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Suppression de contrats aidés : à Saint-Denis, les assos de tout un quartier en péril

Suppression de contrats aidés : à Saint-Denis, les assos de tout un quartier en péril

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Au Franc-Moisin, en Seine-Saint-Denis, la réduction des emplois aidés décidée par le gouvernement d'Emmanuel Macron remet en cause la pérennité de l'ensemble des associations du quartier.

Il y a d'un côté les lignes comptables d'un budget à boucler, de l'autre la réalité de la vie quotidienne. L'annonce surprise cet été par le Premier ministre Edouard Philippe de la diminution drastique du nombre de contrats aidés - 459.000 en 2016, 310.000 en 2017 - au motif que le dispositif serait trop coûteux et inefficace, a suscité de nombreuses craintes du secteur associatif. Dans le quartier des Franc-Moisin, à Saint-Denis (93), la décision du gouvernement d'Emmanuel Macron a des conséquences très concrètes : la disparition programmée de l'ensemble du tissu associatif local.

"L'association des Femmes de Franc-Moisin est une association historique du quartier qui agit depuis les années 80. Mais d'ici le mois de décembre, avec la fin des contrats aidés, nous ne pourrons plus fonctionner", constate amèrement Adjera Lakehal-Brafman, la présidente de la structure. C'est par un simple courriel daté du 8 septembre, envoyé par la mission locale de Pôle emploi, que les différentes associations du quartier ont découvert qu'il ne sera "plus possible de valider ces contrat que ce soit pour des demandes initiales ou des renouvellements".Avec effet immédiat. "Ça c'est fait de manière très brutale, que ce soit l'annonce du gouvernement ou la mise en application", regrette Adjera Lakehal. Sur les cinq emplois aidés qui, en plus du travail bénévole, permettaient de faire tourner l'association, un premier a pris fin le 14 septembre, un second le 30, un autre s'arrêtera le 2 novembre, les deux derniers prendront fin d'ici le mois de décembre.

"Si on perd ces emplois aidés, on ferme les portes !"

"C'est un drame pour le quartier puisque nous ne pouvons plus assurer les cours d'alphabétisation et la crèche que nous avions mise en place pour libérer les mamans. Ça l'est aussi pour les personnes qui perdent un travail et une stabilité" tempête la présidente. C'est le cas de Ghania, 57 ans, qui travaille pour la structure associative depuis trois ans et qui verra d'ici la fin de ce mois son contrat se terminer. Après deux ans de chômage, raconte-t-elle à nos confrères de l'Obs, "j'avais retrouvé une certaine utilité dans la société (…). A mon âge, il est très difficile de retrouver un emploi fixe, ne serait-ce qu'un CDD". En quelques jours, elle qui pensait poursuivre sa mission encore deux ans a donc vu son avenir s'assombrir brusquement.

Autre institution des Franc-Moisin à se retrouver sur la sellette : la "Place Santé". En 2011, Didier Ménard, médecin généraliste à la retraite qui a officié durant trente ans à Saint-Denis, président et fondateur de l'Association communautaire santé bien-être (ACSBE), remporte son pari un peu fou : faire revenir dans cette banlieue déshéritée cinq jeunes médecins pour travailler à temps plein dans ce centre de santé au cœur des cités HLM. Un combat qui se réduit aujourd'hui à une équation terriblement simple et cruelle. "Sur les dix-huit salariés du centre, huit sont des emplois aidés décompte le toubib. Nous avons deux emplois menacés à court terme, et les six autres en 2018. Si on les perd, on ferme les portes !" Car sans ces salariés chargés de l'accueil et de la médiation sociale, - "un travail essentiel qui permet de pacifier les tensions, c'est toujours un peu tendu les Franc-Moisin !" -, le centre de santé ne survivra pas. L'association, qui vit pour moitié des recettes des consultations et pour l'autre des subventions, ne s'est vu proposer "aucune alternative. C'est l'effet gueule de bois" soupire Emilie Henry, la directrice financière de l'ACSBE. D'autant que l'actuelle équipe est "déjà très tendue : on ne peut pas demander de faire plus avec moins".

Un "véritable travail de service public"

Didier Ménard l'a d'autant plus mauvaise que son centre réalise selon lui "un véritable travail de service public". "C'est toute l'ambiguïté du système français : l'Etat qui n'arrive plus à assurer certaines de ses missions délègue au secteur associatif sans jamais lui donner les moyens nécessaires", gronde-t-il.Ce que confirme Emilie Henry : "Les services publics ont déserté ces quartiers. Les associations essayent au mieux de pallier les manques. Mais là, ce n'est plus jouable".

Et les alertes envoyées à la préfecture sont pour le moment restées lettre morte. Ce mercredi 4 octobre, les associations du quartier réunies dans le Collectif de Franc-Moisin ont donc réalisé une action de "cessation d'activité" pour alerter les pouvoirs public sur l'urgence de la situation. "Des associations qui sont des fabriques de citoyenneté et qui, chaque jour, répondent aux besoins des habitants face à la relégation et à la souffrance sociale dont ils sont l’objet. Que cela concerne le domaine social, la culture, le sport, la santé, l'éducation et toutes les activités qui aident à conquérir, un mieux-être et à faire vivre les droits, les associations sont là, au travail. Demain faudra-t-il écrire 'étaient' au travail ?'", écrivent-elles.

Un travail quantifiable, mais pas seulement. "Je ne veux pas jouer les Cassandre mais en 2005, quelques mois avant les émeutes, les associations avaient senti la tension monter. Nous avions alerté sur le risque d'explosion des banlieues et participé à la pacification des esprits. C'est aussi ça notre rôle", conclut Adjera Lakehal-Brafman. Plus pour longtemps, a tranché le gouvernement.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne