seule solution »

« Avec tout ce qui nous arrive, je ne pouvais pas rester à la maison, soupire Elias, 46 ans, barbe grisonnante et bible à la main. Comme Ezéchiel, nous avons besoin de Dieu pour nous dire quelle voie emprunter et éviter d’autres morts. » Ce catholique pratiquant pense que « l’indépendance » est la seule solution, « l’unique voie qui arrêtera le sang qui coule depuis des mois ». Evariste, jeune homme d’affaires de 29 ans, partage son avis. « Je n’ai pas peur car je ne suis pas un criminel. Nous combattons pour notre droit, vu la manière donc ce gouvernement nous traite. Je suis pour l’indépendance », lance-t-il avec colère à la fin du culte.

Deux jours plus tôt, les autorités avaient annoncé la fermeture des frontières terrestres et maritimes pour les deux provinces anglophones du pays et l’interdiction de mobilité des hommes et des véhicules. Elles avaient instauré un couvre-feu, en vigueur jusqu’à lundi. Près d’un millier de policiers, de gendarmes et de militaires supplémentaires ont été déployés dans la région. L’accès à Bamenda, samedi, était rendu quasiment impossible par un triple barrage. A l’entrée de la ville, à Santa, aucun car de transport en commun n’était autorisé à entrer. Seuls passent les véhicules munis d’une autorisation spéciale ou appartenant au corps administratif et aux forces de l’ordre. Le deuxième barrage est le plus difficile. Des militaires, armes au poing, gilets pare-balles, l’air nerveux, refoulent les hommes, femmes et enfants qui les supplient. Un conducteur de « porte-tout », trop têtu, a été giflé. De rares chanceux franchissent le passage pour tomber sur le troisième barrage tenu à la fois par des policiers et des soldats et derrière lequel attendent quelques taxis, qui ont doublé leurs tarifs pour l’occasion. « Demain, ils verront, lâche le passager d’un de ces taxis. Les balles ne me font plus peur. »

Demain, dimanche 1er octobre. Une date qui n’a pas été choisie par hasard par les sécessionnistes. Depuis 1961, le 1er octobre est l’anniversaire de la naissance de la République fédérale du Cameroun après la réunification du Cameroun français et du Southern Cameroon britannique, hérités de la première guerre mondiale. Un Etat fédéral qui avait été abandonné en 1972 au profit de l’unité et de la centralisation.

Les séparatistes avaient donc décidé de hisser leur drapeau dans les villes du Nord-Ouest et Sud-Ouest, qui représentent environ 20 % de la population et de proclamer « l’indépendance » d’Ambazonia en chantant l’hymne de l’Etat imaginaire dans lequel ils rêvent de vivre sans « marginalisation » : le respect de la Common Law spécifique aux deux régions anglophones, des enseignants et magistrats qui maîtrisent l’anglais dans les écoles et tribunaux, des routes sans nids-de-poule, des dirigeants « soucieux de leur bien être et incorruptibles »

Premiers coups de feu

Vers 10 heures du matin, la tension monte. Des regroupements de jeunes, sifflets aux lèvres, arbres de la paix entre les mains pour certains et drapeaux d’Ambazonia pour d’autres, sont annoncés dans quelques quartiers de Bamenda : Travellers, Nkwen… Un homme qui se rendait à l’aéroport, escorté de deux policiers armés, a rebroussé chemin sur ordre des forces de l’ordre. « La situation n’est pas bonne », lui a-t-on dit.

La matinée avance et des coups de feu retentissent. Un hélicoptère militaire patrouille dans le ciel alors que, sur terre, policiers et militaires s’activent. Soudain, on annonce un rassemblement à Liberty Square, lieu mythique où six militants du Social Democrati Front (SDF), principal parti d’opposition, avaient été tués le 26 mai 1990 lors d’une marche historique.

Dans le quartier Old Town, des habitants sont assis sur le pas de leur porte. Certains discutent. D’autres regardent, inquiets, la rue déserte. Il n’y a pas âme qui vive en direction de la Commercial Avenue. Les banques, stations-service et autres grands complexes commerciaux sont gardés par des vigiles et par la police anti-émeute. Deux de leurs camions sont stationnés à Liberty Square. L’hélicoptère survole la zone.

Autour de 13 heures, un témoin annonce par téléphone deux blessés graves par balles à Travellers. « Les militaires et policiers sont toujours là. Ils lancent des bombes lacrymogènes et tirent sur nous », raconte-t-il affolé. Durant la conversation, on entend des bruits de balles et le sifflement des gaz lacrymogènes.

Un premier décompte d’au moins 8 morts

Donatus Njong Fonyuy, le maire de Kumbo, décompte sept morts dans sa localité située à environ 70 km de Bamenda et qualifiée de « rebelle ». « Aux environs de 6 heures du matin, la prison de Kumbo a pris feu, explique l’édile, la voix enrouée. On ne sait pas ce qui a déclenché ce feu mais cinq prisonniers ont été tués par les militaires. Deux autres ont été grièvement blessés. Ils sont à l’hôpital. Un manifestant est tombé sous les balles de militaires. »

D’après le maire, les habitants de Kumbo sont sortis manifester. Un premier groupe a dressé le drapeau ambazonien et a été dispersé par les militaires. Un autre s’est dirigé vers le palais traditionnel NSO. « Ils ont déclaré leur indépendance. Les militaires ont tiré et un homme est mort, relate avec peine Donatus Njong Fonyuy. Deux autres ont été grièvement blessés. Une jeune femme qui était dans sa cour a été fauchée par une balle. On a donc 7 morts et 4 blessés graves à Kumbo. »

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Dans la ville de Bamenda, plusieurs témoins ont affrimé avoir vu « au moins deux morts » dimanche. « Je ne suis au courant de rien », rétorque une source sécuritaire au téléphone avant de raccrocher brutalement. Dans la région Sud-Ouest, un journaliste annonce au moins un mort à Buéa et deux à Kumba, ville sise à une cinquantaine de kilomètres de la capitale de la région.

Lundi matin, les affrontements entre la population et les forces de l’ordre ont repris après une nuit de brève accalmie.

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