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Grande conso

Derrière la dernière colère de Leclerc : une peur panique d'Amazon

Et si la dernière sortie du PDG de l'enseigne Leclerc révélait surtout sa peur panique de l'arrivée d'Amazon sur le marché français?

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Michel-Edouard Leclerc, président des centres Leclerc

Leclerc craint-il sa prochaine ubérisation?

Fred Tanneau/AFP

Mais quelle mouche a donc piqué Michel-Edouard Leclerc? Il y a quelques jours, l'efficace porte parole du groupement Leclerc s'alarmait bruyamment des dangers d'un retour de l'inflation en France et dénonçait les basses manoeuvres de certains de ses concurrents qui souhaitent profiter des Etats Généraux de l'alimentation pour augmenter leurs prix. Selon lui, des hausses de prix de 5 à 15% vont toucher des milliers d'articles alimentaires avec des conséquences macroéconomiques gravissimes.

Sous prétexte d'aider les agriculteurs (dont le revenu a chuté de 22% en 2016), il y aurait un complot destiné à obliger les distributeurs les moins chers (à ses yeux, le moins cher c'est toujours Leclerc) à augmenter leurs prix. Il dénonçait même les fautifs: son frère ennemi de la distribution Serge Papin, PDG de Système U ou encore la FCD, l'organisme qui regroupe la plupart de ses concurrents distributeurs (Carrefour, Casino, etc) "Je ne vois pas comment on aidera les agriculteurs en augmentant le prix de la lessive!", dénonçait alors MEL. 

Encadrement des promotions

Et aujourd'hui, beaucoup plus conciliant, fuyant presque les questions à ce sujet, MEL lors de la conférence de presse qu'il donnait ce 4 octobre sur le thème passionnant "des nouvelles consommations" , explique qu'il est favorable à la proposition des Etats Généraux de l'alimentation sur l'encadrement des promotions en grande distribution et appelle de ses voeux une revalorisation des revenus des agriculteurs. Il recentre son propos sur la défense du pouvoir d'achat. "On ne règlera pas le problème des producteurs agricoles sur le dos du consommateur. Nous ne sommes pas dans une République des corporations! Si le consommateur est sollicité, il ne faut pas le faire de manière brutale et ingérable, sinon cela ne marchera pas!" 

Entretemps, il a été facile à Serge Papin de lui apporter la contradiction. Oui, le prix de la lessive ou plutôt du Nutella et du Coca-Cola risquent d'augmenter si l'on veut améliorer les revenus des agriculteurs, car pour vendre à prix très bas ces grandes marques populaires et produits d'appel, les distributeurs se servent des marges beaucoup plus généreuses sur les fruits et légumes, le lait et la viande. "Le Nutella est financé par la pomme Royal Gala!", déplore Serge Papin. Mais selon lui, les prix de ces produits alimentaires doivent aussi être revalorisés car il n'est plus possible de proposer des poulets prêts à cuire à 1,45 euro, soit un prix plus bas que celui de l'alimentation qu'il faut leur donner dans les élevages.

Pourquoi Leclerc s'agite-t-il ainsi? Première raison, la publicité. Il excelle dans la discipline. Il n'est jamais inutile, à l'occasion d'un débat, même artificiellement mis en scène, d'inviter les médias à vous décrire, gratuitement, comme le défenseur du pouvoir d'achat et des intérêts des consommateurs. Le fils du fondateur de l'enseigne Leclerc, utilise cette ficelle depuis fort longtemps.

Les négociations en vue

Deuxième raison, tactique: les négociations annuelles entre distributeurs et fournisseurs vont bientôt commencer. Quelles que soient les conclusions consensuelles et vertueuses des Etats Généraux de l'alimentation, c'est bien là, dans le secret des petits box vitrés dans lesquels les centrales d'achats reçoivent leurs fournisseurs, que va se décider la politique tarifaire (et ses à-côtés) de l'année. Il n'est pas inutile de renforcer le pouvoir de persuasion de ses négociateurs par des déclarations médiatiques fortes. Là aussi, MEL ne se prive jamais de donner ce petit coup de pouce à ses équipes, tous les ans, parfois même en donnant les noms des marques qui osent leur résister. Industriels irresponsables qui comprennent assez vite leur douleur quand ils sont déréférencés et disparaissent plusieurs mois des rayons de Leclerc.

Enfin, plus intéressant encore, l'attitude pragmatique et toujours opportuniste de MEL révèle ces derniers jours une peur panique de ce qui va bientôt arriver. Ce qui va bientôt arriver c'est Amazon. Lors de sa conférence de presse sur le lancement de son "Observatoire des nouvelles consommations", Michel-Edouard Leclerc a beaucoup parlé de son concurrent américain, pour en décrire ses limites... et signaler au passage qu'il avait approché son entreprise, comme l'ensemble des distributeurs français d'ailleurs. Au moment où le géant américain passe la vitesse supérieure sur le marché français, les dégâts vont être considérables pour les acteurs historiques qui ont une guerre ou deux de retard. Ceux qui ont préféré multiplier les ouvertures de Drive, plutôt que d'investir massivement dans le e-commerce et la logistique particulière qui va avec. Ceux qui ont imposé jusqu'à l'absurde des prix toujours plus bas, avec une certaine démagogie, alors qu'il aurait été plus audacieux d'entrainer l'industrie dans une démarche de qualité, et les agriculteurs dans des modes d'élevage et de culture respectueux de l'environnement et du bien-être animal.

Le sens de la fête

A voir leur attitude au moment de faire leurs courses, les consommateurs qui boudent les enseignes de hard discount et réclament des produits bio (l'offre est largement insuffisante), il semblerait qu'ils soient moins obsédés par les prix bas que par la qualité. Mais on peut se tromper. Difficile de savoir quelles sont les motivations réelles des consommateurs de plus en plus volatiles et de connaître à l'avance le sens de la fête. Révélant une multiplicité de profils de consommateurs aux désirs souvent contradictoires, les résultats de la première étude Ipsos sur les nouvelles consommations, publiés à l'occasion de la conférence de ce mercredi, ne risquent d'ailleurs pas de rassurer les distributeurs, à commencer par Leclerc.

En revanche, ce que l'on sait avec Amazon, c'est que les prix seront bas, car facilement comparables sur le Net, que le service sera au meilleur niveau (livraison rapide, éventuellement en une heure et pas chère voire gratuite pour les abonnés). Et si Michel-Edouard Leclerc était tout simplement en train de nous montrer qu'il a une peur panique de l'arrivée d'Amazon sur le marché français? On peut le comprendre, il est à la tête d'une belle armée de patrons et propriétaires de "hangars à vendre" de moins en moins agréables à visiter, et dont la valeur, déjà en baisse, va singulièrement chuter avec l'arrivée d'un opérateur beaucoup mieux adapté aux nouvelles attentes des consommateurs. Amazon arrive avec les plus beaux hangars possibles, automatisés, efficaces, et d'autant plus appréciés des clients qu'ils n'auront jamais besoin de s'y rendre. Pas facile pour MEL. Il n'est jamais agréable de se faire ubériser.

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