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Optimisation fiscale : Bruxelles sanctionne Amazon et assigne Dublin en justice

La Commission européenne exige que le groupe américain restitue 250 millions d’euros d’aides illégales et veut que l’Irlande récupère les avantages indus perçus par Apple.

Par  (Bruxelles, bureau européen) (avec Reuters)

Publié le 04 octobre 2017 à 12h56, modifié le 05 octobre 2017 à 10h45

Temps de Lecture 4 min.

Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, à Bruxelles le 4 octobre.

La Danoise Margrethe Vestager trace son chemin avec constance et fermeté. Mercredi 4 octobre, la commissaire européenne à la concurrence, qui s’est déjà illustrée en imposant une sanction record de 13 milliards d’euros à Apple, a confirmé qu’Amazon avait bénéficié d’aides d’Etat illégales du Luxembourg et elle a exigé, au nom du respect du droit de l’Union européenne (UE), que le géant américain de la vente en ligne restitue « environ 250 millions d’euros » au Grand-Duché.

Mme Vestager a aussi profité de cette annonce pour dire que la Commission allait attaquer l’Irlande, qui n’a toujours pas récupéré auprès d’Apple les plus de 13 milliards d’euros d’impôt impayés, comme Bruxelles le lui avait ordonné.

Depuis 2015, la Commission a multiplié les décisions pour aides d’Etat illégales – elle a épinglé Starbucks (avec les Pays-Bas) Fiat (Luxembourg) en octobre 2015, et une grosse trentaine de multinationales ayant bénéficié des largesses de la Belgique en janvier 2016. Et elle a ouvert des enquêtes sur des accords signés entre McDonald’s et Engie, toujours avec le Grand-Duché.

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Que reproche la Commission européenne à Amazon ?

Bruxelles enquête depuis trois ans sur un rescrit (un accord fiscal) entre l’administration luxembourgeoise et la société de Seattle (Etat de Washington), qui a permis à cette dernière, durant huit ans (entre 2006 et 2014) d’échapper en grande partie à l’impôt sur les sociétés en Europe. « Grâce aux avantages fiscaux illégaux accordés par le Luxembourg à Amazon, près de trois quarts des bénéfices de la société n’étaient pas imposés », a dit Mme Vestager, mercredi.

« Amazon a pu payer quatre fois moins d’impôt que d’autres sociétés locales soumises aux mêmes règles fiscales nationales », a ajouté la Danoise, qui s’est fixé comme objectif, avec son collègue chargé de la fiscalité, le Français Pierre Moscovici, que les entreprises soient effectivement taxées là où elles réalisent leurs profits.

Comment Amazon a-t-il pu échapper aux taxes dans l’UE ?

Le groupe américain a choisi d’établir son siège social européen au Luxembourg, au travers, particulièrement, de sa filiale Amazon UE, une société dite « d’exploitation », gérant l’ensemble des ventes d’Amazon dans l’UE, la logistique, les relations avec les clients, etc.

En vertu d’un rescrit émis en 2003 (et reconduit en 2011), le fisc du Grand-Duché a accepté que cette filiale verse des royalties correspondant à des droits de propriété intellectuelle (usage de logiciels, de noms de marque…) à une autre entité luxembourgeoise, Amazon Europe Holding Technologies, une holding non imposable au Luxembourg.

Le problème, c’est que les royalties versées à cette « coquille vide », selon les termes de Mme Vestager, ont atteint des montants considérables, jugés très exagérés par la Commission, correspondant aux trois quarts des bénéfices de la société « d’exploitation », conduisant donc Amazon à ne payer quasi pas d’impôt.

Le rescrit n’est désormais plus appliqué, mais, jusqu’en 2014, il a permis que le taux d’imposition effectif d’Amazon en Europe, durant huit ans, soit plafonné à 7,25 %.

Que disent les autorités luxembourgeoises ?

« Amazon ayant été taxé en accord avec les règles fiscales en vigueur à l’époque, le Luxembourg estime que la société ne s’est pas fait garantir d’aides d’Etat incompatibles avec les traités de l’UE », a protesté officiellement le Grand-Duché, mercredi, qui a cependant rappelé son engagement à « lutter fermement pour la transparence fiscale et contre la fraude et l’évasion fiscales. »

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Le Luxembourg a changé sensiblement d’attitude après le scandale Luxleaks, qui a révélé à la fin de 2014 que le pays avait signé des centaines de rescrits très généreux avec des multinationales. Il a notamment accepté l’obligation de transmission de ses rescrits aux autres capitales, permettant à l’UE de progresser sur des sujets fiscaux réclamant l’unanimité en Europe.

Luxleaks a aussi contribué à sortir Bruxelles d’une longue apathie vis-à-vis des abus fiscaux des multinationales. Ebranlé par un scandale touchant un pays dont il fut premier ministre pendant dix-huit ans, Jean-Claude Juncker, président de la Commission depuis la fin de 2014, a donné carte blanche à Mme Vestager.

Pourquoi Bruxelles attaque Dublin à propos d’Apple ?

« La Commission assigne l’Irlande devant la Cour de justice de l’UE pour non-récupération des avantages fiscaux perçus illégalement par Apple », a déclaré Mme Vestager, rappelant que « plus d’un an » s’était écoulé depuis le jugement de la Commission.

« Nous comprenons que dans certains cas, la récupération peut être plus complexe que dans d’autres. Mais les Etats membres doivent faire des progrès suffisants pour rétablir la concurrence », a ajouté la commissaire.

Les Pays-Bas ont, par exemple, récupéré 100 % des sommes dues par Starbucks en neuf mois, et le Luxembourg en quatre seulement auprès de Fiat.

La réponse n’a pas tardé : « L’Irlande n’a jamais accepté l’analyse de la Commission dans le cas de sa décision concernant Apple », a fait savoir Dublin mercredi, qui s’est dit « extrêmement déçu » par l’assignation devant la plus haute juridiction de l’UE.

L’Irlande a multiplié les recours pour éviter d’appliquer la décision bruxelloise, et ce malgré un débat national intense. Le pays, connu pour les conditions fiscales avantageuses réservées aux multinationales du numérique, craint de pénaliser Apple, un des principaux employeurs privés du sud de l’île.

L’UE s’acharne-t-elle sur les géants américains du Net ?

Cette critique est formulée depuis plusieurs mois à l’encontre de Mme Vestager. Celle-ci a une réponse bien rodée : « Toutes les entreprises opérant sur le territoire européen doivent respecter les règles du marché intérieur, cela n’a rien à voir avec les Etats-Unis, je n’ai aucun préjugé défavorable », s’est-elle défendue.

Vers un consensus sur une fiscalité adaptée au numérique ?

Peut-être. Jusqu’à présent, ce sont les opinions publiques qui ont poussé les gouvernements de l’UE à agir. Depuis la fin de l’été, la France défend ainsi à Bruxelles un impôt sur le chiffre d’affaires des géants du Net, pour couper court à leurs stratégies d’évitement fiscal.

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La Commission s’est engagée à rédiger une proposition législative dans ce sens. Dix-huit pays ont rejoint la proposition hexagonale, mais il manque encore à l’appel les « usual suspects » (Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Malte…) pour espérer un accord valable au niveau européen.

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