Interview

Marie-Monique Robin : «Quid de la responsabilité de Monsanto une fois absorbé par Bayer ?»

La journaliste a repris son combat contre Monsanto à travers un documentaire et un livre à sortir mi-octobre sur le tribunal citoyen qui s'est tenu en 2016 à La Haye. Elle explique à quel point il est difficile pour les citoyens de s'attaquer à la firme de Saint-Louis et alerte sur les conséquences du rachat de l'entreprise par l'Allemand Bayer.
par Aurélie Delmas
publié le 3 octobre 2017 à 15h11
(mis à jour le 3 octobre 2017 à 17h37)

Auteure, entre autres, de l'enquête Le Monde selon Monsanto (2008), Marie-Monique Robin sortira les 17 et 19 octobre prochains un documentaire (Arte) et un livre (éd. La Découverte), Le Roundup face à ses juges, sur l'herbicide commercialisé par Monsanto dont le principe actif est le glyphosate. Alors que les discussions sont en cours à l'échelle européenne sur la prolongation d'autorisation de commercialisation du glyphosate et que le groupe allemand Bayer entend racheter l'américain, Marie-Monique Robin revient pour Libération sur le combat juridique qui s'engage.

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Les citoyens sont-ils conscients des enjeux liés au glyphosate ?

J’en doute. Il y a un déficit d’information manifeste. De nombreuses personnes, y compris des journalistes, pensent que le glyphosate est interdit en France. Cette confusion est liée à l’annonce, en 2015, de

du Roundup. Les gens pensent qu’on est à l’abri, or ce n’est pas du tout le cas. Le glyphosate est une des molécules les plus dangereuses jamais inventée par l’homme. Elle s’accumule dans les organismes vivants et agit à de très nombreux niveaux : c’est un cancérogène, un perturbateur endocrinien, un antibiotique et un chélateur de métaux

[qui les séquestre et les rend soluble, ndlr].

Comme les maladies chroniques et les malformations congénitales se multiplient, les scientifiques se mobilisent et il y a de plus en plus d’études. C’est pour cela que le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a pu classifier le glyphosate comme

«cancérogène probable»

en 2015. La position de l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) qui continue de nier la toxicité de l’herbicide est proprement scandaleuse car elle repose comme je le montre dans le film et le livre

des données scientifiques.

Qu’est-ce que le tribunal Monsanto, fil conducteur de votre documentaire ?

Il s'agit d'un tribunal citoyen organisé à La Haye en 2016 dont j'ai été la marraine. L'idée était que des personnes qui s'estiment victimes puissent se retrouver et être entendues par de vrais juges. Ce tribunal a montré que le glyphosate affectait les sols, les plantes, les animaux, les humains… ce qui peut être une définition de l'écocide. Le but était également d'avoir un corpus d'éléments juridiques qui puisse servir à des actions en justice un peu partout dans le monde. Au Sri Lanka, en France, aux Etats-Unis, en Argentine… des plaintes sont en train de se monter.

Les actions en justice contre Monsanto se multiplient ?

En 2011, dans le film et le livre Notre poison quotidien, j'ai fait connaître l'affaire de Paul François [un céréalier qui a engagé une bataille juridique contre Monsanto]. Cela va faire neuf ans qu'il est en procédure. C'est très lent, très dur, et ce n'est pas terminé. Mais il faut le faire. Plus les actions se multiplieront, plus les pouvoirs publics seront obligés de sortir de leur silence. Et puis, il reste une question : quid de la responsabilité pénale et juridique de Monsanto une fois absorbé par Bayer ? Si Monsanto disparaît, que va-t-il se passer ? Il n'y aura plus de recours. Sauf si la Commission européenne [qui examine l'opération d'acquisition] pose des conditions. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un hasard du calendrier. Monsanto pourrait être en train d'organiser son autodissolution pour échapper aux actions en cours. Des procès se lancent partout dans le monde, parce qu'il y a des malades partout. En attendant, on est certainement à la veille d'une ré-autorisation du glyphosate en Europe, malgré la mobilisation exceptionnelle de nombreux scientifiques indépendants, et de la société civile.

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