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politique

« Ma séropositivité a fait de moi un hors-la-loi »

Camille Genton est la nouvelle voix de la lutte contre la sérophobie. Il lance aujourd’hui « Nous sommes Positifs », le premier manifeste qui réunit à la fois Roselyne Bachelot et Miss Kittin.
Photo : Louis Décamps

VICE : Comment as-tu appris ta séropositivité ?
Camille Genton : J'ai rencontré un garçon, je suis tombé amoureux et on a décidé de faire un test de dépistage. Le 4 février 2011, je suis allé chercher mes résultats au labo sans aucune appréhension. Je me disais que ça n'arrivait qu'aux autres. J'ai donné mon nom à la secrétaire et elle a crié à son collègue « j'ai un positif pour toi, je le fais patienter ? » J'avais 25 ans. C'était hyper violent. À ce moment là, tu vois défiler dans ta tête des images de mecs aux joues creusées, qui sont en train de crever. Et puis, tu rencontres des médecins, d'autres séropositifs, et tu comprends qu'en fait, tu as la même espérance de vie que la moyenne des Français, peut-être même plus, parce que tu bénéficies d'un excellent suivi médical. Moralité : je suis sur cette terre pour les cinquante prochaines années, alors qu'est ce qu'on va faire de moi ?

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On est en 2017 et tu as l'impression que les séropositifs sont maintenus en marge de la société française ?
La science avance plus vite que la société, qui avance elle-même plus vite que la législation. Aujourd'hui, j'ai 32 ans et j'ai le même taux de T4 qu'un mec non atteint. En tant que patient traité et bien suivi, je ne suis pas contagieux, et ça fait sept ans que j'ai des rapports sexuels sans préservatif. Malgré tout, je ne dispose pas des mêmes droits que mes amis séronégatifs. Je ne peux pas contracter de prêts, j'ai du mal à me faire assurer et je ne peux pas voyager aussi librement qu'eux. Il y a de nombreuses inégalités qui touchent aussi à l'accès à l'emploi ou aux soins.

Pour l'État, tu es classé ALD (Affection Longue Durée). Ça veut dire quoi concrètement ?
Ça veut dire que je souffre d'une maladie dont on ne guérit pas. ALD, c'est aussi une case que tu retrouves dans les questionnaires des banques et assurances. Quand tu coches cette case, c'est le début des emmerdes. En général, on te dit tout de suite : « ah oui ? quelle maladie ? » Et quand tu réponds « VIH », il suffit de regarder la tête de ton interlocuteur pour comprendre que ça va être très compliqué. En théorie, une banque n'a pas le droit de dire : « désolé, je ne vous accorde pas ce crédit parce que vous êtes séropositif », c'est discriminatoire. Mais en pratique, on m'a déjà refusé un prêt parce que je n'étais « pas apte » à mener à bien mon projet. C'était quatre jours après avoir appris ma séropositivité, et j'avais besoin d'emprunter pour ouvrir mon premier restaurant. Aujourd'hui, j'en possède dix. Finalement, j'étais apte ! Je me souviens aussi de cette fois, chez le dentiste, où j'avais naïvement coché la case. Depuis la salle d'attente, j'ai entendu le médecin dire « ah non, les séropositifs, qu'ils aillent se faire soigner ailleurs ! » La secrétaire est venu m'informer que mon rendez-vous était annulé, le médecin avait « une urgence »…

Comment fais-tu pour contourner le système ?
Je mens. Et je suis donc hors la loi. J'ai de la chance, pour l'instant, on ne m'a jamais demandé de prise de sang. Mais il y a aussi des stratégies de contournement pour la piqûre, je sais qu'il existe des laboratoires complaisants. Tout le monde ment. Pour voyager aussi, on ment. Quand je vais aux États-Unis, il y a cette petite question sur le formulaire, et je réponds « non », parce que c'est quand même con de payer un billet pour ne pas prendre l'avion. En gros, on ne dit jamais la vérité parce qu'on connait la finalité.

Tu lances aujourd'hui un manifeste : « Nous sommes Positifs », signé par de nombreuses personnalités du monde de la politique et de la culture. Qu'attends-tu des pouvoirs publics ?
J'aimerais que des mesures soient prises pour lutter efficacement contre la sérophobie et les inégalités. J'aimerais que le droit à l'oubli pour les personnes séropositives soit enfin appliqué, car aucune étude scientifique ne justifie que cette information soit rendue publique. Encore une fois, aujourd'hui, un patient bien traité n'est pas contagieux.

Tu n'as pas peur d'énerver les associations de lutte et de prévention, avec ce discours qui tend à banaliser la maladie ?
Mon discours est hyper pragmatique. Je ne banalise pas : oui, c'est dur de se dire tous les jours
« si je ne prends pas ce cachet, je peux mourir ». Mais je refuse la stigmatisation. J'aimerais dire aux nouvelles personnes contaminées chaque année en France qu'elles n'ont pas à avoir peur. Si vous êtes traités, vous vivrez. Et non, la mort ne vous attend pas à la sortie du labo, quand vous venez d'apprendre votre séropositivité. J'assume très bien ce discours parce que je vis avec le VIH et je sais de quoi je parle. Le combat de 120 battements par minute était un combat contre la mort. Aujourd'hui, on doit se battre pour le vivre avec.

Camille Genton a publié son premier roman, Positif, aux Éditions JC Lattès (141 p., 16€).