Accéder au contenu principal
RDC

Le viol public comme sentence : une milice enfonce le Kasaï dans l'horreur

Capture d'écran de la vidéo, tournée le 8 avril 2017 à Luebo. Retouche réalisée par la rédaction des Observateurs de France 24.
Capture d'écran de la vidéo, tournée le 8 avril 2017 à Luebo. Retouche réalisée par la rédaction des Observateurs de France 24.
Publicité

À Luebo, au Kasaï occidental, des rebelles se revendiquant de la mouvance "Kamuina Nsapu" ont condamné début avril une femme à se faire violer en public par le fils de sa rivale, avant d’exécuter ce dernier et la condamnée à coups de machette et de mutiler leurs corps. Une vidéo témoignant de la scène a émergé courant septembre sur les réseaux sociaux, suscitant l’indignation de nombreux Congolais devant un niveau de barbarie jamais atteint.

 

ATTENTION CERTAINES IMAGES PEUVENT CHOQUER

La vidéo dure 7’40. Elle a été tournée le 8 avril 2017 sur la place principale de Luebo (environ 40 000 habitants), surnommée "le parking". On y voit une femme présentée nue à une foule, par des rebelles de la mouvance "Kamuina Nsapu". Ce groupe s’est emparé de la ville le 31 mars dernier, avant d’en être chassé par l’armée congolaise le 19 avril. Né après la mort d’un chef coutumier éponyme, tué par l’armée le 12 aout 2016, le groupe "Kamuina Nsapu" s’est attaqué aux symboles de l’État (administrations, policiers, fonctionnaires et militaires) et de l’Église catholique dans toute la région depuis l’été dernier, mais est aujourd'hui en perte de vitesse.

La rédaction des Observateurs de France 24 a décidé de ne publier que des captures d’écran de cette vidéo, étant donné le niveau de violence et d’humiliation dont elle témoigne.

 

Le "grand chef" Kalamba Kambangoma apparaît pendant plus d'une minute dans la vidéo. Capture d'écran.

Au début de la vidéo, Kalamba Kambangoma, un responsable des rebelles qualifié de "grand chef" par celui qui filme, tient la victime par les cheveux et explique en tshiluba, une langue locale, qu’"elle doit mourir" pour haute trahison. Il la confie à une autre femme, qui porte le traditionnel bandeau rouge des miliciens "Kamuina Nsapu" et un t-shirt rose.

 

À droite, une femme en t-shirt rose et portant le bandeau rouge s'empare de la victime par le bras pour la mener sur l'"autel". Capture d'écran de la vidéo.

Celle-ci l’emmène sur une estrade, construite par les rebelles à leur arrivée, où elle et le fils de sa rivale [la deuxième femme de son mari] sont contraints d’avoir un rapport sexuel devant la foule. En même temps, la femme au t-shirt rose les fouette avec des branchages pendant plusieurs minutes et de nombreuses personnes – hommes, femmes et enfants - filment la scène, applaudissent et crient au pied de l’estrade. Presque tous portent des bandeaux rouges, signe distinctif des rebelles. Une foule d’habitants de Luebo assiste à la scène, tenue à une certaine distance de l’estrade.

 

Plusieurs dizaines d'habitants se sont regroupés sur la place, à plusieurs mètres de "l'autel", pour assister à la sentence. Capture d'écran de la vidéo.

 

Punie pour avoir servi du poisson aux rebelles, un aliment "interdit"

La femme tenait un restaurant itinérant qui opère sur la route reliant Luebo à Mweka. France 24 a contacté une dizaine d'habitants de la région de Luebo ou vivant à Luebo. Tous présentent la même version : cette femme aurait servi un "plat interdit" aux rebelles.

>> LIRE SUR RFI : Le système "Kamuina Nsapu"

La mouvance "Kamuina Nsapu" "respecte plusieurs types d’interdits en période d’hostilités : interdiction de manger viande, poisson, feuilles de manioc, plantes rampantes, huile de table et hibiscus. Il est par ailleurs prohibé d’avoir des rapports sexuels ou de se laver", détaille à France 24 le spécialiste des chefferies coutumières Anaclet Tshimbalanga, par ailleurs consultant en gestion de conflits.

 

La route entre Luebo et Mweka, où la femme vendait des plats cuisinés. À mi-chemin, le village de Kabao où elle a servi le "plat interdit" aux miliciens. Capture d'écran Google Maps.

"Elle a été accusée d’avoir ravitaillé les rebelles mobilisés sur le front de Kabao avec un plat de haricots contenant des 'débris de fretin', une sorte de petit poisson bon marché. Persuadé qu’elle aurait ainsi rompu leurs charmes de protection, le conseil des rebelles dirigé par un certain Kabata [depuis arrêté, NDLR] l’a condamnée elle et le fils de sa rivale, avec lequel elle travaillait, à commettre l’inceste en public", explique à France 24 un habitant de Luebo.

La femme et le jeune homme ont ensuite été exécutés en public à coups de machette et leur sang a été consommé par plusieurs combattants rebelles, selon des témoignages concordants de plusieurs témoins interrogés par France 24. Sur une photo transmise par un habitant de Luebo, plusieurs rebelles posent deux jours plus tard avec la tête coupée du jeune homme, reconnaissable. Il était âgé d’une vingtaine d’années.

La vidéo, qui montre la scène de viol, a commencé à circuler massivement sur WhatsApp au début du mois de septembre. Tous les habitants de Luebo contactés par la rédaction des Observateurs, qu’ils aient assisté ou non à la scène, condamnent unanimement cet acte et se disent traumatisés. "C’était honteux, macabre, ignoble, ignominieux, je n’ai pas supporté et je suis parti. C’est du jamais vu", raconte l’un d’entre eux.

 

"Se rebeller c’était risquer la mort, nous étions livrés à nous-mêmes"

Notre Observateur Jean (pseudonyme) vit et travaille à Luebo depuis plusieurs dizaines d’années. Il raconte ce qu’il a vécu. Par peur de représailles, il a souhaité garder l’anonymat.

 

Cette femme était connue de tous, elle n’était pas mal aimée, au contraire. Mais les habitants étaient persuadés que les miliciens avaient des pouvoirs sataniques et diaboliques. Quand ils exécutaient des gens, les habitants acclamaient, applaudissaient pour se faire bien voir. On ne pouvait pas se rebeller, c’était risquer la mort. Nous étions livrés à nous-mêmes face à des miliciens armés. Les policiers avaient fui depuis une semaine.

Les deux cadavres décapités et mutilés sont restés là, à l’air libre, pendant deux jours. Ils ont ensuite été enterrés sur place. Quand la Croix-Rouge est arrivée, une fois le village libéré, elle les a fait enterrer dans le cimetière.

 

Exécutions, interdiction de travailler, incendies et pillages : le calvaire de l’occupation

Les miliciens, en une vingtaine de jours de présence, ont tué une dizaine de personnes, dont deux policiers et la femme de l’administrateur de Luebo. La plupart avait un membre de leur famille dans l’administration, l’armée ou au Parlement – c’est souvent un "motif" suffisant pour que cette milice s’en prenne à quelqu’un. Certains ont été tués à coups de machette, d’autres fusillés.

 

Dans la vidéo, plusieurs armes à feu sont visibles aux bras des rebelles, notamment ici. Capture d'écran de la vidéo.

Les miliciens ont interdit aux villageois de travailler ou d’aller à l’école. Tous les travaux étaient suspendus. Ils ont réquisitionné la nourriture chez les commerçants. Pour ceux qui n’avaient pas de provisions chez eux, c’était vraiment un calvaire pour se nourrir puisqu’il était interdit de cultiver. Après avoir recruté de nombreux enfants et adolescents, ils étaient plusieurs centaines et surveillaient de près nos communications téléphoniques.

 

Le bois sert à alimenter le grand feu, dit "Tshiota", qui concentre plusieurs rites spirituels et mystiques, notamment le rite d'entrée dans la milice. Capture d'écran de la vidéo.

Ils ont brûlé les édifices religieux, sauf la cathédrale qu’ils ont pillée puis transformée en quartier général, tout près de la place centrale où ils faisaient brûler un grand feu, buvaient de l’alcool, exécutaient des rites et tuaient ceux qu’ils condamnaient.

 

La place centrale de Luebo, dite "parking", avec, à gauche, la cathédrale où les miliciens avaient établi leur quartier général et, à droite, l'"autel" érigé à leurs arrivée. Capture d'écran Google maps.

 

"Quand les militaires sont arrivés, tous les villageois ont fui"

Quand les militaires sont arrivés le 19 avril, tous les villageois ont fui. Nous étions terrifiés et avions peur d’être confondus avec les miliciens, et donc exécutés. Je me suis réfugié avec toute ma famille dans la forêt pendant les affrontements entre rebelles et militaires et nous sommes revenus à Luebo au bout de trois jours. Certains sont restés cachés pendant plus de deux mois, d’autres ne sont toujours pas revenus. Nous savions que les militaires avaient tué des habitants d’une ville voisine en reprenant le lieu aux rebelles.

 

"Nous avons organisé des prières collectives pour nous pardonner mutuellement"

Aujourd’hui, environ 200 soldats tiennent les quatre secteurs de Luebo, nous avons repris le travail et les élèves ont fait leur rentrée. La vie reprend son cours, mais nous sommes tous traumatisés par les événements.

Nous avons organisé deux journées de prières collectives pour nous pardonner mutuellement, parce que la population était complice passive et se jugeait donc coupable. Nous avons remercié Dieu de nous avoir gardés en vie jusque-là et avons demandé pardon pour ces pauvres miliciens qui agissent sous l’emprise des autres. Nombre d’entre eux, des enfants, sont morts tués par les militaires sur la route de Mweka.

La vidéo a aussi engendré de nombreuses réactions indignées sur les réseaux sociaux. Une association de défense des femmes kasaïennes basée en Belgique, la Lifeka, a par exemple publié une vidéo dénonçant cet acte le 4 septembre. "La première fois, j’avais tellement de larmes et de colère que je n’ai pas pu regarder la vidéo jusqu’à la fin. Dans toute cette foule, il a manqué une personne sage pour s’opposer, dire non. Le plus choquant, c’est que la personne qui la tire pour l’amener sur l’autel, c’est une autre femme", fait valoir Louise Ngandu, membre de l’association, auprès de France 24.

Dans la vidéo, une foule importante et exaltée assiste à l'humiliation publique.

"Ils ont instauré l’anarchie, laissé la violence et l’arbitraire s’exprimer"

 

Anaclet Tshimbalanga, spécialiste des chefferies coutumières, revient sur ces pratiques extrêmement violentes, qui sont pour lui aux antipodes des valeurs prônées par les chefs coutumiers, dont faisait partie Kamuina Nsapu. Pour lui, les pratiques de ce groupe, censé dénoncer l’inaction de l’État au Kasaï, ont complètement dégénéré.

 

Une telle sentence est une première, elle n’a jamais été appliquée auparavant en RDC, même au moment de la guerre d’indépendance.

Après la mort de Kamuina Nsapu, plusieurs groupes se sont revendiqués de son héritage. Chaque entité a ses valeurs, ses rites et ses punitions, souvent déconnectés des pratiques traditionnelles.

Le châtiment infligé à cette femme est par exemple totalement contraire à la coutume, laquelle interdit la peine de mort et l’inceste. Ces exactions très violentes sont causées par la drogue, l’excitation, l’incitation aveugle à la violence de certains. Ces gens ont fait n’importe quoi, ils ont joué avec la vie. Ils ont instauré l’anarchie, laissé la violence et l’arbitraire s’exprimer.

 

"Ces pratiques barbares n’ont rien à voir avec nos coutumes et traditions"

Dire que ces rebelles sont des "Kamuina Nsapu" est en fait incorrect, puisqu'ils ne respectent pas cette tradition. C’est un label vide de sens qui donne un nom à un mouvement né de la frustration générale au Kasaï, causée par l’abandon des dirigeants.

L’État a fait taire la contestation par les armes, mais il faudra entamer un processus de "détraumatisation", réinsérer tous ces enfants dans leurs familles et leurs écoles et créer de l’emploi.

Une violence entretenue ?

 

Interrogées par la rédaction des Observateurs de France 24, les autorités congolaises ont affirmé qu’une enquête globale était en cours sur les exactions commises par les rebelles dans la région.

Plusieurs témoins s’étonnent de voir la vidéo relayée plusieurs mois après les faits. En vertu d’un accord entre le gouvernement et l’opposition, la RDC doit organiser une élection présidentielle en décembre, mais la date du scrutin et la participation de l’actuel président Joseph Kabila restent incertaines. Le président s’était pourtant engagé à ne pas se représenter.

Le pays est miné par l’insécurité et les attaques de milices que certains analystes jugent entretenus par le pouvoir pour repousser le scrutin. La commission chargée de l'organisation des élections (Céni) a déclaré en avril qu'elle n'était pas en mesure d'enrôler les électeurs au Kasaï.

Des attaques ont eu lieu à Kinshasa ces derniers mois, commises par des hommes portant des bandeaux rouges. Selon le gouvernement, elles impliquaient la milice "Kamuina Nsapu". Cette dernière n'a jamais confirmé être derrière cette attaque.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : "Fermez-vite, une attaque est en cours !" : des hommes armés sèment la psychose à Kinshasa

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.