La mère de Mohammed Legouad, victime de Mohamed Merah le 2 octobre 2017 au palais de justice Paris

La mère de Mohamed Legouad, victime de Mohamed Merah le 2 octobre 2017 au palais de justice de Paris.

afp.com/Eric FEFERBERG

Elle s'approche à la barre, sa silhouette fluette engoncée dans un blazer bleu marine. Et soudain, sa voix puissante transperce le prétoire et suspend le temps. Chacune de ses phrases est ponctuée d'un silence pesant. "J'ai écrit une lettre. Je veux vous fait part de moments qui me tiennent à coeur", annonce Sabrina, une militaire de 30 ans, au micro. Le président de la cour d'assises spéciale de Paris n'est d'abord pas favorable à ce qu'elle la lise: un témoignage doit être spontané. Il s'y résout finalement devant l'émotion de cette jeune brune touchante, aux cheveux noués en queue-de-cheval.

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Ce vendredi après-midi, au cinquième jour du procès des crimes de Mohamed Merah, les magistrats entendaient Sabrina en sa qualité de proche de Mohamed Legouad, l'une des victimes du "tueur au scooter". Ce militaire a été assassiné en pleine rue près de sa caserne de Montauban, en 2012, alors qu'il était en compagnie de deux collègues. Le premier a été également tué, l'autre est resté lourdement handicapé. En l'absence de l'auteur principal de cet attentat aveugle -abattu par le RAID-, c'est son grand frère Abdelkader qui est jugé pour "complicité".

"Mohammed était une source de joie et de rires"

Sans un regard pour l'accusé, Sabrina pénètre dans la salle d'audience vers 15 heures. "Mohamed Legouad était un véritable leader. C'était le pilier de notre groupe et pourtant c'était le plus jeune. Nous étions inséparables depuis l'enfance", récite-t-elle devant la cour, la voix entrecoupée de sanglots. Assis dans son box, Abdelkader Merah ne bronche pas. Le trentenaire, habillé d'une tenue immaculée comme au premier jour de son procès, retire ses lunettes et écoute attentivement l'hommage à ce militaire "souriant et sportif", dont la vie a été fauchée par son petit frère.

"Mohamed savait nous motiver, nous donner le déclic et avait les bons mots. Il était une source de joie et de rires", continue Sabrina. Mais la jeune femme peine à achever ses phrases. Elle reprend son souffle à plusieurs reprises, réprime quelques larmes. Encouragée par le regard compatissant du président, soutenue par l'avocate de Mohamed Legouad, elle déroule le récit de cette amitié heureuse, à "une époque où la joie de vivre prenait le dessus" et où la barbarie terroriste ne tuait qu'à des milliers de kilomètres.

"Un frère", "un confident au coeur sur la main"

Il y a d'abord, lit-elle, ces fous-rires complices en colonie de vacances alors qu'ils n'ont que huit ans. "Nous avons tellement rigolé sur le chemin qu'il était impossible de nous souvenir [de quoi]" Il y a aussi ces voyages entre amis, avec un budget serré. "Nous avions regroupé nos économies mais nous n'avions pas assez d'argent pour finir le séjour. Mohamed a insisté pour rentrer le premier, pour nous laisser profiter jusqu'au bout."

Pour Sabrina, Mohamed Legouad était un "frère", "un confident" avec "le coeur sur la main", "protecteur", toujours présent pour ses proches - y compris lorsqu'elle a perdu sa mère. "Il a coupé le jeûne du ramadan avec moi pour que je ne sois pas seule", sanglote-t-elle. Car comme elle et comme son bourreau, il était musulman. Mais aux yeux du tueur, son métier de soldat de première classe faisait de lui un ennemi viscéral. Mohamed Legouad était fier de son engagement au 17e régiment du génie parachutiste de Montauban. "Il était prédestiné à servir sous les drapeaux. Il était fier de porter l'uniforme pour défendre la nation", raconte son amie.

"Tu vois Chems

La salle est prise d'un frisson lorsque Sabrina s'adresse directement au défunt alors que sa voix déraille sous l'effet de l'émotion. "Tu vois Chems [son surnom] j'attendais toujours ton retour pour aller à la mosquée. Cette fois-ci, j'y suis allée sans t'attendre...." La jeune militaire conclut en égrenant les "huit qualités" de la victime: "Intègre, charismatique, discret, humble, patient, respectueux, sensible et vrai."

- "Je vous remercie pour ce portrait très poignant et sans doute très proche de la vérité. Je n'ai rien à rajouter", souffle le président de la cour.

Sabrina quitte la cour d'assises, droite et digne. Elle adresse une accolade amicale à la mère de Mohamed Legouad, assise au premier rang, un foulard vert enroulé autour des cheveux. À côté d'elle, une femme fond en larmes. Des sanglots sont étouffés. Même un gendarme chargé de la sécurité semble avoir les yeux embués. "Elle a mis tout son coeur, c'était très beau même si c'était lu", confie à la sortie, encore retournée, une partie civile.

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