Loin de la littérature, Angot s’abuse dans le buzz

Christine Angot en 2009. ©Getty - Franco Origlia
Christine Angot en 2009. ©Getty - Franco Origlia
Christine Angot en 2009. ©Getty - Franco Origlia
Publicité

L'écrivaine, qui a toujours exigé d’elle-même une implacable sincérité, ne pouvait pas devenir sans souffrir le rouage d’un Meccano télévisuel entièrement basé sur l’illusion du direct et l’artifice du montage.

Je voulais revenir sur la polémique déclenchée par les mots de Christine Angot, samedi soir, dans l’émission de Laurent Ruquier. Pour vos auditeurs qui ne seraient pas au courant, rappelons que ce soir-là, l'animateur recevait Sandrine Rousseau. L’ancienne dirigeante écologiste, victime d’agression sexuelle, venait présenter un livre plaidant pour que la parole des femmes harcelées soit enfin entendue. Après une vive discussion, Angot s’est emportée contre Sandrine Rousseau quand celle-ci a souhaité que les femmes puissent s’adresser à des personnes formées pour entendre leur parole. « C’est un bla-bla, ça n’existe pas », a dit Angot en substance. « Mais alors, on fait comment ? », a demandé l’écologiste, en larmes. « On se débrouille », a tranché l’écrivaine, suscitant une indignation quasi-générale.

"Il n’y a pas de vérité hors de la littérature"

Moi qui aime profondément Angot et ses textes, et qui supporte mal les attaques obscènes dont elle est la cible depuis si longtemps, je me suis souvenu d’un échange que nous avions eu, au cours duquel je lui avais demandé pourquoi elle n’avait jamais porté plainte contre son père qui avait abusé d’elle sexuellement. Elle m’avait révélé qu’en réalité elle avait porté plainte, juste avant ses 28 ans, avant la prescription. Elle avait été bien reçue par un commissaire qui lui avait expliqué que, vu l’ancienneté des faits, son père ne serait sans doute pas condamné. Angot avait donc renoncé et des années plus tard, me racontant cette scène, elle avait conclu, je la cite : « Je vous le dis, il n’y a qu’une seule chose de valable, c’est la littérature. La justice, la police, ce n’est rien. Il n’y a pas de vérité hors de la littérature ».

Publicité

Angot envoyant Christine se faire voir ailleurs

En me remémorant ces mots, je me suis dit, oui, c’est sans doute ça qu’Angot aurait voulu réaffirmer, l’autre soir. Mais elle ne pouvait le faire qu’en explosant de colère, et d’abord contre elle-même, parce que cet éloge de la littérature, elle le faisait, ici, non pas comme une femme de plume mais comme une chroniqueuse de télévision, payée, semaine après semaine, pour faire le buzz. Elle qui a toujours exigé d’elle-même une implacable sincérité ne pouvait pas devenir sans souffrir le rouage d’un Meccano télévisuel entièrement basé sur l’illusion du direct et l’artifice du montage. Et lorsque se trouve évoqué, sur ce plateau, l’événement même qui l’a propulsée en littérature, à savoir l’abus sexuel, elle ne peut pas le supporter, bien sûr, elle s’en va, on sait d’ailleurs qu’elle a alors quitté le plateau de l’émission, même si cette scène, justement, a été coupée au montage. Or c’était sans doute la seule scène de vérité au milieu des faux-semblants : Angot hors d’elle et prenant la sortie, Angot se disant peut-être « non, on ne se débrouille pas, je ne me débrouille pas, je m’enfonce dans le brouillard, loin de la littérature je m’abuse dans le buzz », Angot fuyant pour se retrouver elle-même, bref Angot envoyant Christine se faire voir ailleurs, là où la littérature, qui est bien patiente, l’attend encore. Et nous, ses lecteurs, aussi.

L'équipe