Pinar Selek, réfugiée politique turque obtient la nationalité française :"la France a gagné une citoyenne engagée"

La réfugiée politique turque installée à Nice, Pinar Selek, vient de recevoir la nationalité française. Persécutée dans son pays d’origine, elle dit son amour pour notre pays et pour Nice.

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Grégory Leclerc Publié le 02/10/2017 à 21:43, mis à jour le 23/02/2023 à 20:53
Pinar Selek - prononcez « Pnar » sans le « i » - vient d’obtenir la nationalité française. Réfugiée politique depuis 2009 en France, elle est installée à Nice depuis quelques années où, outre l’amour, elle a trouvé un fort réseau de soutiens. Grégory Leclerc

La jeune sociologue de 27 ans est suspendue dans le vide, face à ses bourreaux. Ses poignets sont ligotés dans le dos par cette corde qui lui brise les os. Ses yeux sont bandés. Dans cette infâme pièce de la police d’Istanbul, ses tortionnaires turcs tentent de la faire parler (lire par ailleurs).

Dix-neuf ans après, Pinar Selek, 44 ans, se souvient de cette douleur qui a marqué sa chair à vif. Et à vie. Elle se remémore aussi, lors de ces séances de torture, cette marche ultra nationaliste que ses geôliers l’accusant de terrorisme passaient en boucle.

Le chanteur hurlait : «Ma Turquie, ma Turquie.» Débarquant comme réfugiée politique en France en 2009, Pinar Selek découvre «Ma France», la chanson de Jean Ferrat. «Quand je l’ai entendue, j’ai eu immédiatement mal au dos. Ce n’est qu’en lisant les paroles que j’ai compris le sens des mots de Jean Ferrat. Il évoque deux France, dont une solidaire. Depuis mon arrivée, j’entends être cette France là, qui souhaite être libre, vivre en harmonie avec tout le monde.»

"j'étais sous le choc"

Depuis dix jours, Pinar Selek est française. Un courrier du ministère de l’Intérieur l’attendait dans son appartement niçois, un dimanche, au retour d’une conférence à Strasbourg. «Mon compagnon a pleuré de joie. J’étais sous le choc.» Pinar Selek n’a jamais autant bu de champagne de sa vie.

«Depuis, dès que je vais dans un des comités où je suis engagée, il y a toujours quelqu’un pour amener une bouteille ! C’est donc cela être français ?», s’amuse-t-elle.

Politologue, sociologue, Pinar est maître de conférences au département Sciences politiques de la faculté de droit de Nice et membre de l’Urmis, laboratoire de Saint-Jean-d’Angély qui travaille sur la mobilité, les migrations. Ses collègues et étudiants ont partagé sa joie de devenir française.

En souriant, elle confie qu’elle rajouterait bien «Méditerranéenne et Niçoise» sur son passeport. Ceux qui la connaissent savent que ce n’est ni un aboutissement, ni même un commencement. C’est la continuité. «Je veux obtenir l’acquittement.» Elle martèle de nouveau : «Il faut que je sois acquittée. La lutte dépasse mon simple cas personnel. Je mène un combat pour les libertés.»

Au pluriel, évidemment. «Je veux gagner sur leur propre terrain. Le juridique, rien que le juridique. Quatre fois acquittée et ils cherchent encore à me faire condamner, mais ils n’y arrivent pas !»

Dans son aveugle oppression des intellectuels, l’état turc ne recule devant rien. À l’image du journaliste Loup Bureau, qui reste mis en examen en Turquie pour « appartenance à une organisation terroriste », malgré sa récente remise en liberté. Les mêmes méthodes.

«Plein de gens sont en prison sans savoir pourquoi. 150 000 fonctionnaires ont été licenciés. Sont visés des journalistes, des avocats, des enseignants, des syndicalistes, des écrivains. Une véritable purge. Ils vident l’État et instaurent un vrai climat de peur.» Pinar s’inquiète pour ses compatriotes, ses amis.

«Il y a une migration des cerveaux très importante. Les jeunes ont peur, veulent quitter le pays. C’est dramatique.» Forte de sa double nationalité, Pinar Selek entend rendre hommage à la France qui lui a ouvert les bras. En continuant à se battre. Elle a une expression magnifique pour cela : elle veut «embellir notre jardin commun». «La France a gagné une citoyenne engagée. Je suis élue au comité central de la Ligue des droits de l’homme, dans des groupes féministes, je m’engage pour que les solidaires qui aident les migrants ne soient pas inquiétés. Je mène mes combats. En France, je peux le faire facilement. En sachant qu’ici, il y a quand même des limites à la liberté. Il faut lutter pour les élargir. C’est ainsi que je veux être française. Quand tu t’engages, ce n’est pas parce que tu es contre, mais c’est justement parce que tu aimes ton pays».

Qu’elle donne une interview au journal Le Monde ou à Nice-Matin, qu’elle intervienne à Strasbourg ou à Clermont-Ferrand, Pinar Selek entend témoigner sans relâche. Elle avoue se sentir usée, ressentir une intense fatigue. Ce corps martyrisé, ce combat sans fin, et la perte de sa mère qui n’a pas supporté cette persécution : tout est plus compliqué pour elle jusque dans chaque détail quotidien. Mais elle n’abdique pas.

Elle est ainsi. Courageuse, généreuse. Obstinée dans sa quête de justice. «Ma lutte est internationale. Mes valeurs, mon refus de livrer les noms des Kurdes, cela a touché plein de gens, partout dans le monde. Je pense que le gouvernement français doit prendre sa place dans cette lutte. Quand François Hollande est allé en Turquie, on m’a dit qu’il avait évoqué mon cas, mais pas officiellement. Il y a du soutien, mais je souhaiterais qu’il soit plus visible. Plus officiel

Dans la chanson «Ma France», Ferrat écrit : «Des lèvres d’Éluard s’envolent des colombes; Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes; De dire qu’il est temps que le malheur succombe.» Faire succomber le malheur turc. Pinar en rêve.

“Rhôooooooooo!”

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Nice-Matin

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