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A Barcelone, Dani, Manuel et Eva n’ont pas voulu participer à un « référendum illégal »

Près de 60 % de la population catalane a préféré s’abstenir lors du vote pour l’indépendance de la Catalogne.

Par  (Barcelone, Espagne, envoyée spéciale)

Publié le 03 octobre 2017 à 06h17, modifié le 03 octobre 2017 à 08h19

Temps de Lecture 4 min.

Une manifestation de Catalans en faveur de l’indépendance le 2 octobre à Barcelone.

Au premier abord, rien ne semble avoir changé dans les rues de Barcelone. Les terrasses de cafés débordent de touristes, les boutiques crachent toutes la même musique assourdissante, les dessinateurs des Ramblas tentent en vain d’attirer les clients… Pourtant, il suffit de jeter un œil sur les « unes » des journaux, et de s’immiscer quelques minutes dans les conversations pour comprendre que le référendum d’autodétermination de la Catalogne, qui s’est tenu dimanche 1er octobre, a marqué les esprits.

Plus que le vote, ce sont les scènes de violence qui ont choqué. Sur ces images, stockées dans les smartphones et postées sur les réseaux sociaux, on aperçoit des policiers de la Guardia Civil, la police nationale, en train de déloger brutalement des habitants des bureaux de vote, et même des « septuagénaires », ne manque pas de préciser Dani, barbe taillée et crâne rasé.

Comme près de 60 % des électeurs, cet Espagnol de 39 ans a pourtant préféré s’abstenir. « Je ne suis d’accord ni avec les séparatistes, ni avec le gouvernement central. Les deux font de mauvaises choses et divisent le pays. Le gouvernement catalan parle de liberté mais honnêtement, moi je me sens libre, je n’ai pas besoin du gouvernement pour savoir si je suis catalan ou espagnol », peste-t-il, assis à la terrasse de son bar-restaurant tout en regrettant que la police n’ait pas laissé « les gens voter tranquillement ».

Comme près de 60 % des électeurs, Dani, 39 ans, a préféré s’abstenir.

Croisé dans une petite rue du centre-ville, Manuel, 68 ans, lance provocateur : « Hier, j’ai voté cinq fois », laissant croire que le scrutin a été truqué. « C’est faux ! J’ai essayé de voter deux fois, et je peux vous assurer que je n’ai pas réussi », rétorque son ami, agacé par cette mauvaise blague. Sur un morceau de trottoir, Manuel raconte qu’il aurait bien voté non, dimanche, s’il n’avait pas vu « les urnes posées au sol » et constaté l’absence de « listes d’émargement ». « Quand j’ai vu ce désastre, je suis rentré chez moi », dit-il.

Comme la grande majorité des abstentionnistes, Manuel s’oppose aux « séparatistes catalans » pour des raisons principalement économiques. « Pouvez-vous imaginer combien ça coûte une indépendance ? Que faire avec l’Europe ? Avec les banques ? Avec l’armée ? C’est ridicule, absurde. » Et d’ajouter : « Aucun politique ne répond à ces questions car eux-mêmes ne croient pas à l’indépendance. »

Un risque de « fracture »

Depuis 2012, la Catalogne qui représente 20 % du PIB espagnol demande à Madrid de percevoir directement l’argent de ses contribuables et de décider de son utilisation ce que refuse le gouvernement central.

Pour Eva, originaire d’Ibiza mais barcelonaise « depuis vingt ans », cette idée « n’a pas de sens ». « A Ibiza, on reverse aussi beaucoup d’argent au gouvernement et ce n’est pas pour cela que l’on demande notre indépendance », relève-t-elle tout en rappelant le scandale de corruption qui a secoué le parti nationaliste Convergence démocratique de Catalogne dont le procès s’est tenu en mars dernier. Mais comme d’autres, cette gérante d’une boutique d’accessoires pour fumeurs de tabac – et autres substances –, aurait bien « aimé que le référendum soit légal pour dire non ». 

Alberto non plus n’a pas voulu participer à un scrutin illégal, et qui plus est « sans observateurs internationaux et sans contrôle ». Mais, contrairement à Manuel, Dani et Eva, ce « nationaliste » qui se sent plus catalan qu’espagnol ne sait toujours pas quel bulletin il aurait glissé dans l’urne. « J’aimerais rester en Espagne mais il faudrait qu’il y ait plus de respect pour notre culture, notre langue, et qu’on perçoive davantage d’argent », estime-t-il. Car en cas d’indépendance, ce salarié du secteur de l’hôtellerie craint de ne pas pouvoir « prendre [s] a retraite » et « bénéficier du chômage » s’il perd son emploi. « Beaucoup de questions restées sans réponse », concède-t-il.

Vendre une « utopie »

Maria, serveuse, s’en prend pêle-mêle au gouvernement catalan qu’elle accuse d’avoir « trompé la population » et au gouvernement central d’avoir « réprimé le vote ». Selon elle, la Généralité catalane n’a pas suffisamment expliqué « les avantages et les inconvénients » de l’autodétermination parce qu’elle ne croyait pas à ce scrutin. Convoquer un référendum aurait ainsi été « une stratégie pour obtenir davantage de voix aux prochaines élections ». Car « ils savent que ce qu’ils promettent est impossible. Ils vendent une utopie ».

Quand Maria a vu « comment la police traitait les électeurs », elle a décidé d’aller voter, et de rejoindre ainsi les 10 % d’électeurs qui ont voté « non ».

Comme une majorité d’électeurs, elle aussi comptait s’abstenir dimanche. Mais quand cette jeune femme de 26 ans a vu « comment la police traitait les électeurs », elle a décidé d’aller voter, et de rejoindre ainsi les 10 % d’électeurs qui se sont déplacés pour dire non.

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Le scrutin passé, d’autres abstentionnistes croisés dans les rues de Barcelone, confient aussi leurs craintes de voir les Catalans se diviser. C’est le cas de Cesar, 40 ans, avocat. « J’ai peur pour l’avenir de la région. Peur qu’il y ait une fracture au sein de la société », dit-il attablé dans un bar à tapas. Il évoque ainsi ces amis en faveur de l’indépendance avec qui « il est très compliqué d’échanger ». « Ils me disent que je suis contre le changement mais c’est faux, je suis simplement en accord avec le système politique actuel. » Pour réinstaurer un dialogue, le mieux serait, selon lui, de convoquer des élections anticipées en Catalogne ainsi qu’à Madrid.

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